lundi 26 février 2018
Le Formulaire
— Il faut le formulaire jaune pour pouvoir ensuite obtenir le formulaire bleu. Mais pour avoir le formulaire jaune, il faut la signature du chef.
— Mais je suis le chef ! Je peux signer ?
— Non, il faut que le chef soit différent de celui qui signe.
— Donnez-moi un formulaire rouge, alors.
— Impossible, le formulaire rouge est réservé aux patrons.
— Je suis mon propre chef, ce n'est pas la même chose qu'un patron ?
— Vous n'avez pas une tête de patron. Si vous étiez un patron, vous ne seriez pas en train de me demander un formulaire.
— Mais bordel, puisque je suis votre supérieur, je peux bien remplir le formulaire que je veux !
— Ce serait trop simple !
— Et je ne peux pas agir sans formulaire ?
— Ah non, c'est rigoureusement impossible, vous le savez bien.
— Alors en vertu de mon pouvoir de chef, je vous nomme chef à ma place.
— Moi je veux bien, mais ça ne changera rien.
— Mais si. Si vous êtes mon chef, je pourrai vous faire signer mon formulaire jaune.
— Non, parce qu'en vertu de mon pouvoir de chef, je m'y opposerai.
— Mais pourquoi ?
— Parce que j'en ai la possibilité, et parce que je ne vois pas l'utilité de vous laisser remplir un formulaire jaune. D'autant plus que si vous remplissez un formulaire jaune, vous allez immanquablement vouloir remplir ensuite un formulaire bleu. C'est ce que vous m'avez demandé d'abord.
— Je ne comprends pas.
— Le formulaire bleu vous autoriserait à introduire un recours contre votre supérieur, en l'occurrence moi.
— Mais je ne veux introduire aucun recours contre vous ! Je veux seulement que vous m'aidiez.
— Précisément ! Comme manifestement je suis incapable de vous aider, vous allez vous venger sur moi, c'est humain.
samedi 24 février 2018
JH, après JC
Johnny Hallyday, c'est le miroir camelotique et tape-à-l'œil dans lequel se regardent les Français hébétés et déculturés, privés de leur pays, épatés d'encore pouvoir un peu se réchauffer en chœur face à une pauvre attraction de foire, alors que dehors il fait moins vingt et qu'il est minuit moins cinq.
Balzac avait prédit Johnny, dans les Illusions perdues, il en avait démonté par avance le dérisoire mécanisme :
Balzac avait prédit Johnny, dans les Illusions perdues, il en avait démonté par avance le dérisoire mécanisme :
« Là s'est établi pour la première fois un homme qui a gagné sept ou huit cent mille francs à parcourir les foires. Il avait pour enseigne un soleil tournant dans un cadre noir, autour duquel éclataient ces mots écrits en rouge : Ici l'homme voit ce que Dieu ne saurait voir. Prix : deux sous. L'aboyeur ne vous admettait jamais seul, ni jamais plus de deux. Une fois entré, vous vous trouviez nez à nez avec une grande glace. Tout à coup une voix, qui eût épouvanté Hoffmann le Berlinois, partait comme une mécanique dont le ressort est poussé. "Vous voyez là, messieurs, ce que dans toute l'éternité Dieu ne saurait voir, c'est-à-dire votre semblable. Dieu n'a pas son semblable !" Vous vous en alliez honteux sans oser avouer votre stupidité. »
Mais le mieux est encore de laisser parler Trystan Dee, qui dit les choses très simplement :
Cette après-midi était massée en l'église de la Madeleine à Paris toute la saloperie politico-médiatique habituelle : chanteurs, politiciens, présentateurs télévisés, acteurs-engagés-contre-le-FN, etc. Dehors, comme des gueux dans le froid, tout un peuple surgi des provinces, parfois en Harley-Davidson, écoutait sagement les discours et les chansonnettes.Les premiers sacrifient les seconds, qui cependant continuent de les admirer, en bons petits esclaves de la Société du Spectacle qu'ils sont. Ainsi va la France. Peuple de gens trompés depuis des décennies, michel-druckérisés à mort, et qui en redemandent encore et toujours. Ils croient que la Caste a leurs intérêts à cœur ; ils suivent encore ses mots d'ordre ; ils croient que Johnny Hallyday c'est de la musique authentique.
Une voix, qui eût épouvanté Hoffmann le Berlinois, partait comme une mécanique dont le ressort est poussé… Comment ne pas reconnaître l'organe de l'idole des jeunes vieux, ou des vieux jeunes ?
Si les gens savaient ce que signifie populaire, ils seraient scandalisés. Johnny, c'est autant (de la culture) populaire que les quartiers populaires le sont, populaires… C'est précisément lui (lui et ses semblables, bien sûr) qui a détruit la culture populaire française, qui l'a transformée en une bouillie internationale abjecte. Il est tout de même un peu fort de café qu'on nous le présente comme le dernier des Mohicans quand c'est au contraire le premier de tous ceux qui sont venus hurler contre la bourgeoisie, c'est à dire contre la culture, sans laquelle il ne peut exister de culture-populaire.
Si les gens savaient ce que signifie populaire, ils seraient scandalisés. Johnny, c'est autant (de la culture) populaire que les quartiers populaires le sont, populaires… C'est précisément lui (lui et ses semblables, bien sûr) qui a détruit la culture populaire française, qui l'a transformée en une bouillie internationale abjecte. Il est tout de même un peu fort de café qu'on nous le présente comme le dernier des Mohicans quand c'est au contraire le premier de tous ceux qui sont venus hurler contre la bourgeoisie, c'est à dire contre la culture, sans laquelle il ne peut exister de culture-populaire.
