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mardi 11 mars 2025

Pluie

 

Pluie pluie pluie pluie pluie pluie, pluie, pluie, pluie, pluie, pluie. LA CHAMBRE est humide. La couette EST HUMIDE. Le matelas est humide. La couverture est humide. Je suis humide. Je transpire la nuit, mais j'ai froid. Se lever, dans le froid, pour se sécher, se changer, aller sur l'autre côté du lit, mais il n'y en a que deux, des côtés, dans un lit. Je prie. Je rugis. Je prends du Theralen, du Quviviq, du Stilnox, de l'Imovane, du Noctamide, je pisse, je sue, je sombre parfois abruptement dans un demi-sommeil sans rêves, qui ne dure jamais plus d'une demi-heure. Puis je rallume, j'ouvre l'ordinateur, le referme, prends un livre, le referme parce que lire me fait mal aux yeux, je ne suis pas bien éclairé, prends la liseuse, mais c'est encore pire que le livre. Je reprends un cachet, tant pis. Pluie. Noir. Pluie. J'évite quelques unes des flèches que je reçois de l'au-delà. Certaines me blessent, m'ulcèrent. D'autres me laissent sans voix, sans mot, sans réaction. Terreur. Noir. Pluie. Je vois des taches noires au plafond, alors que j'ai les yeux fermés. Mais aussi de la lumière, une lumière incroyable, en mille pointes fines, qui se déplacent, forment des nuages de lumière, des constellations irisées. Jésus se tait. Mozart se tait. Beethoven se tait. Saint Jérôme se tait. Moi aussi je me tais. Dans la chambre, mille voix tues, bloquées. Arrêtées en plein vol. Mais c'est là, tout de même, dans l'humidité, elles sont là, toutes ces voix, même si on ne les entend pas. Le silence les étouffe, les garrotte. Je me lève mais il fait trop froid pour rester debout, ou alors il faudrait s'habiller complètement, empiler des couches et des couches, et je n'en ai pas le courage, pas cette fois-ci, en tout cas — et puis le lit va refroidir. Je vais pisser et je retourne au lit. Je pense à toutes les idiotes théories sur l'insomnie, à tous les conseils idiots que les spécialistes donnent, pour la vaincre ou la supporter, ils me font chier, tous, avec leurs conseils et leurs théories. Alors j'éclaire et j'écris. Mais ça me dégoûte, de faire ça. J'éprouve un dégoût absolu pour la littérature, ou peut-être plutôt pour le fait d'écrire et de garder ce qu'on écrit. Quelle ignominie ! Quelle honte ! Combien mesure ma couette ? Cette question me taraude. Est-ce 200 x 200, ou 200 x 160, ou 190 x 140 ? J'y pense parce que ma housse de couette est fichue et qu'il faudrait que je la change. Devrais-je m'acheter un pilulier ? J'en avais un, naguère, mais je l'ai mis bêtement à la poubelle, un jour de révolte contre les médicaments. Comment coupe-t-on un comprimé en quatre ? Il faudrait sans doute une lame de rasoir. La troisième ballade de Brahms me vient en tête, je bouge mes doigts. Où ai-je mis mon alliance ? Le silence s'est épaissi. Je comprends que la pluie a cessé. À peine ai-je pensé cela qu'elle reprend. Pluie, pluie, pluie, pluie, pluie, pluie pluie pluie pluie pluie pluie. Si mineur… Toujours si mineur… Ça coûte combien, une housse de couette ? Écrire la vie… Ah ah ah ah ah ! Quelle rigolade… Pourquoi est-ce que je pense à cette andouille de Luc Trévi ? Qu'est-ce qu'il vient faire dans ma chambre, ce con ? Et Philippe Vilain, maintenant… Au moins est-il nettement plus sympathique que l'autre. J'avais lu La Dernière Année, de lui, jadis, et ce livre m'avait plu. Je dois me relever pour chercher cette alliance…

samedi 27 mai 2023

Déclin

Après le repas, je me rendis au bord du lac. Il faisait bon, mais une pluie fine tombait, douce et tiède. Je m'assis sur un banc, à l'abri d'un arbre au feuillage épais. J'étais seul. Le jour déclinait insensiblement. J'observai les eaux du lac, grises, avec des reflets vaguement rougeâtres que je ne pouvais expliquer, et des transparences douteuses. Je me demandai si quelque événement allait survenir dans ma vie, mais je ne voyais pas ce qui aurait pu m'arriver d'autre que de rester là à attendre ce qui n'adviendrait pas. Je suis le déclin, me dis-je, et ce n'était pas une pensée triste. Le lac était martelé paisiblement par les gouttes qui lui donnaient l'aspect d'un gong, métallique et vivant. Une légère vapeur se tenait à quelques dizaines de centimètres au-dessus de l'eau, et je vis qu'entre elle et la surface du lac était emprisonnée toute la nostalgie qu'il y avait eu en moi depuis ma naissance. Pour la première fois de ma vie, je la voyais, hors de moi, séduisante et inoffensive. 

