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dimanche 24 mars 2024

Ils nous laissent seuls

 

Il y a quelques jours, j'ai passé trois nuits en compagnie de Glenn Gould. J'avais découvert sur Internet des reportages et des documents que je ne connaissais pas, et je les ai regardés tel un assoiffé à qui l'on offre un verre de vin. Ce fut comme si j'ouvrais les yeux au sortir d'un très long sommeil. Comment avais-je pu rester toutes ces années sans lui ? Mystère. 

Je l'ai découvert au début des années 80, lorsque j'habitais seul dans une grande maison sise en un minuscule village austère de quatre-vingts âmes, en Bourgogne. Je n'étais pas tout à fait seul, puisque j'avais avec moi mon chat et mon piano, et quelques livres. En ce temps-là, je n'avais pas de télévision, à peine un téléphone dont je me servais très peu, et c'est ma ravissante voisine Anne qui était venue me chercher pour me prévenir que quelque chose d'extraordinaire se donnait à voir. J'ai passé plusieurs soirées, tard dans la nuit, seul dans son salon, car tout le monde dans cette maison était allé se coucher, devant ce pianiste dont je n'avais jamais entendu parler. Ce que j'ai vu alors m'a littéralement retourné le cerveau. C'est que je croyais connaître un peu la musique et le piano, moi… Mon univers était bien balisé, je savais où je mettais les pieds. Le piano, pour moi, c'était Dinu Lipatti, Yves Nat, Sviatoslav Richter, Kempff, Gieseking, Cortot, Arthur Rubinstein, Horowitz, Czyffra, Samson François, et plus récemment, Claudio Arrau, Emil Gilels, Maurizio Pollini, Daniel Barenboim ou Maria Joao Pires. Tous ces pianistes prestigieux formaient le terreau musical dans lequel j'évoluais depuis l'enfance, et, malgré leurs différences, malgré les générations, ils appartenaient à un même pays. J'avais avec eux des liens quasi familiaux. 

Glenn Gould fit voler en éclats ce monde-là. Tout d'abord je ne compris pas ce que j'avais sous les yeux. Tout ce qu'on m'avait appris était remis en question, et combien radicalement ! Soit ce type était fou, soit c'était un génie d'un ordre inconnu de moi. Dans les semaines et les mois qui suivirent ces quelques émissions, j'ai acheté et lu tout ce que je pouvais trouver de et sur Glenn Gould (par chance, il avait beaucoup écrit, et l'on avait beaucoup écrit à son propos). Vivre à cette hauteur-là, je ne voyais pas d'autre solution. J'avais découvert un air plus pur et plus riche que tout ce que je connaissais alors, plus radical. Il y avait les films, il y avait les livres, les compositions (ah, ce quatuor opus 1 !), les émissions de radio (la Trilogie de la Solitude), les disques, ce n'est pas la matière qui manquait. J'ai avalé tout ça comme un boulimique et j'ai développé en ces années-là une sorte de schizophrénie : j'ai dû me nourrir de tout cela en secret, car mon maître était très hostile à Gould, et personne, autour de moi, ne s'y intéressait. Plus personne évidemment ne se rappelle cette époque où la plupart des critiques étaient impitoyables avec ce qu'ils considéraient comme un pitre ou un dément ; parmi tous ceux qui aujourd'hui l'encensent, et qui en parlent comme s'il en avait toujours été ainsi, je reconnais beaucoup de ceux qui à l'époque n'avaient pas de mots assez durs pour le condamner ou s'en moquer. J'avais toutefois la chance d'avoir une petite amie qui partageait mon amour de Gould, et cette dilection quasi clandestine nous donnait des airs de conspirateurs hallucinés, mais il y avait une réelle souffrance à constater que personne ou presque ne voyait ce que nous voyions. Je me rappelle encore mes nombreuses tentatives auprès de mes confrères musiciens pour leur faire découvrir cet ovni, et leurs réactions embarrassées ou ironiques plus ou moins explicites. Ce n'était pas sérieux, d'aimer Gould. On ne pouvait l'aimer que parce qu'on était séduit par ses excentricités ou parce qu'on voulait se singulariser à bon compte. Je n'ai jamais oublié ce jour où j'ai eu l'inconscience de me confier à ce sujet à l'épouse de mon maître, elle qui avait eu la chance extraordinaire de le voir en récital à New-York. Son air d'absolu mépris (elle parlait de « son cinéma »), alors, m'a conforté dans l'idée qu'il fallait absolument taire cette passion si je ne voulais pas perdre tout crédit auprès de mes proches. 

Gould est mort en octobre 1982. Je me revois descendre du train, à Montbard, alors que je venais d'apprendre la nouvelle de son décès. Il faisait très beau, ce jour-là, et j'ai pris ma vieille Opel Rekord pour rejoindre mon domicile, à vingt kilomètres de là. Je rentrais de Paris où j'étais allé donner des cours au conservatoire. Est-ce dans le journal, que j'ai appris la nouvelle, c'est probable, dans Le Monde, ou dans Libé, je ne sais plus. Toujours est-il que je suis rentré chez moi dans un état second. À peine avais-je eu le temps de découvrir ce génie qu'il nous quittait déjà. Je n'ai pas ressenti le chagrin qui m'a étreint hier à l'annonce de la mort de Pollini, non, mais je me suis senti bien seul, seul en compagnie de mon secret. Gould, je ne l'ai jamais rencontré, à la différence du pianiste italien dont j'ai été le voisin durant quelques années, et surtout, je n'ai jamais assisté à ses concerts. Pourtant, j'ai le sentiment de mieux le connaître que Maurizio Pollini. Il m'a été plus proche, par bien des aspects, et il a influencé ma manière de jouer du piano d'une façon extrêmement profonde et durable. Mais il y aurait tant à dire sur le sujet… Durant ces quelques heures passées en sa compagnie, la semaine dernière, j'ai regardé à nouveau ce film de Monsaingeon que je connaissais très bien mais que je n'avais pas vu depuis une éternité, film dans lequel on le voit interpréter la quatrième partita de Bach, et j'ai été comme foudroyé. Moi qui croyais le connaître, j'ai pris une leçon de piano et une leçon de musique d'une intensité à couper le souffle. Je place ces quelques instants de musique au plus haut dans l'art de toucher un piano. Il faudrait vraiment que je me décide un jour à parler de ça, parce que je n'ai jamais rien lu à ce sujet qui m'ait convaincu. Personne ne parle jamais de ce qui fait que Gould est un pianiste à nul autre pareil, du moins à ma connaissance. Heureusement qu'il existe les films de Monsaingeon, car je suis convaincu que sans les images, on ne peut pas comprendre Glenn Gould. L'entendre sur disque ne suffit pas, et Gould le savait très bien. Encore faut-il qu'il soit bien filmé, et les quelques films que Monsaingeon lui a consacrés sont à cet égard remarquables. Il fallait un musicien véritable pour filmer ainsi ; ma reconnaissance lui est éternelle. L'œil nous aide, dans ce cas précis, à entendre ce qu'on ne pourrait entendre sans lui, alors que, très souvent, l'œil nous empêche d'entendre. Filmer la musique est un art bien plus exigeant qu'on ne l'imagine. 