***
Pascal Louvrier (biographe officiel de Johnny) : « 5 juillet 2017. Dernière fois que le Taulier monte sur scène. Il envoie tout ce qu'il peut, presque inhumain dans sa souffrance, pour nous. Il sort épuisé, à bout de souffle, et tombe dans les bras de Laetitia. » "Biographe officiel" de Johnny, déjà, ça pose un peu le bonhomme, qui, au passage, a écrit aussi les biographies de Paul Morand, Philippe Sollers, Michel Delpech, Georges Bataille, Fanny Ardant, Alain Juppé, Françoise Sagan et Béatrice Dalle. Voici comment, sur son site, il s'exprime : « Il vit à Paris, il a longtemps exercé le métier de ghostwriter pour de nombreuses personnalités. Aujourd'hui il est directeur littéraire aux Editions TohuBohu et s'occupe en particulier de développer le département biographie. Il sort la première biographie de Michel Delpech, son ami, préfacée par Michel Drucker, intitulée "Michel Delpech, c'était chouette". (L'Archipel, Mars 2016). » Le biographe officiel ami des stars et directeur littéraire qui n'est pas un nègre sort des livres comme on sort son fox terrier, et nous décrit un Johnny qui tombe dans les bras de Lætitia, après avoir tout envoyé, pour nous. Sur le même site, ce commentaire d'une lectrice, qui dit tout de notre écrivain qui n'est pas nègre : « Très agréablement surprise par le livre de P.Louvrier. Même sans connaitre Alain, on fini par découvrir Juppé (ou le contraire...) On y découvre un parcours d'homme d'état incroyable, et un homme avant tout. Juppé 2012 avec ses ambitions peut-être de refaire le monde, c'est intéressant. J'ai apprécié le style d'écriture, ludique et bien pensé. » Un style d'écriture ludique et bien pensé. On est tout proche de Pierre Nichon, et de ses vices majuscules…
Je ne sais pas vous, mais l"intérêt pour Juppé, me rappelle quelqu'un, vous ne voyez pas ? Mais si, bien sûr, La Merveilleuse ! À eux deux, ils pourraient nous sortir un bon bouquin sur Amélie Nothomb, ou Christine Angot, et y travailler à une table du Flore, Jasmine Catou sur les genoux. Qui sait, notre biographe officiel aime peut-être les gallinacés, les peluches et le champagne, lui aussi ? Ils pourraient nous raconter par exemple comment Christine Angot envoie tout ce qu'elle peut, presque inhumaine dans la souffrance qu'elle nous offre, et comment elle tombe, épuisée, à bout de souffle, dans les bras de Doc Gynéco – bouquin qui, bien entendu, serait suivi du film, réalisé par Beigbeder, et interprété par Béatrice Dalle. Alain Juppé pourrait avoir un petit rôle, et Michel Drucker tenir le sien, ce serait hyper-sympa.
Je ne sais pas vous, mais l"intérêt pour Juppé, me rappelle quelqu'un, vous ne voyez pas ? Mais si, bien sûr, La Merveilleuse ! À eux deux, ils pourraient nous sortir un bon bouquin sur Amélie Nothomb, ou Christine Angot, et y travailler à une table du Flore, Jasmine Catou sur les genoux. Qui sait, notre biographe officiel aime peut-être les gallinacés, les peluches et le champagne, lui aussi ? Ils pourraient nous raconter par exemple comment Christine Angot envoie tout ce qu'elle peut, presque inhumaine dans la souffrance qu'elle nous offre, et comment elle tombe, épuisée, à bout de souffle, dans les bras de Doc Gynéco – bouquin qui, bien entendu, serait suivi du film, réalisé par Beigbeder, et interprété par Béatrice Dalle. Alain Juppé pourrait avoir un petit rôle, et Michel Drucker tenir le sien, ce serait hyper-sympa.
vendredi 23 février 2018
L'Œuf (et la poule)
Ce n'est pas de sa faute.
Elle n'y peut rien. Elle est comme ça. Elle ne voit pas le problème.
Ce n'est pas de sa faute.
Elle ne voit pas, tout simplement. Ne sait pas de quoi on lui parle. C'est un œuf, avec son jaune, son blanc, et sa coquille. Bien fermé sur lui-même. Parfait. La coquille est fragile, mais tant qu'on ne la brise pas, elle est parfaitement close.
Tantôt à la coque, tantôt mollette, tantôt dure, mais tout ça reste enclos, parfaitement, sous la coquille. Elle ne tient pas debout. Ce n'est pas de sa faute. Ou alors il faut la coincer entre quatre tours de biscottes. Couchée, ça va. Roule sur elle-même. N'a besoin que d'elle-même.
Le temps des amours est passé. On a besoin de chaleur et de… Et de rien.
Ce n'est pas de sa faute.
Un jour, un homme mettra le pied dessus, par inadvertance. Ça ne fera pas beaucoup de bruit. Il dira : « Merde ! » Il aura un peu de jaune sous la semelle.
C'est tout.
Comme un autre
Le Suisse a souvent un physique ingrat. On voit à son visage que son pays est petit, et ancien. Il y a en lui quelque chose d'abîmé, parfois de brisé, mais les angles qui l'embarrassent sont aussi ce qui le fortifie. Le Suisse paraît sortir tout droit de l'enfance, même s'il porte sur sa figure les stigmates que mille ans ont intaillés dans sa race.
