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samedi 7 décembre 2024

Notes sur le suicide [brouillon]

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Parmi la masse considérable des égocentrismes de toute sorte, il y en a un qui m'est particulièrement odieux, c'est celui qui consiste à ne pas savoir deviner (et mesurer) l'affreux désespoir de qui choisit de mettre fin à ses jours. À chaque suicide, c'est la même rengaine, bien rodée. Le chagrin des proches et de ceux qui restent. Le traumatisme qui leur est infligé. Leur vie gâchée. L'égoïsme du suicidé. Son inconscience. Sa lâcheté. 

Quelle obscénité ! Mais qu'ils aillent au diable, ces traumatisés pensant bien qui ont toujours assez de courage pour cracher sur le défunt et suffisamment d'indécence pour s'attribuer le beau rôle alors que le corps du supplicié est encore tiède. Oui, du supplicié ! Car c'est bien d'un supplice, qu'il s'agit. 

Ceux qui n'ont jamais sérieusement envisagé le suicide ne s'imaginent pas, n'imagineront jamais la souffrance inouïe qu'il faut traverser pour en arriver à cette extrémité. Le désespoir n'est pas seulement un mot, c'est une chose qui a la densité et la formidable masse d'une montagne. Une chose énorme, glacée et tentaculaire qui voile tout le ciel, qui asphyxie, qui étouffe et paralyse. 

Au nom de quoi le suicidé devrait-il se sacrifier deux fois ? Deux fois, s'il renonce au suicide eu égard à la souffrance de ceux-qui-restent, oui, car alors il est prisonnier de sa douleur, de sa double-douleur. Il ne doit pas en parler, il ne doit pas faire souffrir les autres, il doit endurer son calvaire sans déranger, et il n'aurait même pas le droit de se soulager d'un geste définitif ? Au nom de quoi ? Ceux qui vont le pleurer auront le droit de commencer par le maudire — et je peux même arriver à les comprendre. C'est bien vu : cette sainte colère apporte du crédit à leur chagrin. Il n'en sera que plus éclatant. Les vivants ont tous les droits, on le sait bien, et les morts ne peuvent pas se défendre. On accusera le suicidé de dramatisme, au minimum. D'égoïsme, bien sûr. Il s'écoutait trop ! Il n'a pas pensé à nous. Il n'a pas eu le courage de vivre. C'est un lâche. Ce mouvement, très courant, me paraît doublement ignoble. Ils savent bien, au fond d'eux, qu'ils n'ont pas su, qu'ils n'ont pas vu, qu'il n'ont pas osé, qu'ils n'ont, le plus souvent, même pas tenté de trouver les mots qui auraient pu — peut-être… du moins cela valait le coup d'essayer — aider, apaiser, soigner, réconforter, accompagner, sans se justifier trop facilement de la solitude existentielle inhérente à la nature humaine. Partager ne serait-ce qu'une heure la douleur effroyable de celui qui se confie imprudemment. Ils ont peur : c'est comme si le mal était contagieux. Et non seulement il n'est pas question pour eux d'avoir une once de remords, mais encore font-ils porter tout le mal et toute la faute sur le défunt. Comme ils sont courageux, lorsqu'il s'agit de ne pas comprendre la souffrance de l'autre, de la dénigrer, de la tenir pour peu de chose, voire de la ridiculiser. Comme ils s'en tirent bien, au bout du compte, drapés dans leur chagrin moral et révolté ! Les justifications de tous ordres ne leur feront jamais défaut, il n'y a pas à s'en faire pour eux. 

Le supplice de celui qui envisage le suicide est réel. Se tenir au bord de ce précipice, non pas, comme il est dit et répété bêtement, avec complaisance, avec fascination, mais avec horreur et même terreur, voilà ce qu'il lui faut endurer des jours et des jours, dans une absolue solitude, car, oui, sauf cas d'extrême urgence, à mon avis assez rare, la décision prend du temps, et le chemin qu'elle emprunte est un chemin de croix. Il n'y aucune aide, aucune fraternité à espérer. Quelle que soit la manière dont vous présentez la chose à autrui, elle vous sera reprochée. Le supplice, c'est d'abord et avant tout l'impossibilité, et plus que l'impossibilité réelle, l'interdiction, qui est faite à celui qui souffre, d'expliquer sa souffrance, de la révéler entièrement, sauf à rester dans l'insignifiance et l'acceptable, dans une parole qui ne va pas au cœur du sujet. 