Tout ce que les imbéciles considèrent comme des tics ou des manies de qui voudrait se singulariser ne sont en réalité que les conditions nécessaires qui rendent possible de produire et de transmettre ce que ce génie a dans l'oreille, et sa relation à la musique et aux compositeurs. Sans cette position très basse devant le clavier, par exemple, il serait impossible à Glenn Gould de jouer ainsi. Sans ce lien indissoluble entre la voix, le corps, la main et l'esprit, ce jeu si singulier ne peut exister. Il y a les pianistes qui font monter le son depuis le clavier — et les autres. Je crois que cela provient de la pratique de l'orgue. Il faut voir combien les doigts de Gould sont actifs, actifs jusqu'à l'extinction du son. Quand Gould tient une note au piano, il la fait exister comme le violoniste fait exister le son avec l'archet. Malgré ce que tout le monde remarque, son staccato, c'est dans le legato qu'il est le plus génial. Pour lui, le piano n'est jamais un instrument à percussion dont le son meurt inexorablement après qu'on a enfoncé la touche. Non, le son est vivant jusqu'à ce qu'il lâche la touche. C'est ce que montre très bien ce petit film. Jamais je n'ai vu de ma vie des doigts pareils à ceux-là, des doigts qui sont actifs tout au long du processus de production (et d'entretien) du son : il est toujours au plus près de la corde, alors que bien souvent le piano est une machine qui nous en éloigne, par son mécanisme incroyablement sophistiqué, auquel on fait trop confiance. On ne peut pas jouer ainsi si l'on a le visage loin du clavier, c'est impossible. Quand Gould joue du piano, il se dirige lui-même en train de jouer d'un instrument à cordes, ou d'un instrument à vent, ou de chanter : ses mains sont à la fois les instruments et celles de celui qui les guide et celles du compositeur. C'est ce qui donne à son jeu cette densité et cette intensité presque irréelles. Qu'il ait joué de l'orgue à l'église presque chaque dimanche durant son enfance ne peut pas être étranger à cela, qu'il ait cet instinct viscéral pour la musique contrapuntique et pour Jean-Sébastien Bach (mais aussi pour Orlando Gibbons) ne doit rien au hasard, qu'il soit contraint de chanter en même temps qu'il joue, non plus. Je me rappelle cette anecdote à la fois drôlatique et désolante : George Szell, avec qui Gould était en train de répéter, qui lui avait reproché de trop utiliser la pédale una corda, insinuant que cela rendait son jeu trop féminin (entendez un peu tapette, quoi), remarque qui avait profondément blessé le puritain Glenn Gould. Cette remarque me semble à moi parfaitement idiote, car jamais je n'ai entendu un jeu plus viril que celui de Gould ; c'est même l'une de ses très grandes qualités, quels que soient par ailleurs ses raffinements presque névrotiques. Mais je pardonne à George Szell, car c'est lui aussi qui a dit : « Ce type est complètement fou, mais c'est un génie. » 

Il m'aura fallu plus de quarante ans pour admettre que Gould est au-dessus de tous, même de ceux qui me sont les plus chers. Ce niveau d'exigence est presque inhumain, appliqué au piano. Et c'est bien ce que beaucoup ont senti à travers le monde, même confusément, même parmi ceux qui connaissent mal la musique. Il fait partie de ces êtres rares qui sont capables de nous amener au contact de ce qui nous dépasse complètement, presque malgré nous. Nous ne pouvons en concevoir qu'une infinie gratitude et un peu de terreur. J'ai pleuré en apprenant la mort de Pollini, hier, et ces larmes m'ont surpris moi-même. Jusqu'alors je trouvais ridicule de s'apitoyer ainsi sur la mort de qui l'on a pas connu intimement. Mais malgré mon chagrin bien réel, je n'ai pas le sentiment d'une perte aussi importante que celle que j'ai ressentie en octobre 1982 — Dieu sait pourtant que je place Pollini très haut dans mon panthéon musical intime. Ce n'est tout simplement pas du même ordre. La radicalité de Glenn Gould m'a changé complètement il y a quarante ans, et pas seulement d'un point de vue musical. C'est ce sentiment que j'ai retrouvé, presque miraculeusement, il y a quelques jours, et c'est ce sentiment que je m'étonne d'avoir oublié durant de longues années. Sans doute ai-je jugé que je n'étais pas en mesure de vivre à cette altitude. Mais même si je n'en suis pas capable, cette exigence est plus précieuse que tout, et je refuse de vivre dans le monde qui m'en prive ou m'en détourne. Les noms qui nous parviennent sans cesse, toute la journée, les nouvelles, les sons, les productions artistiques, les récits qui les accompagnent, la bêtise, la vulgarité, la rumeur de mon époque me paraissent ignobles, dès que je me retrouve en compagnie de Gould, et je m'en veux terriblement de leur accorder une minute de mon temps et de mon attention. L'enfer, c'est exactement ça, c'est avoir cédé sur son désir et sur l'exigence qui l'accompagne nécessairement. 

Pollini et Gould ont au moins un point commun qui ne me paraît pas du tout secondaire : ils sont beaux tous les deux. Ils sont beaux quand ils sont jeunes, ils sont encore plus beaux quand ils sont vieux. Leur beauté doit tout à l'intelligence et à l'exigence, à l'esprit qui a façonné le corps. L'un comme l'autre n'auront pas fait beaucoup de concessions, c'est le moins qu'on puisse dire. Plus je vieillis plus j'aime la radicalité. Il n'y a qu'en ses terres qu'on se sent vivant. L'art sans radicalité, ça ne vaut pas tripette. Il ne s'agit pas de divertir, et encore moins de tuer le temps, il s'agit de transformer l'être humain, ou de le restituer à sa véritable ambition, qui est de rendre le temps vivant, de trouver la vie à travers le temps, de ne pas mourir avant d'être mort. C'est ça, la grande leçon de l'art, et ce qui le différencie radicalement du divertissement qui a littéralement pourri nos existences. Mais nous sommes tous responsables, et moi le premier. Qui m'oblige à m'intéresser aux féministes vociférantes, à Aya Nakamura, au cinéma, à l'actualité, à Emmanuel Macron, à la maire de Paris, aux ridicules écrivains qui publient à tour de bras, à ces éternelles histoires de consentement, aux articles publiés dans Blablateur ou ailleurs, aux polémiques hebdomadaires, aux angoisses de mes contemporains, aux femmes cheffes d'orchestre, à la mode vestimentaire ou culinaire, aux vedettes qui passent à la télé, et même aux misères des princesses ? Personne. Personne n'est responsable, sinon moi-même. 

La musique est plus que la musique, et cela je le sais depuis toujours. Il n'y a pas de morale plus haute que la musique ; l'exigence est au commencement de tout, au même titre que l'amour. Il est même possible que ce soit une seule et même chose. Le Christ était à la fois l'amour et l'exigence incarnés. 