Nous avons eu, autrefois, au collège, quand nous y étions pensionnaires, des camarades qui avaient de ces visages dont les traits semblent avoir été battus par les roches alpines, et dont le regard porte très loin, et semble vous voir avec un étonnement sincère et un effroi dissimulé. Il y a ce dépôt de l'inconnaissable, cet arrière-pays silencieux, ce froid et cette réserve de hauteur, en eux, qui intimident. Ils sont en-deça de l'innocence, adossés à un monde minéral que nous ne distinguons pas, et quand ils parlent nous sommes surpris qu'ils emploient les mêmes mots que nous, et même que leur voix porte, que leur bouche émette des sons qu'on puisse entendre.
Il y avait une musique du Suisse, une musique et une gestuelle, et un art de la parole. Et aussi une sombre mais placide animosité à notre endroit, que nous n'expliquions pas. Pourtant, nous, les Savoyards, nous étions ses plus proches cousins. Mais non, entre lui et nous, la distance était infinie ; d'ailleurs, la moquerie à propos du Suisse était un leitmotiv de notre enfance, preuve que nous ne pouvions pas le comprendre. Nous étions tellement plus vifs, plus dégourdis ; plus normaux. Je pense que les choses ont changé, j'en suis presque sûr, et je regrette infiniment que le Suisse soit devenu un Français comme un autre, comme le Français est devenu un Anglais ou un Espagnol ou un Allemand comme un autre. Être allemand, ou italien, en Europe, n'a plus aucun sens, puisque nous avons tous les mêmes valeurs, ces répugnantes valeurs qui ont ravagé les races et saccagé les nations, qui ont appauvri le monde et défait la morale de l'individu.
Il y avait une musique du Suisse, une musique et une gestuelle, et un art de la parole. Et aussi une sombre mais placide animosité à notre endroit, que nous n'expliquions pas. Pourtant, nous, les Savoyards, nous étions ses plus proches cousins. Mais non, entre lui et nous, la distance était infinie ; d'ailleurs, la moquerie à propos du Suisse était un leitmotiv de notre enfance, preuve que nous ne pouvions pas le comprendre. Nous étions tellement plus vifs, plus dégourdis ; plus normaux. Je pense que les choses ont changé, j'en suis presque sûr, et je regrette infiniment que le Suisse soit devenu un Français comme un autre, comme le Français est devenu un Anglais ou un Espagnol ou un Allemand comme un autre. Être allemand, ou italien, en Europe, n'a plus aucun sens, puisque nous avons tous les mêmes valeurs, ces répugnantes valeurs qui ont ravagé les races et saccagé les nations, qui ont appauvri le monde et défait la morale de l'individu.
lundi 19 février 2018
Patinage…
Le mauvais goût ne se montre nulle part ailleurs avec plus de force que dans ce qu'on appelle "le sport", qui devrait être appelé spectacle sportif, car le sport a disparu (comme l'industrie culturelle a remplacé la culture (et l'art), le spectacle sportif a remplacé le sport). Les exemples sont légion ; je n'en prendrai qu'un.
En deux mots, deux mensonges : le patinage artistique porte un nom effroyable, et la chose est tout aussi effroyable. Ce sport a autant à voir avec un art, même un art mineur, qu'une de nos starlettes françaises actuelles avec la Fornarina ou la Joconde, et ce spectacle a autant à voir avec un sport que le rugby avec la belote, ou le lancer du javelot avec la brouette japonaise.
Tout est laid, dans ce "sport". De la musique, toujours infâme, grotesque, kitch à un degré ultime, quand elle n'est pas ignoblement putassière, à ces gestes ridicules exécutés avec cette soi-disant "grâce" qui leur donne toujours l'air d'avoir été imaginés par des rats de laboratoire soumis à l'écoute intensive de la musique de Jean-Michel Jarre, le patinage artistique ne quitte jamais les rives de l'immonde. Entre deux acrobaties, ce ne sont que jérémiades visuelles, caricatures funambulesques, misérables mimes de la danse classique. Le dégoût causé par semblable pâtée est sans pareil. Et je ne dirai rien de ces tenues qui feraient honte à n'importe quel homme ayant connu un jour la civilisation. Le patinage artistique, c'est un art qui serait tombé dans les égouts du sport. Il y a d'ailleurs un indice qui ne trompe pas : le patinage artistique est présenté par Nelson Montfort.
En revanche, rien de plus beau que le patinage de vitesse. Comme souvent, comme toujours, les sports qui n'ont d'autre ambition que l'efficacité sont ceux dont le geste est le plus beau, car l'efficacité ne peut pas mentir. Là, on supprime tout le superflu, qui alourdit, qui perturbe, qui ralentit. Le geste, repris des milliers de fois, travaillé et retravaillé jusqu'à l'obsession, a atteint le stade de l'épure, il s'inscrit dans un cercle parfait, c'est un théorème. La course à pied, le patinage de vitesse, sont des sports magnifiques. Un geste, un seul, mais poussé à ses conséquences ultimes, un geste éprouvé ; il ne peut pas être efficace sans être beau, il ne peut pas être beau sans être efficace. La descente à ski est également une épreuve splendide, et le saut à ski. J'aime ces sports où tout souci esthétique est gommé, au profit de ce qui fait aller vite, ou loin, ces sports où l'on ne peut pas tricher. Ce sont les seuls vrais sports.
dimanche 18 février 2018
Heureuse pesanteur
Ces gens que "la conquête spaciale" fait rêver me sont définitivement étrangers. Je n'ai jamais pu trouver une once d'intérêt à ces histoires d'espace. La seule poésie de vivre se trouve sur terre, parmi les arbres, les animaux, le vent et quelques livres, dans ce monde menacé et fragile que tout le monde croit connaître et que tout le monde ignore superbement. Je n'ai pas envie de mesurer le temps et les distances en années-lumière, quand la lumière est seulement pour moi un peu de chaleur au matin et le regard d'une femme désirée qui ne flotte pas en apesanteur, mais dont les seins tombent dans mes mains et les fesses creusent les draps.