Celui qui emprunte cette voie est le sujet d'une torture d'un genre inédit. En effet, il passe son temps à peser le pour et le contre de cet acte irréversible qui, il n'a aucun doute à ce sujet, va donner à toute sa vie un sens autre que celui qu'elle avait eu jusqu'alors. La désagréable surprise du sursitaire est qu'il y autant de raisons de passer à l'acte que de ne pas le faire. Si la balance penchait d'un côté ou de l'autre, les choses seraient simples. D'où le fait qu'il faille compter sur une pulsion subite qui fasse taire ces interminables et inutiles réflexions. Il faut se jeter au feu, sans savoir, sur un coup de tête, sur un coup de dé…

La mort est inéluctable, dans tous les cas, mais si vous décidez par vous-mêmes du jour et de l'heure, hors du cas exceptionnel d'une maladie incurable, vous vous placez de fait hors de la modestie humaine et de la décence commune. Votre acte, quelles qu'en soient les motivations, prendra toujours pour ceux qui vous survivent le visage hideux d'une provocation et d'une brutalité injustifiable. Vos motifs n'ont aucun poids, vous n'avez aucune chance d'être entendus ; il faut en être conscient. Tout ce vous pourrez avancer, a priori ou a posteriori, sera balayé d'un revers de morale, cette morale qui a le nombre pour elle. 

[Il faudrait ici établir un lien entre l'amour et le suicide, je le note pour ne pas l'oublier dans le développement ultérieur de ce texte.]

(…)

samedi 12 août 2023

Radio

1

La narratrice au fast-food. Le père est ouvrier. Le concept d'aliénation. Le geste, la rapidité et l'ennui. Une enfance douloureuse. Souffrance de la mère, de mère battue. On est vissé là où on habite. Dans une cellule. Les coups. La femme gifle. Il faut faire. Elle est devenue un tas. Il fallait passer par là. C'est d'abord une affaire de corps. Moi il faut que je tienne ma phrase. La rouste, la dérouillée. Elle ne comprend pas. Le lit, le terrible lit. Son corps, c'est de la viande, c'est un morceau de viande. La manière dont Finkielkraut prononce « Jérôme ». Le père qui pose des questions. Il n'a pas l'enthousiasme des enfants. On ne comprend pas ce qu'il y a autour. S'inquiéter pour le père. « Vous êtes contents ? Vous êtes contents ? » La vie pratique. Où est sa place ? Elle le protège. Il rêve qu'il écrira un roman. Ils n'ont pas vécu et souffert pour rien. L'accumulation. Écrire et inscrire une trace. Elle déserte. À Paris. Usée à force d'être. Arrachement et attachement. Je ne suis pas passée par la honte. Un contrepoint musical très intéressant. La Guerre des Boutons. Le père est plus enfant que les enfants. On a bien fait d'y aller. Il s'acharne sur l'irréparable. C'est plus qu'un métier. Il échoue et il échoue sans cesse. Le texte a été commencé dans le chaos. 

2

Le texte a été commencé dans le chaos du ventre de la mère battue, ce tas de viande. Il s'acharne sur l'irréparable et la vie pratique. Il fallait passer par là : La rouste, la dérouillée. « Vous êtes contents ? Vous êtes contents ? » Moi il faut que je tienne ma phrase, mais je ne suis pas passée par la honte, dans une cellule : l'accumulation. Arrachement et attachement, c'est un contrepoint musical très intéressant. On a bien fait d'y aller, à Paris, c'est plus qu'un métier, mais on ne comprend pas ce qu'il y a autour. La femme gifle : écrire et inscrire une trace, où est sa place, le geste, la rapidité et l'ennui. Elle déserte, usée à force d'être dans le lit, le terrible lit. Le père est plus enfant que les enfants, il a eu une enfance douloureuse, le père ouvrier qui pose des questions. Il n'a pas l'enthousiasme des enfants. Les coups.

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vendredi 1 septembre 2017

Septembre



Elle arrive d'un seul coup, la clarté de septembre, elle sort de la gangue encore chaude d'août et nous fait tressaillir car en elle se concentre la belle transparence de mai et l'abîme brûlant de la nuit de glace qui s'avance. C'est une lumière à nulle autre pareille qui vient adoucir un peu le désespoir du jardin délaissé. 

Il n'y a qu'une seule note, mais si précise dans sa nuance. Ça vient après le sucre, après l'écrasement, après le long et lourd sommeil dans quoi on s'enfonce jusqu'au sang. 

dimanche 5 janvier 2014

Du vent


« Voilà à quoi sert le travail de l'homme. » C'est Hans Rott, qui avait étudié l'orgue avec Bruckner,  qui parle ainsi, après s'est torché avec la partition qu'il venait de composer. Il composait sans cesse, à l'asile, et ses partitions finissaient toutes ainsi. J'imagine que le papier à musique n'était pas le même qu'aujourd'hui, car il serait désormais assez difficile de l'utiliser à cet usage. J'ai de la sympathie pour Hans Rott, condisciple de Gustav Mahler qui n'a pas fini sa vie dans les bras de la plus belle femme de Vienne, lui.

Quand on voit la manière de lire de la plupart des gens on se dit qu'en effet il vaudrait mieux se torcher avec ce qu'on produit. Ce ne serait que justice. 

Combien de notes y a-t-il dans une seule symphonie post-romantique ? Des millions, sans doute. Et sur ces millions de notes, combien sont écoutées, entendues, appréciées à leur juste valeur ? Quelques dizaines tout au plus. Le reste passe, comme une théorie de débris dans l'espace, à toute allure, près des oreilles des sourds qui nous entourent. 

Du vent. Ils sentent un souffle… Et se rendorment.