C'est dans la Solitude que le divin éclôt, et les artistes de ce calibre nous y attendent.

dimanche 19 novembre 2023

Le dos de Pierre Monteux


« L'entrée de la maison est extraordinaire. Une véritable entrée de bordel. Tentures, moquettes, et un gros cordon de panne rouge servant de main-courante à l'escalier. Dans l'antichambre, une lampe mauresque de bazar, et tout cela feutré, silencieux, d'une discrétion sourde, équivoque et clandestine. » C'est le 21 avril 1913 que François-Paul Alibert (« Le supplice d'une queue ») note ces quelques phrases dans son journal, alors qu'il a rejoint Gide et Henri Ghéon à Rome. « La chambre de Gide donne sur un jardin intérieur, un véritable jardin suspendu, un puits retourné de feuilles et de fleurs, tout à fait surprenant à cette hauteur, et d'un retiré, d'un confiné, d'un mystérieux à vous plonger dans un abîme de rêveries : un véritable jardin de Bethsabée. » 

J'aurais voulu vivre en 1913. Être romain et français. 

Sa première composition s'intitule « le Jeune Faune et la bergère ». Il m'aura fallu attendre un âge mûr pour apprendre et surtout comprendre que les thèmes du Sacre du printemps, que je pensais être des thèmes originaux, sont empruntés (entre autres) au folklore lituanien. La haute création recherche l'obstacle.

« Tout ce qu'on a écrit sur la bataille du Sacre du printemps reste inférieur à la réalité. Ce fut comme si la salle avait été secouée par un tremblement de terre. Elle semblait vaciller dans le tumulte. Des hurlements, des injures, des hululements, des sifflets soutenus qui dominaient la musique, et puis des gifles, voire des coups ! Les mots semblent bénins, lorsqu'on évoque une telle soirée. Le calme reparaissait un peu, quand on donnait soudain la lumière dans la salle. Je ne cacherai pas que notre calme rivière était devenue un torrent tumultueux. On y voyait entre autres Maurice Delage, rouge, grenat, même, vraiment grenat d'indignation, Maurice Ravel, combatif comme un petit coq furieux, Léon-Paul Fargue, vociférant des épithètes vengeresses vers les loges sifflantes. Je me demande comment cette œuvre si difficile pour 1913 put être jouée et dansée jusqu'au bout dans un tel vacarme. On a tout raconté sur ce sujet : les danseurs n'entendant plus la musique, Nijinsky très pâle criant les temps des coulisses, Diaghilev donnant des ordres de sa loge, les horions donnés et reçus. Quant à moi, je ne perdis rien du spectacle qui se passait autant dans la salle que sur la scène. Debout entre les loges centrales, je me sentais très à l'aise au milieu de la tempête, et j'applaudissais avec mes amis. » (C'est Valentine Marie Augustine Hugo, née Gross, qui raconte.)

Le Sacre du printemps ne fut joué à l'époque que cinq fois à Paris, trois fois à Londres… et c'est tout. La carrière de Nijinsky, en Europe, n'aura duré que cinq ans. C'est pourtant encore à l'heure actuelle le danseur le plus connu du monde. 

« Mais il y a dans le Sacre du printemps quelque chose de plus grave encore, un second sens, plus secret, plus hideux. Ce ballet est un ballet biologique. Non pas seulement la danse de l’homme le plus primitif ; c’est encore la danse avant l’homme. Dans son article de Montjoie, Stravinsky nous indique qu’il a voulu peindre la montée du printemps. Mais il ne s’agit pas du printemps auquel nous ont habitués les poètes, avec ses frémissements, ses musiques, son ciel tendre et ses verdures pâles. Non, rien que l’aigreur de la poussée, rien que la terreur “panique” qui accompagne l’ascension de la sève, rien que le travail horrible des cellules. Le printemps vu de l’intérieur, le printemps dans son effort, dans son spasme, dans son partage. On croirait assister à un drame du microscope ; c’est l’histoire de la karyokinèse ; profonde besogne du noyau par quoi il se sépare de lui-même et se reproduit ; division de la naissance ; scissions et retours de la matière inquiète jusque dans sa substance ; larges amas tournants de protoplasme ; plaques germinatives ; zônes, cercles, placentas. Nous sommes plongés dans des royaumes inférieurs ; nous assistons aux mouvements obtus, aux va-et-vient stupides, à tous les tourbillons fortuits par quoi la matière se hausse peu à peu à la vie. » (Jacques Rivière)

« Ce n'est pas là simplement une nouveauté négative. Stravinsky ne s'est pas simplement amusé à prendre le contre-pied de Debussy. S'il a choisi des instruments qui ne frémissent pas, qui ne disent rien de plus que ce qu'ils disent, dont le timbre est sans expansion et qui sont comme des mots abstraits, c'est parce qu'il veut tout énoncer directement, expressément, nommément. Là est sa préoccupation principale. Là est son innovation personnelle dans la musique contemporaine. Plus d'écho, parce que plus rien ne doit être exprimé par simple allusion. Dans le sujet qu'il se propose, il veut qu'il n'y ait aucun détail qui soit atteint par la seule diffusion des ondes sonores, qui soit seulement touché par les franges de l'orchestre. Il s'interdit d'utiliser l'ébranlement. Il ne veut pas compter sur ce que la symphonie entraîne en passant, par une adhérence fortuite et momentanée. Mais il se tourne vers chaque chose et la dit ; il va partout ; il parle partout où il faut, et de la façon la plus exacte, la plus étroite, la plus textuelle. Sa voix se fait pareille à l'objet, elle le consomme, elle le remplace ; au lieu de l'évoquer, elle le prononce. Il ne laisse rien en dehors; au contraire il revient sur les choses : il les trouve, il les saisit, il les ramène. Son mouvement n'est point d'appeler, ni de faire un signe vers les régions extérieures, mais de prendre, et de tenir, et de fixer. Par là Stravinski opère en musique, avec un éclat et une perfection inégalables, la même révolution qui est en train de s'accomplir, plus humblement et plus péniblement, en littérature: il passe du chanté au parlé, de l'invocation au discours, de la poésie au récit. » (JR)

1913, c'est une année avant la naissance de mes parents, une année avant la Grande Guerre, dont l'Europe ne se remettra jamais tout à fait. Concentré de création (et de remous politiques) comme jamais, année miraculeuse et tragique, mouvement prodigieux interrompu brutalement. Danse sur un volcan…

« L'image du dos de Monteux est plus présente aujourd'hui à mon esprit que le spectacle sur scène. Encore maintenant, il me semble incroyable qu'il ait réussi à tenir l'orchestre jusqu'au bout. Quand le vacarme se déchaîna pour de bon — dès le début il y avait de petits bruits — je quittai ma place et me rendis en coulisses pour aller rejoindre Nijinsky côté jardin. Debout sur une chaise, juste hors de la vue du public, il criait des numéros aux danseurs. Je me demandais ce que ces numéros pouvaient avoir affaire avec la musique, car il n'y avait ni 13 ni 17 dans la partition. » (Stravinsky)

Le futurisme de Marinetti est essentiellement contre l'Italie de 1909. L'idéal futuriste est un idéal prométhéen : « La guerre est la seule hygiène du monde. » La vitesse est née là, avec ceux qui avaient les musées et le repos en horreur. La vitesse, chère à Paul Morand…

Et Varèse, et Webern ? Et Nadia Boulanger, amoureuse de Raoul Pugno (éditeur des œuvres de Chopin et Schumann pour les éditions Universal) qui avait joué la Fantaisie pour piano et orchestre de “Mademoiselle”…