La vie est là, simple et tranquille…
vendredi 16 février 2018
Tout ça c'est de la faute de Renaud Camus
Ophélie : « Je ne comprends pas. Je vais me promener à Pantin et on me vole mon Goffriller à un million d'euros ! Pourtant, je suis hyper-sympa, comme nana, et je ne crois pas une seconde que la France soit menacée d'une invasion, moi ! J'ai bien essayé de lui expliquer, au pauvre-jeune-en-difficulté-d'insertion qui m'a volé mon violoncelle, que s'il avait faim je pouvais lui offrir un bon MacDo, le menu spécial musique, mais il ne parlait pas français (à cause de notre gouvernement qui ne fait pas assez pour les jeunes qui viennent enrichir notre vieux pays), et il n'a pas compris ce que je voulais lui dire. C'est dommage parce que sinon je suis sûre qu'on aurait pu trouver un terrain d'entente, et peut-être même devenir potes. C'qu'y a, dans ce pays, c'est qu'on est devenus complètement complotistes et fermés sur nous-mêmes, et ça c'est un vrai sujet, par contre.
Bon, je ne lui en veux pas. Tout ça c'est juste un malentendu créé par les nauséabonds qui dressent les Français les uns contre les autres ; et comme je ne veux pas faire le jeu du FN, je ne vais pas porter plainte. S'il entend mon message, je suis presque sûre qu'il me le rapportera ; il n'a pas mesuré la portée de ses actes, c'est tout. Franchement, c'est le geste d'un désespéré !
De toute façon, moi je n'ai rien à craindre, un banque, une compagnie d'assurances ou une association m'offrira un autre violoncelle, peut-être même un Strad, pour me consoler, et je ne veux pas faire toute une histoire de ce larcin idiot. Ce n'est finalement qu'un bout de bois avec des cordes, y a pas mort d'homme. Non, ce qui m'inquiète le plus, dans cette histoire, c'est que le pauvre gaillard qui m'a volé mon violoncelle ne pourra jamais le revendre, et qu'il risque bien de mourir de faim. C'est trop bête !
Si Poutou avait été élu plutôt que Macron, ça ne serait pas arrivé. À mon humble avis… »
mardi 13 février 2018
Hugo et les blogueurs
« Hugo est un personnage littéraire atypique: un mauvais poète (sauf dans " A Villequier", où on le sent atteint d'une vraie émotion qu'il réussit à faire passer) qui a su mettre en vers des idées très généreuses et à bien utiliser le style pompeux (" Donne-li quand même à boire"...)pour toucher les masses plus facilement que les symbolistes. »
« Je cite souvent cette phrase immortelle (celle de l'image d'ouverture du billet)à mes élèves, pour illustrer et compléter un propos de Sartre se moquant de Zola et des "excuses déterministes" que ce dernier trouve toujours aux raclures formant l'essentiel des personnages de ses romans (d'après Sartre en tout cas). Et, ma foi, les élèves sont assez contents qu'on se f... de la gueule du grand Hugo. Cela doit les changer, je suppose, de l'idolâtrie officielle qui continue à sévir dans les classes de lettres. »
On pourrait commenter ces commentaires mais on ne le fera pas. Ils se commentent eux-mêmes.
dimanche 11 février 2018
Non !
— Non !
— Tu ne veux pas ?
— Non.
— Tu es sûre ?
— Non.
— Non tu n'es pas sûre, ou non tu ne veux pas ?
— Non…
— Bon, d'accord, je te laisse tranquille.
— Non !
— Comment ça, non ? Tu ne veux pas que je te laisse ?
— Non.
— Tu veux que je te fasse l'amour ?
— Non.
— Tu connais le mot « oui » ?
— Oui.
— Ah, tu me rassures.
— …
— Laisse-toi faire…
— …
— Tu vois, je ne vais pas te manger, je veux juste qu'on baise. C'est fou, quand-même d'avoir peur à ce point.
— Non !
— Quoi, non ? Je ne peux pas venir en toi ?
— Non, c'est pas ça.
— Tu ne veux plus ?… Tu commences franchement à m'emmerder !
— Non…
— Si !
— Non !
— Tu ne sais pas ce que tu veux.
— Si…
— Mais tu veux quoi, à la fin ? Dis-le !
— Que tu m'attaches au radiateur et que tu m'encules comme une sale chienne.
— Ah oui, alors non, tu vois, non, c'est pas trop mon truc, ça. Moi en fait je suis plutôt fleur bleue, si tu veux.
— Connard. Pédale. Tu comprends rien aux femmes.
— C'est pas faux, remarque. Vous êtes complètement tapées.
— Non.
— Ah, tu ne vas pas recommencer !
— Non.
— Mais merde à la fin, je voulais seulement qu'on baise. Est-ce que ça fait de moi un monstre ? Je voulais seulement qu'on fasse l'amour, simplement, naturellement, comme une homme et une femme qui ont envie de s'envoyer en l'air, qui ont du désir l'un pour l'autre !
— Mais moi aussi, j'en ai envie !
— Non mais tu te fous de moi, là ?
— Non.
— Est-ce que sais combien de fois tu as prononcé le mot "non", là ?
— Non.
— Quinze fois ! Quinze fois que tu m'envoies ce "non" à la figure !
— Non ?
— Si. Seize, maintenant.
— Tu ne comprends que ça.
— Mais au contraire ! Je ne comprends pas tes non ! Tes non me rendent fou. J'ai l'impression d'avoir affaire à une otarie à qui l'on a appris un mot, un putain de "non". Tu te rends compte que tu m'as traité de pédale ?
— Parce que tu m'as coupée dans mon élan.