J'entendis alors la Barcarolle de Chopin, avec le do dièse profond qui fit résonner toutes les cellules de mon corps, et pendant les huit minutes qui suivirent, je restai parfaitement immobile et sans pensées. La pluie avait cessé.

dimanche 15 janvier 2012

Fégor, la pluie d'or


Ma belle Fégor, celle que les voiles immenses de ma défaite ont recouverte tant et si bien que je ne me souviens plus de son corps admirable.

Du temps que j'étais sâr, et ces temps étaient sûrs, je me pliais à ses débordements aussi sûrement que le gras au maigre, et rien, dans l'assiette, ne me faisait plus penser à la mort qu'une escadrille de petits pois rassemblés comme pour la prière du soir quand le vent souffle à travers le saule, le si triste saule, et solitaire, du jardin. Elle pouvait bien m'inonder que cela ne pouvait qu'augmenter encore ma soif, et le désir n'avait pas plus de fin que le temps lui-même quand il cesse de se laisser entendre. Son masque, ce masque qui la rendait plus belle encore que la beauté d'une fleur qui est sur le point d'éclore, ce masque ne masquait que ce qu'il ne faut jamais voir, que ce qui brûle le regard et noie les yeux, ce qui aurait pu être mais que la main adroite d'un dieu de miséricorde a effacé du projet même qu'il concevait peut-être avant de s'éveiller tout à fait d'un rêve négligeable et non abouti.

Que de ruines nocturnes en rythme impair, par ce doigt qui essuie la lame, dans l'œil du poète à terre, sous sa belle ! Tout le sens insonore et fulgurant de l'abstrait coule comme une larme éteinte, baiser de feu froid de la bagatelle tue.

Silhouette de mercure légère et filante, dans la grâce de cette nuit sans lune, je t'observe de loin, effrayé et content, écrasé entre deux bémols symétriques, quand ton corps perce le temps de sa furtive présence. Je voudrais te toucher, mais je suis trop loin, trop lent, trop là. 

samedi 16 juillet 2011

La Pluie


Sous la pluie, il se sent coupable. Être mouillé le désigne comme étant celui qui ne passe pas à travers les gouttes, qui est malhabile, comme le sinistre qui ne peut cacher sa malheureuse présence à contre-temps. Même lorsqu'il fait beau, il sent bien que toute trace d'humidité en lui, sur lui, n'a pas disparu. Tous ceux qu'il croise, il les considère comme des "Tropicaux", ils possèdent certainement une sorte de convecteur intime qui les immunise, à titre individuel et collectif, contre les larmes acides du ciel, car ils sont impeccables. Lui est le dernier pécheur sur Terre, il en est certain. Homme tempéré qui ne marche que blessé de son scrupule aigu, tenant son parapluie d'une main moite, prêt à tout instant à faire amende honorable, il baisse les yeux. Comment en est-on arrivé là ? se demande-t-il silencieusement. Pourquoi moi ? Il cherche dans son passé, parmi ses aïeux, et ne trouve que trop facilement des raisons à cette situation. Mais eux, tous ces Tropicaux, ils n'ont donc rien à ne se reprocher ? Comment ont-ils échappé à l'antique malédiction ? N'ont-ils pas eux aussi des parents, une histoire ? Ils sont beaux, ils ont une grande santé, ils sont joyeux, nulle frayeur ne se lit dans leur regard, leur démarche est franche, souple, leurs paroles sont assurées, ils ont cet air de qui se sent en plein accord avec l'instant et le lieu, un lieu clair et sec, chaud et lumineux. S'ils savaient qui est celui qu'ils ont croisé, ils ne le comprendraient sans doute pas, il est même possible qu'ils ne le voient tout simplement pas, ces Impeccables.