L'image du dos de Monteux… On voit la photographie célèbre de Stravinsky, en noir et blanc ; il est assis devant un piano, une partition manuscrite sur le pupitre ; il est tourné sur le côté, le bras gauche posé sur la piano, il ne regarde pas le photographe : très élégant, un front énorme, en deux parties étagées, une fine moustache, de petites lunettes rondes, des sourcils très fins et très dessinés, la bouche à demi-ouverte, un gros nez terrien. J'aurais voulu voir le dos de Monteux. On est à la veille de la Grande Boucherie. Stravinsky touche la terre russe de ses ancêtres. Violence et élégance. Creuset où se sont déversées les pulsions de l'époque. Vieillards et jeunes filles. Ballet ou symphonie ? Ni l'un ni l'autre. La danse est rattrapée par la musique, ô combien. Mais il faut néanmoins regarder la chorégraphie originelle, celle de Nijinsky, à la création, pour comprendre qu'une autre partition s'est à l'époque surimposée à celle de Stravinsky : les pieds des danseurs étaient des instruments de percussion. Ça change tout et depuis que j'ai vu cette chorégraphie, je n'entends plus cette musique de la même oreille.

Stravinsky aurait pu être Premier ministre, ambassadeur, écrivain ; à dix-huit ans, il ne sait pas très bien ce qu'il va devenir. 

Wagner ? « Je dois avouer que je trouve ses créations sans importance. »

Je n'arrête pas de me demander comment il se fait qu'après le Sacre il n'ait plus jamais fait ce genre de musique. Il y est monté très rapidement, au Sacre. En quatre ans et trois ballets. Les marches étaient très hautes. L'Oiseau de feu, encore d'inspiration tchaïkovskienne, puis Petrouchka, qui abandonne tout romantisme, et déjà le Sacre surgit ; de rien, dirait-on. Il a construit ses propres armes et les a utilisées jusqu'à leurs dernières cartouches. Il ne restait plus rien. Est-ce la guerre et ses limitations qui a interdit au compositeur de poursuivre ? La guerre, la révolution… Et puis la rencontre miraculeuse avec Ramuz, bien sûr. L'éloignement. Des mots simples, tranchants, rares. Paris est loin, alors. Et puis, comment dépasser un chef-d'œuvre de l'ampleur du Sacre ? Il faut faire autre chose si l'on ne veut pas péricliter. Quand on écoute Stravinsky, on apprend à écouter aussi bien Beethoven que Mozart que Ravel. Il déshabille la musique. On se met à en voir le squelette, on descend au fond des cellules, on glisse d'un organe à l'autre, des oreilles neuves nous poussent un peu partout sur le corps. Ça râpe et ce n'est pas aussi douillet qu'on l'imaginait. Les combinaisons musicales que nous croyions connaître comme notre poche, il nous les présente sur une table de dissection et nous ne les reconnaissons plus. La grammaire, sa grammaire, est inouïe. Il peut prendre une musique du XVIIIe ou une chanson populaire lituanienne, ça n'a aucune importance, ce sera du Stravinsky. Il s'adapte à tout, même au dodécaphonisme, et il pratique la cure d'amaigrissement. Impossible d'imaginer un Stravinsky ventripotent. La tonalité, bien que transparente, a pris elle aussi un air nouveau : on se met à la regarder autrement, comme si elle venait d'être inventée. Stravinsky a voyagé à l'intérieur de l'histoire de la musique. Il en a effectué un relevé d'apprenti. En quelques années seulement, nous avons tout le paysage, et même le jazz. Et pourtant…

À la même époque se tenaient Debussy et Schoenberg, qui avaient choisi des voies radicalement autres. Le croisement de ces trois-là, en 1913, est l'un de ces carrefours d'où partent toutes les routes que nous arpentons aujourd'hui sans y penser. J'aime imaginer ces trois cerveaux mélangés en un seul : quelle musique aurait pu en sortir ? Sans doute aucune. Il fallait qu'ils empruntent des chemins tout à fait séparés, qu'ils se regardent de très loin, pour qu'ils restent bons amis, ou bons ennemis. Il est impressionné par la « grandeur impassible » du catholicisme. On fait les choses, on les fait bien, et après on passe à autre chose. Il orchestre l'hymne américain. Il se prend très au sérieux. Il est radin. Il habite à Hollywood. Schoenberg aussi. Craft fait le va-et-vient entre les deux compositeurs, mais ils ne se rencontrent pas. Craft montre à Stravinsky les partitions de Webern. Le cabinet de travail du Russe était une pièce extraordinaire (dix mètres sur douze), le bureau le mieux organisé et le mieux installé qu'on puisse imaginer : deux pianos (un piano droit et un piano à queue), deux grandes tables, un petit bureau élégant et une table de dessinateur, deux armoires à rayonnages, contenant des livres, des partitions et du papier à musique. Il y avait en outre plusieurs autres petites tables, dont l'une d'elles était réservé au fumeur, sur laquelle étaient posés de nombreux paquets de cigarettes, de fume-cigarette et de cure-pipe, cinq ou six chaises confortables, et un divan sur lequel il faisait sa sieste. Il va poliment attendre que Schoenberg meure pour écrire de la musique dodécaphonique. Il a besoin de structurer rigoureusement sa pensée, comme son bureau. Il ne finira jamais d'expérimenter, il passe à travers les styles en y laissant sa marque et il déclare que seuls les compositeurs sont de bons chefs d'orchestre : « Richard Strauss, Pierre Boulez et moi ». Aucune technique de direction mais une aura hors du commun… Il était impitoyable avec les chefs qui dirigeaient sa musique, même les meilleurs, comme Ansermet ou Monteux. 

« Les artistes qui représentent des corps ont certaines mesures selon lesquelles ils composent leurs œuvres comme il convient ; ils utilisent leurs instruments pour faire en sorte que l'objet extérieur corresponde le plus exactement possible à cette lumière d'harmonie qu'ils sentent en eux, et que l'œuvre, par la voie des sens, plaise à ce juge intérieur qui contemple les nombres supérieurs. » (Saint Augustin)

Pour ses quatre-vingts ans, il fait un pèlerinage en Russie. Rencontrant Tikhon Khrennikov, le secrétaire général des compositeurs soviétiques nommé par Jdanov en 1948, et alors que celui-ci veut lui serrer la main, Stravinsky refuse et lui tend sa canne, dont l'autre attrape le bout en caoutchouc, faute de mieux. Le vieux avait de la mémoire. 

« Comme la beauté, Nijinsky est un drame. » C'est Cocteau qui parle ainsi. « Tout lui était danse, l'immobilité comme le saut, et le geste, et le regard, et la manière de tourner la tête de droite à gauche et de gauche à droite, et même le salut final, qui était encore un spectacle dont le public ne se lassait pas, le rappelant et l'acclamant, jusqu'à ce que ses aides et son domestique Vassili le douchassent, le frottassent et le soignassent dans la coulisse comme un boxeur après le match. »

Les compositeurs qui comptent ne gardent pas le silence mais sont gardés par le silence, qui fait un écrin profond à leur musique. C'est dans ce silence-écrin que le drame de leur musique peut se déployer sans arrière-pensée. 