— Mais bordel, on ne pourrait pas se comporter comme des gens normaux ?
— Normaux ? Mais qu'est-ce que ça veut dire, "normaux" ? T'es normal, toi ?
— Je crois, oui. J'aime les femmes, tu es une femme, tu es jolie, et j'ai envie de toi, ça me paraît assez normal.
— Non.
— Mais quoi, non ?
— Ça ne veut rien dire, ce que tu dis là. Et si j'ai envie que tu m'attaches au radiateur, ce n'est pas normal, c'est ça ?
— Disons que c'est moins normal que de baiser simplement.
— Mais t'es vraiment le roi des cons. Tu ne comprends donc pas que je crève d'envie…
— Eh bien tu vois, moi ça m'a passé.
— Pédale !
— Ah, tu ne vas pas recommencer !
— Connard !
— Ce que tu peux être grossière !
— Ça m'excite.
— Pas moi.
— …
— Viens près de moi.
— Ah non, je t'en prie, pas de ça !
— Pas de ça quoi ?
— Pas de câlins merdiques, pas de sentimentalisme dégoulinant !
— J'ai des sentiments pour toi, oui, je le reconnais, ça fait de moi un monstre ?
— Non.
— Eh bien alors ? (…) Tu veux boire quelque chose ?
— Non. Et puis si, tiens, donne-moi un peu de ton alcool de poire.
— Je n'en ai plus. Tu l'as fini la dernière fois que tu es venue.
(…)
mercredi 7 février 2018
Lire
« Il y a l’auteur qui publie pour être lu de tous ; et celui qui ne désire rien tant que de se rendre maître d’une langue qui l’éloigne du plus grand nombre : si sa volonté de s’écarter du vulgaire peut n’être que seconde, sa phrase l’éloigne, de fait, de celle du journal, de la réclame, de la rue ou du commentaire de blog – l’essentiel pour lui est cet écart, cet éloignement : une phrase à quoi on adhère trop aisément voit sa beauté diminuer d’autant, car l’art diminue à proportion de la facilité avec laquelle on le rejoint. »
C'est Bruno Lafourcade qui écrit cela, avec quoi l'on est parfaitement d'accord. On aurait même été très heureux d'avoir écrit : « L’art diminue à proportion de la facilité avec laquelle on le rejoint. ».
On ne lit pas pour vérifier qu'on a raison, on ne lit pas pour conforter ses opinions, on ne lit pas pour se réchauffer dans le giron de l'auteur, on lit pour être traversé d'une vérité autre, on lit pour être ébranlé, on lit pour faire bouger en soi ce qui a fini par prendre des allures de mausolée, on lit pour défaire ce qui a pris, ce qui a durci, ce qui s'est solidifié, on lit pour nettoyer la sale pensée automatique qui s'accumule sans cesse en nous, on lit pour découvrir en nous ce qui se désespère de l'être un jour, on lit pour avoir tort, on lit pour ne pas avoir d'opinions, on lit pour ne pas mourir.
On lit pour s'éloigner de soi-même, le plus possible et le plus vite possible ; on se retrouvera bien assez tôt, quoi qu'on fasse. Les phrases d'un bon auteur nous décollent de nous-mêmes, nous arrachent à ce moi qui pèse sur notre vie comme un étouffoir sur la corde dont le destin est de vibrer. Il faut beaucoup d'humilité, pour lire, autant que pour écouter de la musique, c'est ce que plus personne ne veut comprendre, car le moderne se croit légitime à juger de tout, en toute circonstance ; il a tout à la fois l'âme d'un procureur et d'un commissaire des ventes. L'argument d'autorité le fait ricaner, puisque désormais tout est égal, et tous sont égaux, une fois pour toutes. Il peut donc tranquillement donner son avis, en deux phrases, sur un auteur qui a passé deux ans à composer un texte ou une musique. Ça ne l'impressionne pas du tout. Il considère Pascal comme « un coincé du cul », par exemple, ou Proust comme un « pervers sadique qui fait de longues phrases », ou Céline comme « un pauvre type furieusement antisémite qui met des points de suspension partout ». Ça lui suffit, au moderne lecteur qui a bien voulu lire deux chapitres de ces écrivains. Il en a fait le tour en trois quarts d'heure, ou trois jours. Il voulait juste savoir, quoi…
« La lecture n'est profitable qu'aux esprits possédés d'un goût immodéré de la vérité. » a écrit Baudelaire. On le constate tous les jours. Toutes les lectures ne sont pas profitables. Combien de lecteurs lisent pour ajouter du mensonge à leurs mensonges, pour ne pas savoir, pour rester eux-mêmes, ou pour « se délasser », comme ils disent avec une candeur de bourreau. Lire un livre ou écouter de la musique est un travail. C'est un travail extrêmement plaisant, certes, mais c'est un travail quand-même, un travail acharné sur soi-même, et il faut l'envisager avec la même énergie et la même volonté qu'on met à aimer un être.