« On me dit souvent que la musique moderne n'est pas mélodieuse et qu'il ne saurait y avoir de musique réelle sans mélodie. Quelle sottise ! » « Il m'est difficile de dire lesquels, de mes amis ou de mes adversaires, m'ont fait le plus de mal. » « Le jazz, tant critiqué par les partisans de la musique “sérieuse”, a une importance proprement considérable. Je l'ai devancé dans mes premières œuvres, avant que personne en Europe eût entendu parler du jazz. » 

« Francis Poulenc, voulant s'excuser et excuser les musiciens de son entourage, d'avoir ignoré, négligé et mal compris l'importance d'Arnold Schoenberg, avait dit : “Que voulez-vous, nous étions tous éblouis (aveuglés ?) par le soleil du génie Stravinsky… Le surnaturel ne lui a jamais manqué.” » (Pierre Souvtchinsky)

Les sauts célèbres de Nijinsky, on les entend dans la musique de Stravinsky. C'est peut-être ce qui déplaisait tant à Glenn Gould, qui parlait des « éjaculations sarcastiques » du Sacre. Le Russe n'était pas un puritain, lui. Il ne craignait pas de sortir du cercle, et, en matière de cercle, il en connaissait un rayon. La structure et le dogme lui étaient aussi nécessaires que la géométrie. Sa musique est une (dé)monstration de l'espace plus que du temps. Son partenaire intérieur fixait les distances et les angles, et le compositeur choisissait les couleurs et les textures qui habillaient au mieux ces figures abstraites, leur donnaient une physionomie simple et efficace, dénuée de pathos. « Si je crois en Dieu, Dieu doit croire en moi. » Stravinsky se sépare de lui-même et se reproduit selon des rites précis, élégants et hautains. 

Il ne crée pas de la violence, il la canalise et la maîtrise. Il lui donne un cadre et une forme. Elle est là, même quand elle reste dans les coulisses, comme dans les Symphonies d'instruments à vent. La douceur trompeuse de la consonance, prise non pas dans son sens harmonique, mais plus radicalement de ce qui sonne ensemble, en même temps, de ce qui sort des consonnes qui font vibrer le son, qui lui donnent un point de départ, une origine, qui frappent l'air pour le mettre en mouvement. Il y a chez Stravinsky une qualité percussive (un souvenir ou un écho de la percussion) même dans les sons tenus. C'est ainsi qu'il faut comprendre le titre : « Symphonies d'instruments à vent », la deuxième des œuvres de Stravinsky dédiées à Claude Debussy. « En composant mes Symphonies, je pensai naturellement à celui à qui je voulais les dédier. Je me demandai quelle impression ma musique lui aurait faite, quelles auraient été ses réactions. Et j'avais le sentiment net que mon langage musical l'aurait peut-être déconcerté… Mais cette supposition, je dirais même cette certitude que ma musique ne l'aurait pas atteint, était loin de me décourager. Dans ma pensée, l'hommage que je destinai à la mémoire du grand musicien que j'admirais ne devait en rien être inspiré par la nature même de ses idées musicales ; je tenais au contraire à l'exprimer dans un langage qui fut essentiellement le mien… Je ne comptais pas et je ne pouvais compter sur un succès immédiat de cette œuvre. Elle ne contient pas de ces éléments qui agissent infailliblement sur l'auditeur moyen ou auxquels il est accoutumé. On y chercherait en vain un élément passionnel ou l'éclat dynamique. C'est une cérémonie austère qui se déroule en de courtes litanies entre différentes familles homogènes. Je prévoyais bien que des cantilènes de clarinettes et de flûtes reprenant fréquemment leur dialogue liturgique et les psalmodiant tout doucement n'étaient pas un attrait suffisant pour le public qui, encore tout récemment, venait de me manifester son enthousiasme pour le “révolutionnaire” Sacre du Printemps. » L'œuvre date de 1920 (à l'époque de sa liaison avec Coco Chanel) et lui a été commandée par la Revue Musicale. Elle est créée à Londres le 10 juin 1921. Plus d'éjaculations sarcastiques, ici, plus de déchainements cataclysmiques, mais une tonalité douce-amère et astringente qui nous plonge dans un état second. Les timbres frôlent nos nerfs et les litanies placides des instruments à vent nous portent au bord d'une sorte de tétanie qui contraste avec le calme apparent de la musique — calme qui ne contredit pas l'âpreté, puisqu'il n'existe pas de transitions, dans cette musique austère : les sections s'enchaînent directement ou plutôt ne s'enchaînent pas, elles sont juxtaposées les une aux autres, par blocs. Ces sections hiératiques ne s'influencent pas les unes les autres, elles restent de marbre, ou presque ; identiques à elles-mêmes, elles constituent des moments, au sens où Stockhausen a employé ce terme plus tard. Mais si l'on oublie un peu cette forme nouvelle, et peut-être choquante, le caractère qui prédomine est celui du rituel

Pour en revenir au Sacre (autre rituel, si l'on veut), et donc à l'année 1913, il faut absolument citer Stravinsky lui-même : « Dans le Prélude, avant le lever de rideau, j'ai confié à mon orchestre cette grande crainte qui pèse sur tout esprit sensible devant les choses en puissance, s'élargissant dans tout l'orchestre. C'est la sensation obscure et immense que toutes les choses ont à l'heure où la nature renouvelle ses formes ; c'est le trouble vague et profond de la puberté universelle. » Tout est dit, et magnifiquement dit, il me semble. On peut voir une analogie avec cette année 1913, où toutes les choses renouvellent leurs formes. Et Stravinsky n'était pas le seul à y concourir, même si sa musique a eu le retentissement le plus considérable. La crainte est donc inscrite au cœur de la création de Stravinsky, et cette crainte nous met par contagion en état d'alerte : le mystère sonore parle une langue dont les accents incongrus et imprévisibles viennent agacer notre identité étale, nous nous sentons pris par une métamorphose incessante dont nous sentons bien que nous ne sommes pas seulement les spectateurs, qui ronge notre moi de l'intérieur. À la même époque, James Joyce écrivait : « Certaines pages sont laides, obscènes et bestiales, certaines sont pures et sacrées et spirituelles : je suis tout cela. » Stravinsky est tout cela, quand il compose le Sacre : il fait confiance à son oreille qui retient tout ce qui vient à elle, et il dispose ensuite ces éléments hétérogènes dans un cercle magique qui les tient ensemble en une ronde sacrée et extatique ; c'est par le rythme et la répétition qu'il administre la forme. Son développement à lui, c'est la variation des figures au sein d'un tissu orchestral fait d'accumulations successives et de superpositions stratifiées. La puberté universelle… Ça pousse, là-dessous ! Prendretenirfixer, disait Jacques Rivière. À l'heure où tout change, où tout se transforme, il faut fixer et tenir, prendre appui sur le sol, revenir à la terre, mettre ses pas dans ceux de la nature, et également de la tradition, celle de la liturgie orthodoxe byzantine, audible entre autres dans les Symphonies d'instruments à vent. En étudiant le Sacre du printemps, on s'aperçoit que beaucoup de choses qu'on prenait pour des fulgurances de la modernité étaient plutôt des archaïsmes. En cela, Stravinsky n'est pas si éloigné qu'on pourrait le penser d'un Béla Bartók, son exact contemporain, qui lui aussi a beaucoup puisé dans le folklore de son pays pour élaborer un vocabulaire neuf. 

1913 est une année décisive dans la vie de Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky, puisque les éditions du Mercure de France éditent Alcools, somme de son travail poétique depuis 1898, premier recueil de la poésie lyrique moderne — recueil dans lequel Apollinaire avait supprimé toute ponctuation (même si la décision de ne pas ponctuer doit beaucoup au hasard, puisqu'elle est due en partie aux épreuves que le poète avait reçues, qui étaient involontairement dénuées de ponctuation : « C'est pas la peine de la mettre, ça ira très bien comme ça »). Apollinaire, lui aussi faux (ou vrai) moderne…

En 1913, Bartok a 32 ans, comme Picasso. Il compose de la musique pour piano, sa Danse orientale Sz 54, Mondrian a 41 ans et peint sa Composition XIV, Webern a 30 ans. Debussy a 51 ans, cette année-là, un cancer du rectum le fait beaucoup souffrir mais il part tout de même en tournée à Saint-Pétersbourg, où il rencontre son amour de jeunesse, Sonia von Meck, devenue la princesse Galitzine, qui lui dit : « Il semble que nous avons beaucoup changé. » À quoi Debussy répond : « Oh non, Madame, nous n'avons pas changé, c'est le temps qui a changé. » L'année précédente il a composé Jeux, un ballet commandé par Diaghilev, qui sera créé le 15 mai au théâtre du Châtelet deux semaines avant le Sacre. Sa musique, extraordinaire, prophétique et d'une finesse inouïe (beaucoup moins tapageuse que celle de Stravinsky) est accueillie froidement. Assez réticent quant à la chorégraphie de Nijinsky (« Il paraît que cela s’appelle la “stylisation du geste”… C’est vilain ! c’est même Dalcrozien »), il écrit un texte très drôle : « Je ne suis pas homme de science ; je suis donc mal préparé à parler de danse, puisque aujourd'hui on ne saurait rien dire de cette chose légère et frivole sans prendre des airs de docteur. Avant d’écrire un ballet, je ne savais pas ce que c’était qu’un chorégraphe. Maintenant, je le sais : c’est un monsieur très fort en arithmétique ; je ne suis pas encore très érudit, mais j’ai retenu pourtant quelques leçons… celle-ci par exemple : un, deux, trois, quatre, cinq ; un, deux, trois, quatre, cinq, six ; un, deux, trois ; un, deux, trois (un peu plus vite), et puis on fait le total. Ça n’a l’air de rien, mais c’est parfaitement émotionnant, surtout quand ce problème est posé par l’incomparable Nijinsky. Pourquoi je me suis lancé, étant un homme tranquille, dans une aventure aussi lourde de conséquences ? Parce qu’il faut bien déjeuner, et parce que, un jour, j’ai déjeuné avec Monsieur Serge de Diaghilev, homme terrible et charmant qui ferait danser les pierres. Il me parla d’un scénario imaginé par Nijinsky, scénario fait de ce “rien du tout” subtil dont j’estime que doit se composer un poème de ballet : il y avait là un parc, un tennis, la rencontre fortuite de deux jeunes filles et d’un jeune homme à la poursuite d’une balle perdue, un paysage nocturne, mystérieux, avec ce je ne sais quoi d’un peu méchant qu’amène l’ombre ; des bonds, des tours, des passages capricieux dans les pas, tout ce qu’il faut pour faire naître le rythme dans une atmosphère musicale. D’ailleurs, il faut bien que je l’avoue, les spectacles des “Russes” m’ont si souvent ravi par ce qu’ils ont de sans cesse inattendu, la spontanéité naturelle ou acquise de Nijinsky m’a si souvent touché, que j’attends comme un enfant bien sage à qui on a promis le théâtre, la représentation de Jeux dans la bonne Maison de l’avenue Montaigne — qui est la Maison de la Musique. Il me semble que les “Russes” ont ouvert, dans notre triste salle d’études où le maître est si sévère, une fenêtre qui donne sur la campagne. Et puis, pour qui l’admire comme moi-même, n’est-ce point un charme que d’avoir Tamar Karsavina, cette fleur doucement infléchie, pour interprète et de la voir avec l’exquise Ludmila Schollar jouer ingénument avec l’ombre de la nuit ?… » Mais aussi : « Le génie pervers de Nijinsky s’est ingénié à de spéciales mathématiques ! Cet homme additionne les triples croches avec ses pieds, fait la preuve avec ses bras, puis subitement frappé d’hémiplégie, il regarde passer la musique d’un œil mauvais. »

Quatre chefs-d'œuvre de cette époque (Jeux, de Debussy, le Sacre, de Stravinsky, le Prince de bois, de Bartok, et les Six Bagatelles pour quatuor à cordes d'Anton Webern) pourraient suffire à en faire la plus passionnante de toutes (Ravel décrira ce temps comme le plus heureux de sa vie), mais il faut encore y ajouter tant de créations et tant d'esprits incomparables, tant de subtilité et d'espérance, et la grande ombre de Proust… Lorsque nous nous penchons rétrospectivement sur l'année 1913, il nous semble que toute l'intelligence, tout l'esprit, tout le raffinement d'une civilisation s'étaient donné rendez-vous en ce point de l'espace et du temps. Cent-dix années se sont écoulées depuis lors, et ces cent-dix années nous semblent, avec la Grande Guerre qui les a ouvertes, les portes du Désastre mondialisé et déculturé au fond duquel nous suffoquons. Nos aïeux côtoyaient des génies, nous côtoyons des larves. Ils vivaient au printemps, nous vivons au fin fond de l'hiver. En août de cette année-là, Guillaume Apollinaire, déprimé, qui venait de se séparer de Marie Laurencin (il a « le vin trop mauvais »), fit un séjour à la villa Printania, à La Baule, au 27, avenue de Chateaubriand. « Chère petite Marie, je suis parti pour La Baule au lendemain de mon arrivée à Paris, Achète-toi le chapeau de feutre, je te rembourserai en rentrant. (…) Il paraît qu'il y a un monde fou, mais comme la plage a douze kilomètres de long, on dirait qu'il n'y a personne. (…) Soigne-toi, Coco chérie. Je te baise partout et pense à toi sans cesse. C'est toi mon souvenir et c'est toi ma richesse. » Marie Laurencin, qu'Apollinaire surnommera Tristouse Ballerinette, morte en 1956, se fera enterrer, vêtue de blanc, avec les lettres du poète sur son cœur.