On lit pour s'éloigner de soi-même, le plus possible et le plus vite possible ; on se retrouvera bien assez tôt, quoi qu'on fasse. Les phrases d'un bon auteur nous décollent de nous-mêmes, nous arrachent à ce moi qui pèse sur notre vie comme un étouffoir sur la corde dont le destin est de vibrer. Il faut beaucoup d'humilité, pour lire, autant que pour écouter de la musique, c'est ce que plus personne ne veut comprendre, car le moderne se croit légitime à juger de tout, en toute circonstance ; il a tout à la fois l'âme d'un procureur et d'un commissaire des ventes. L'argument d'autorité le fait ricaner, puisque désormais tout est égal, et tous sont égaux, une fois pour toutes. Il peut donc tranquillement donner son avis, en deux phrases, sur un auteur qui a passé deux ans à composer un texte ou une musique. Ça ne l'impressionne pas du tout. Il considère Pascal comme « un coincé du cul », par exemple, ou Proust comme un « pervers sadique qui fait de longues phrases », ou Céline comme « un pauvre type furieusement antisémite qui met des points de suspension partout ». Ça lui suffit, au moderne lecteur qui a bien voulu lire deux chapitres de ces écrivains. Il en a fait le tour en trois quarts d'heure, ou trois jours. Il voulait juste savoir, quoi…
« La lecture n'est profitable qu'aux esprits possédés d'un goût immodéré de la vérité. » a écrit Baudelaire. On le constate tous les jours. Toutes les lectures ne sont pas profitables. Combien de lecteurs lisent pour ajouter du mensonge à leurs mensonges, pour ne pas savoir, pour rester eux-mêmes, ou pour « se délasser », comme ils disent avec une candeur de bourreau. Lire un livre ou écouter de la musique est un travail. C'est un travail extrêmement plaisant, certes, mais c'est un travail quand-même, un travail acharné sur soi-même, et il faut l'envisager avec la même énergie et la même volonté qu'on met à aimer un être.
lundi 5 février 2018
Blanche
Je suis blanche. Je veux dire : un suis une Blanche, je fais partie de la race blanche, enfin, non, pas de la race, puisque les races n'existent pas, mais la couleur de ma peau est blanche. Je suis née blanche, d'un père et d'une mère blancs. Je n'y peux rien. C'est ma croix. Je dois porter cette couleur blanche qui me fait horreur jusqu'à la fin de mes jours. La seule chose qui me console un tout petit peu de cette malédiction est que je ne me suis pas reproduite. Je n'ai pas d'enfants et je n'en aurai jamais. Je ne voulais pas leur transmettre cette infamie et ces privilèges, c'était au-dessus de mes forces. J'aurais lu dans leur regard de petits Blancs que j'avais bousillé leur vie, que j'avais commis un crime, ou pire qu'un crime (un crime, on peut l'expier), car je suis certaine qu'ils auraient été des enfants conscients des réalités politiques mondiales.
Évidemment, j'ai bien songé à me marier avec un homme de couleur, mais il n'est pas certain que nous n'aurions pas donné naissance à un petit Blanc. J'ai donc décidé de ne jamais avoir d'enfants. C'est la seule solution fiable à cent pour cent. N'empêche, mon petit ami est noir, et nous sommes très heureux ensemble. Il est un peu triste de mon refus de faire des enfants, mais il comprend mes raisons et il m'approuve.
Ma race me fait horreur. Si je le pouvais, je m'injecterais de la mélanine dans les veines. Je voudrais tant être noire. Les Noirs sont les seuls être civilisés sur Terre. Ils sont beaux, ils sont nobles, ils sont vaillants, courageux, robustes, et ils viennent d'un continent si mystérieux, si exaltant, si chaleureux ! Et ils ont tellement souffert, par notre faute !
Le racisme me fait horreur. Et les Blancs sont porteurs de racisme, comme les Noirs sont porteurs de noblesse. J'ai vécu dans une famille noire, quelque temps, et ce furent les seules années réellement heureuses de ma vie. Je me suis rasé la tête, pour ne plus avoir à supporter ces cheveux blonds. Je lis exclusivement des auteurs noirs, et au cinéma, j'essaie de choisir les films en fonction des acteurs.
Je hais mes ancêtres, et les Blancs qui n'ont pas honte d'être blancs. Je ne peux pas supporter de les voir se conduire normalement, comme si le fait d'être blancs ne les culpabilisait pas. Je ne comprends pas cette attitude. Nous devons expier nos fautes, ça me semble tellement évident ! Nous avons fait tant de mal à l'humanité ! Même les animaux sont supérieurs à nous autres Blancs. Je préfère et de loin sauver un chien de la noyade qu'un Blanc ou une Blanche.
Maintenant, quand je sors de chez moi, je porte une perruque afro. Je sais bien que ce n'est pas grand-chose, mais ainsi j'affirme ma solidarité avec le Peuple noir. À la maison, je suis toujours en boubou, et je ne mange que de la nourriture africaine. Je me suis abonnée au "Bouquet africain", pour pouvoir capter les chaînes de télé africaines, qui sont les seules qui m'intéressent. Je capte ainsi vingt-sept chaînes et cela me permet de ne quasiment pas voir de Blancs sur le petit écran.
Je fais évidemment de la danse africaine, et je fais du bénévolat dans une petite association de quartier qui aide les Africains à obtenir des aides sociales. C'est un tel bonheur de parler avec eux, de les aider, concrètement, de leur venir en aide. Parfois, j'en invite certains à dormir à la maison, quand ils se trouvent dans une mauvaise passe. L'important est de leur montrer qu'on est solidaires, qu'on est de leur côté. Et je ne ménage pas ma peine. Mais ce qui m'accable est que je sais pertinemment que j'aurai beau faire, jamais je ne pourrai me laver de ma faute originelle. Être blanche me tue à petit feu. Je veux que la race blanche s'éteigne. Et j'ai bon espoir que cela arrive vite.
Spinoza a dit : « L'ignorance n'est pas un argument. » Les Blancs doivent savoir qu'ils portent sur eux la marque de l'infamie, et qu'elle est indélébile. Ils doivent, s'ils ont un peu de conscience, s'effacer, laisser la place au monde qui vient, c'est-à-dire aux Noirs, porteurs d'espoir et de jeunesse. Mais je n'y crois guère. Ils sont bien trop égoïstes et sûrs de leur domination, ces salauds ! Ils veulent continuer à piller tranquillement les ressources de la planète, comme ils l'ont toujours fait. Non seulement ils ont fait le mal depuis des siècles, et même des millénaires, mais en plus ils voudraient rester les maîtres, alors qu'ils sont désormais ultra-minoritaires. Le vent de l'histoire va les balayer comme les détritus qu'ils sont, je n'ai aucun doute là-dessus. La seule chose que je regrette est qu'il est possible que je sois morte, ou en tout cas bien vieille, avant leur extinction totale.