André Gide, dans son journal, à la date du 26 juin 1913 : « Il me semble parfois que je n'ai rien écrit de sérieux jusqu'ici, que je n'ai présenté qu'ironiquement ma pensée, et que si je disparaissais aujourd'hui je ne laisserais de moi qu'une image d'après laquelle mon ange même ne pourrait me reconnaître. (…) Peut-être après tout cette croyance en l'œuvre d'art et ce culte que je lui voue empêchent-ils cette parfaite sincérité que je voudrais obtenir de moi-même. Qu'ai-je à faire de la limpidité qui n'est qu'une qualité de style ? » 

« Le particulier importe plus que l'essentiel. » C'est Gide, encore, qui note cela dans son journal, le 21 mai 1913. « Ce soir mon encre est bourbeuse et ma plume émoussée. Avant d'écrire le premier mot de ma phrase, j'attends qu'elle soit toute formée dans ma tête. Déplorable… Plutôt l'incorrection ! » Le particulier importe plus que l'essentiel… Voilà qui fait une belle devise pour qui veut noter ce qui passe. Ne pas attendre que la phrase soit formée pour entamer son écriture, la prendre au saut du littéraire. Oser écrire. Écrire plus et penser moins. Oser, tout simplement, comme on ose avec une femme. 

Journal de Roger Martin du Gard, ami d'enfance de Gaston Gallimard, 9 avril 1913. Il trouve un brouillon de lettre, dans les papiers d'Hélène, sa femme : « Le passé ne me donne que du regret, et je n'attends plus rien de l'avenir, alors quelquefois je n'ai plus aucun courage. » Cette lettre lui a sauté au visage car il croyait son épouse heureuse au sein de leur ménage. « Tout un commerce à mon insu. [Une lettre] écrite [à qui ?] depuis que nous sommes ici, certainement. Et c'est ça qui m'affole. Depuis que nous sommes ici, Hélène paraît gaie et heureuse. Elle me dit même souvent combien elle est tranquille et combien elle aime cette villa. Et je découvre à quel point elle dissimule son désenchantement, à quel point elle me dupe en jouant le calme bonheur. C'est effroyable. (…) Nous avons l'air non seulement d'un ménage heureux, mais même d'un ménage très uni et très tendre, et voilà les abîmes que recouvre un pareil ménage. Hélène est malheureuse, atrocement déçue par la vie, et pourtant, quand je pense à toutes les concessions que j'ai faites, je ne peux pas croire que j'aurais pu la rendre plus heureuse. (…) Le physique, pour elle, n'existe pas. C'est la chair. C'est le péché. » L'effroi ressenti par Roger Martin du Gard le fait littéralement sortir de la paix, et ce qu'il découvre par hasard c'est un monde inconnu, insoupçonné et inquiétant. Je vois l'année 1913 comme la dernière (bien sûr, il s'agit en partie d'une illusion) d'un monde heureux et d'une civilisation en paix avec elle-même. Nous ne pouvons, comme Hélène, que regretter les heures heureuses, même si elles furent tumultueuses et parfois obscures, et, comme elle, nous ne pouvons pas en parler ; il nous faut sans cesse imiter la béatitude tranquille de ceux qui adorent le présent comme on adore un dieu possessif : leur torpeur est un sauf-conduit dont le prix est trop élevé pour nous. Nous n'avons pas changé, non, c'est le temps qui a changé, comme le dit Claude-de-France. 

« Juillet. Dimanche 27. Vite, avant le déjeuner, je trouve un moment pour m'isoler un peu et épancher mon cœur. Tout le monde est en bas. Maman et Simone sont en bas avec Mme Bohé et Mlle Marguerite Jeay. Elles organisent la course de mardi. Grand-mère est partie dans le village pour chercher du champagne. On espère que cela fera du bien à la pauvre Marie-France qui, étendue dans la chambre de Maman, ne peut plus respirer. Son état est toujours tellement épouvantable qu'on ne sait qu'y faire. Il lui faut un calme extraordinaire. Au moindre mouvement, elle pleure, et tout à l'heure j'ai été remballée de la belle façon ! » « J'ai très bien goûté et puis Odette et moi avons causé. Simone a merveilleusement chanté. Papa a joué la Sonate au clair de lune de Beethoven. Ensuite il a joué une symphonie de Beethoven à quatre mains avec Maman. Puis nous avons dîné. À table, on a dit beaucoup de mal des sports. » (Une jeune fille de treize ans tient son journal.) Il existe un livre qui recueille des lettres et des écrits plus ou moins anonymes de l'année 1913. « J'ai dit à Nadia que je n'épouserai qu'un homme capable de me porter dans ses bras. » « Chère Coco, c'est jeudi ta première communion, je suis content et je penserai à toi ce jour-là. D'ailleurs j'y pense tous les jours. Le jour du grand événement, je serai sans doute à cheval dans les champs. Prie bien le bon dieu pour ton papa et ta maman. Ton grand-frère qui t'aime bien. » Il suffit de lire ces gens et de les écouter parler pour avoir les larmes aux yeux. La banalité ici est à la fois salvatrice et déchirante. 

Devant nous, le dos tourné de Pierre Monteux, imperturbable, muet, indéchiffrable. À côté de nous, (et parfois en nous) le vacarme, les cris et les coups, les discours et le ressassement ; les guerres en cours ou qui approchent (comme en 1913). Loin en arrière, et tout proche, un siècle où les gens s'écrivaient, au deux sens du verbe. Ça ne cliquait pas encore. Ça ne scrollait pas non plus. Ça n'était pas branché en permanence sur le monde planétaire et ses soubresauts inarticulés. Je rêve, sans doute, mais les heures de ce temps-là me semblent des heures véritables, au sein desquelles chaque seconde était à la fois vécue et rêvée, révélée : le printemps vu de l'intérieur, le printemps de la poésie la plus réelle, la plus exigeante — la fragilité et l'intense beauté de la vie révélées par l'art. 

L'année 1913 a vu naître le réfrigérateur et le soutien-gorge, les meetings aériens, ou encore le travail à la chaîne : la Modernité fait son entrée dans les foyers, accompagnée de l'individualisme. La modernité, c'est bien, quand on est à son commencement. C'est nettement moins bien quand on se trouve à son dénouement et qu'on aperçoit tout le meurtre qu'elle portait en elle. Aller au cinéma, posséder une voiture, se saouler de publicité grisait. Tant que la nouveauté n'est pas émoussée, tant qu'on a la sensation d'être libre, tant que ce mode de vie parvient à cacher les chaînes qu'il apporte avec lui, il y a une euphorie indiscutable à épouser la dynamique d'une époque. L'année 1913 est l'année du surgissement du présent : le sentiment exaltant de pouvoir en découdre avec ce qui contraint, dans la société, avec ce qui ralentit, avec ce qui pèse. On sort de l'hiver, la sève jaillit, les individus se sentent partie prenante d'un mouvement général, d'une accélération générale. L'Avant-garde, tout le monde veut en être. 

Bien sûr, le présent porte sa perte en lui-même, mais cette perte est d'abord souterraine, asymptomatique. Seuls les visionnaires ou les poètes savent ce qu'on perd en gagnant. Seuls les véritables modernes connaissent le danger de la modernité (ici, pensons à la « grande crainte qui pèse sur tout esprit sensible devant les choses en puissance » de Stravinsky), et donc s'y opposent de toute leur âme, même et surtout quand ils sont en avance sur les autres. L'attitude d'un Schoenberg est à cet égard édifiante, lui qui, dans ses œuvres les plus audacieuses (je pense en particulier à la suite pour piano opus 25, déjà pleinement dodécaphonique), ne cesse de revenir à des formes anciennes strictement codifiées (ici, la suite de danse baroque, avec ses préludes, gavottes, musettes, menuets, gigues). On ne peut pas mettre au même moment ses deux pieds dans la modernité sans risquer le déséquilibre qui conduit à la chute. La conscience de ce qui se perd est essentielle, quand on prétend innover, ou découvrir, ce qui n'est pas tout à fait synonyme. La conscience de ce qui se perd est aujourd'hui perdue. « La modernité, ce n'est pas l'illusion progressiste », dira, beaucoup plus tard, Antoine Compagnon. 

Il faut relire la déclaration de Hugo Ball et Richard Huelsenbeck, du Manifeste littéraire, à Berlin, seulement deux années après 1913, qui se prétendaient « négativistes » : « Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire dans le progrès. Nous ne nous occupons, avec amusement, que de l’aujourd’hui. Nous voulons être des mystiques du détail, des taraudeurs et des clairvoyants, des anti-conceptionnistes et des râleurs littéraires. » C'est à partir de cette déclaration que s'élabore le Dadaïsme. Le Futurisme naît en Italie autour du poète Filippo Tommaso Marinetti (Manifeste du futurisme, 1909). Auteurs de deux manifestes en 1910, les premiers peintres du mouvement, Giacomo Balla, Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Gino Severini, Luigi Russolo, empruntent à la technique divisionniste et au cubisme pour faire interférer formes, rythmes, couleurs et lumières afin d'exprimer une « sensation dynamique/énergique », une simultanéité des états d'âme et des structures multiples du monde visible. Comme Rabindranath Tagore, avec sa diplopie, les hommes de ce temps-là voient et entendent double, mais aussi triple, quadruple, ils sont à la fois dans plusieurs états, dans plusieurs perspectives, dans plusieurs langages, c'est le monde sensible qui s'ouvre, dans toutes ses dimensions simultanées. Ils ne croient pas dans le progrès, ils sont le progrès, et, comme tels, n'ont que faire du progressisme. Ces mystiques du détail, ces clairvoyants ont les yeux et les oreilles grand ouverts, ils se situent entre l'invention du magnétophone, en 1877, et celle du microscope électronique, en 1931 : ils ont pleinement intégré l'importance des dispositifs techniques (radio, photographie, enregistrement) dans notre perception du monde (« Nouvelle Vision »). 

Futurisme (1910), Cubisme (1911), Dadaïsme (1916), Neues Sehen, en Allemagne (1920) et… en 1913, proclamation d'indépendance du Tibet vis-à-vis de la Chine, le 23 janvier, coup d'état à Constantinople, le 17 janvier, Raymond Poincaré est élu président de la République française, arrestation du révolutionnaire Joseph Staline, le 23 février à Saint-Pétersbourg, le 4 mars, victoire des Grecs sur les Ottomans à la bataille de Bizani, le 13 avril, attentat anarchiste contre le roi Alphonse XIII à Madrid, le 11 juin, les femmes obtiennent de droit de vote en Norvège, le 7 juillet, création du ministère de l'Instruction publique au Portugal, le 26 octobre, le Kaiser annonce à son chancelier Berchtold que « la guerre entre l’Est et l’Ouest sera inévitable à la longue », le 25 novembre, en Irlande, création de la milice des Irish Volunteers pour l’application du “Home Rule”, le prix Nobel de littérature est décerné à Rabindranath Tagore (« le lion du soleil ») dont les poèmes inspireront à Alexander von Zemlinsky (qui a tellement influencé Arnold Schoenberg (et Alban Berg, dans sa Suite lyrique, de 1926)) sa Symphonie lyrique, composée en 1922. En cette même année 1913 naissent Richard Nixon, Witold Lutosławski, Rosa Parks, René Leibowitz, Paul Ricœur, René Clément, Jacqueline de Romilly, Irène Joachim, Charles Trenet, Maurice Ohana, Aimé Césaire, Gérald Ford, Roger Garaudy, Madame Soleil, Menahem Begin, Jesse Owens, Félicien Marceau, Gilbert Cesbron, Claude Simon, Robert Capa, Klaus Barbie, Burt Lancaster, Albert Camus, Lon Nol, Benjamin Britten, Willy Brandt. 

Voici l'incipit du premier chant de la Symphonie lyrique de Zemlinsky, que j'aurais pu utiliser comme épigraphe : « Je n'ai pas la paix, je suis assoiffé de choses lointaines ». Tout ce qu'on a écrit sur la bataille du Sacre du printemps reste inférieur à la réalité, disait Valentine Hugo. Tout ce qu'on pourrait écrire sur 1913 reste bien en deçà de la réalité, cela va de soi, et je ne prétends pas résumer ce qu'il faut en retenir — seulement donner mon sentiment quant à ce qu'il m'en est parvenu. Notre époque nous semble riche et agitée ? Comme je la trouve plate et ennuyeuse, comparée à 1913 ! Comme je la trouve paresseuse, léthargique, anémiée, même dans sa violence la plus tapageuse ! Si 1913 était l'acmé de la civilisation, 2023 en est la sortie patibulaire, bête, bornée et brutale. Dans la forêt des corps trébuchants et dévitalisés qui m'entourent, je cherche vainement le dos imperturbable d'un Pierre Monteux et les sauts émancipés d'un Nijinsky. 

« Échangerais vacarme de 2023 contre tumulte de 1913. Stop. »

lundi 9 décembre 2019

Méthode


L'art, c'est très simple. Prenez un grand artiste et imitez-le. Votre maladresse à le copier produira forcément une œuvre originale. Moi, en tout cas, c'est comme ça que je procède. Et ce qu'il y a de bien, avec mon système, c'est que plus on est maladroit, plus on fait quelque chose d'original, puisque le résultat, la plupart du temps, est très éloigné de son modèle.

Ceux qui ne veulent pas copier sont souvent accusés de le faire, alors que ceux qui, comme moi, le veulent (mais n'y parviennent pas), sont tranquilles : on ne les accusera jamais de plagiat. Non, je vous assure, mon système n'a que des avantages. Et puis, il arrive qu'à force de copier quelqu'un, on finisse par le comprendre — et parfois mieux que lui-même. C'est en quelque sorte un bénéfice collatéral, mais qui n'est pas négligeable.

Une fois qu'on aura bien copié X, et que conséquemment on sera un peu las de s'acharner sur lui, on passera à Y, qui, à son corps défendant, récoltera un peu de la main acquise chez X. Ce n'en sera que plus intéressant, quant au résultat. Et l'on procèdera de la sorte, jusqu'à ce qu'on ait suffisamment dérivé, de modèle en modèle, pour en arriver, sans s'en rendre compte, à ne plus copier que l'artiste qui n'existe pas encore, ou qui n'existe plus que dans la mémoire d'un personnage de roman oublié de tous — roman qui pourra éventuellement avoir été copié d'un autre roman, imaginaire celui-là.

On le voit, les possibilités sont immenses. Parmi elles se trouve même celle d'acquérir un jour un vrai talent. Ce n'est pas forcément souhaitable, mais il faut pourtant envisager sereinement la chose, ne serait-ce que pour ne pas avoir l'air de découvrir la lune en cherchant la porte du jardin.