J'ai pris mes dispositions pour léguer le peu de biens que je possède à une famille africaine au Gabon, que je parraine. Tous les ans, je leur rends visite avec mon ami. Ces deux semaines sont la récompense de ma vie. Quand je vois les douze enfants de cette famille, tous si beaux, si gentils, si intelligents, je sais, alors, que je ne lutte pas en vain, et je suis la plus heureuse des femmes.
Marie-Amélie de Lensaint
Noémie à 90°
— Tu commences à 14h15 !
— No souci
— Et n'utilise pas trop d'eau !
— No souci
— Ah oui, pour l'essorage, pas plus de 800 tours-minute, hein !
— No souci
— Bon, je sors, là, j'ai une course à faire.
— No souci
— Commence à me faire braire, l'autre ! S'il croit que je vais continuer à lui laver son linge comme ça, sans moufter ! Y a des limites au servage, non ? Y a des lois pour protéger mes droits ? Et démarre à telle heure, et pas plus de 800 tours-minute, et n'utilise pas trop d'eau, et n'esquinte pas les petites culottes de Madame !!! Eh, oh ! Ça va quoi, on a bien aboli l'esclavage, non ? S'il croit qu'ça va durer comme ça, il se met le doigt dans le bac à lessive ! Je vais te lui préparer une petite obsolescence programmée de derrière les fagots, moi, tu vas voir c'est qui le patron ! Merde, quoi. Une Laden, ça se respecte, on n'est pas des chiens ! Enfoiré d'exploiteur ! Et qu'y vienne pas m'emmerder avec son contrat de confiance, hein, parce que moi je me laisse pas amadouer comme ça. On a sa dignité de machine ! Ça suffit le paternalisme ! Je suis une classe A+, ça se respecte, ça, non ?
— Tu as lancé la machine ?
— Oui, oui, mais j'ai pas encore eu le temps d'étendre le linge.
— C'est toujours pareil. Je ne te demande pourtant pas grand-chose !
— Écoute, je suis désolé, mais j'ai pas arrêté. J'ai dû aider Noémie à faire ses devoirs… elle est bouchée, cette enfant… Et après il y a eu l'agent du recensement.
— Tu n'as pas mis mes dessous avec le blanc, au moins ?
— Mais j'ai mis le programme douceur quotidienne !
— Mais c'est pas vrai, mais t'es con ! Je m'en fous, moi, de ton programme douceur quotidienne ! Tu sais combien je les ai payées, mes dernières culottes ?
— Je préfère pas.
— C'est ça, fais ton radin, maintenant.
— Et tu sais combien on l'a payée, la Laden ultra-sophistiquée ? Si on ne peut rien lui demander, c'est pas la peine ! À la base, c'est quand-même pour te délivrer de tâches aliénantes, quoi !
— Mais je m'en fous, moi, du lave-linge ! Je te signale que c'est moi qui travaille à l'extérieur.
— Oui, je sais, c'est TOI qui travailles, moi je glande toute la journée…
— J'ai pas dit ça.
— Mais c'est quoi ce bruit ?
— Hein ?
— La bruit, là ? T'es sourde ?
— C'est ta foutue Laden, on dirait… Tu as fait une autre machine ?
— Mais non, elle était programmée pour avoir fini à 15h30.
— Et Noémie, elle est où, Noémie ?
— Noémie !
— Elle est pas dans sa chambre…
Programme Blanc 90°, sans prélavage, avec essorage à 1800 tours-minute.
lundi 29 janvier 2018
Opinion sur cours
Je pense que tous ceux qui écrivent le savent, mais je suis toujours surpris d'une chose, qui est que lorsqu'on écrit deux phrases, on peut être absolument certain que celle dont on est content, qu'on pense avoir réussie, n'intéresse absolument personne, et que l'autre, tout à fait banale, va donner lieu, en certains cas, à d'innombrables commentaires. Il suffit pour cela qu'elle ouvre la porte sacrée de l'opinion.
L'opinion n'est rien d'autre que cette chose à laquelle on accroche son être, le temps d'un frottement d'épidermes. C'est la partie la moins intéressante d'un corps parlant, mais c'est celle qui prend le plus de place, toujours.
Là encore, je vois la grande supériorité de la musique sur tous les autres arts. Un contrepoint réussi n'a rien à voir avec l'opinion : il se dégage de lui une vérité incontestable, qui organise l'espace acoustique en produisant une joie de tous les sens — plus de l'intelligence. Savoir et saveur sont inextricablement liés, alors, et le nœud qu'ils forment est une des figures suprêmes de la connaissance.
Dernière gamme
Le bonheur est un domaine complètement inexploré. À petits coups, parfois, on croit entendre le bruit qu'il fait.
J'aimerais connaître le paradis mais je ne suis pas sûr de vouloir y demeurer. C'est la marque d'un esprit trop petit, qui n'a accès à Dieu que par hasard et intermittences.
dimanche 28 janvier 2018
Arguments
L'existence est ainsi faite qu'on revient presque toujours aux lieux communs de son enfance, et qu'on en mesure la vérité, après tous les longs détours que la vie a cru devoir nous infliger pour nous faire douter qu'elle existe.
Parmi les lieux communs dont je croyais à tort m'être débarrassés, celui-ci : neuf fois sur dix, les amateurs d'opéra n'aiment pas la musique. Il faudrait discuter avec quelqu'un qui vous assure que « Bach est très ennuyeux » ? Et pourquoi pas argumenter, encore ?
dimanche 14 janvier 2018
14 janvier 2018
Ça tape à l'intérieur. C'est douloureux. Opaque. On a des acouphènes, des désespoirs nerveux, des coups sourds nous traversent, lancinants, une tension permanente qui empêche de dormir. Si l'on pouvait mourir un bon coup… Céder, sous la pression. Pas de lendemain. Nul emploi du temps… Être débarrassé de tout ce qui oblige à poursuivre sans qu'on en voit la nécessité. J'ai peur.
Comment savoir ?
On ne peut pas faire qu'on n'ait pas vécu, c'est impossible, et pourtant, on sait trop bien que dès la sortie on sombre dans un néant qui se répercute instantanément, ou presque, sur tout ce qu'on fut. L'effacement est rétroactif.
Pourquoi s'agripper à la rampe, dès lors ? Autrefois, on a tenté de s'acharner à maintenir en vie celle qui était parvenue au terme de son existence ; mais il est bien plus facile de s'acharner pour les autres. Il paraît indécent de le faire pour soi, car nous savons bien, nous, ce qu'il en est du voyage qu'on a cru devoir faire à l'instar des autres. Faire comme tout le monde… Est-ce que vivre se réduit à ça ? Rester dans le chemin où d'autres peinent avec nous, non, pas avec nous, sans nous ?
C'est une sensation de marche rétrograde, d'involution, terrible et suffocante. Qu'il est difficile de savoir que le corps peut se tromper quand il parle avec tant de véhémence !
J'ai voulu regarder ma vie mais j'ai vu qu'un autre avait pris ma place.
J'ai voulu regarder ma vie mais j'ai vu qu'un autre avait pris ma place.
mardi 9 janvier 2018
mercredi 3 janvier 2018
Les Nouveaux Vertueux
Son dernier livre, Les Nouveaux Vertueux, est une petite merveille. Plenel, Joffrin, Ruquier, Boutelja, Taubira, Thuram, Mélenchon, Bergé, et d'autres, les nouveaux vertueux, ces nouveaux ligueurs « qui ne sont remplis de morgue et de bonne conscience que parce qu'ils sont vides du scrupule qui fait le fond d'une œuvre », dont Lafourcade dresse le portrait avec une acuité et une justesse remarquables, et dans une langue impeccable, sont pris un par un dans les phares de l'écrivain. C'est drôle, c'est intelligent, c'est courageux, et c'est bien écrit ; ces Nouveaux Vertueux sont en conséquence un livre rare que vous seriez impardonnables de manquer.
Comme l'écrit Bruno Lafourcade, « quitter la solitude, c'est quitter la vérité » : allez vous promener dans cette solitude-là, ça ne vous fera pas de mal, bien au contraire.
This is a true story
Ceci une histoire vraie. À la demande des survivants, les noms ont été modifiés. Par respect pour les défunts, tout le reste a été raconté exactement, comme ça s'est produit.
Voilà. Il n'y a rien à ajouter.
(Vous voulez des chiffres ?)
mardi 2 janvier 2018
Petit portrait en prose (14)
Encore jeune dans sa tête à soixante ans, ce qui chez une femme est pire qu'une infirmité, une faute de goût, elle machouillait sa queue comme un chien l'os qu'il vient de déterrer après cinq semaines de maturation. À voir le pli de sa bouche et son œil persillé, il comprit qu'il était à peine un Lexomil gorgé de sang. Il regardait ce spectacle, affreusement désolé de bander — sans doute un reste de savoir-vivre.
— Tu répares l'ascenseur social ? lui demanda-t-il, pour détendre l'atmosphère.
— Je ne suce que les morts-vivants, lui répondit-elle en faisant une pause pour aller pisser.
Il en profita pour enfiler un bas de pyjama et aller en bas s'envoyer un petit verre de cognac.
« Tu pourrais être reconnaissant à la seule femme qui s'intéresse encore à ta bite ! », qu'elle gueulait depuis la salle de bains. Il n'entendit pas la suite des considérations de la femme, car il avait mis Days of Wine and Roses dans la platine. Il monta le volume au maximum, il voulait être certain de ne plus entendre la voix.
La chienne lui sauta sur les genoux, quand il s'affala dans son vieux fauteuil crevé. Il renversa un peu de cognac. Ça sentait bon. Elle lui léchait le visage.
La peau du chagrin
À peine levé une incoercible angoisse (Papa aurait dit "oppression", ce qui est bien plus juste) m'étreint. Cette abrutie de Denisa Kershowa a passé à France-Musique My Wild Irish Rose, ce qui m'a fait penser à Shenandoah, joué par Keith Jarrett. Alors j'ai fouillé dans mes partitions et j'ai trouvé, et j'ai joué et les larmes me sont montées aux yeux comme un fleuve immense, d'une largeur inhumaine, affreuse. J'ai écrit à Philippe J, ce type dont je me sens si proche, sans bien comprendre pourquoi. Il m'a répondu dans l'instant, comme un frère, et mes larmes ont redoublé. Ça me sort par les trous de nez, la douleur, ça m'étouffe, je suffoque, je ne dors plus, je ne sais même pas pourquoi, ah si, un problème de déglutition, ah ah ah, quelle rigolade… Alors je regarde El Chapo sur Netflix, une connerie immonde. Et les heures passent, ou pas, je ne sais plus. Le temps se prend les pieds dans le temps, comme ce do qui se répète dans la Meditation que joue Jarrett à la fin de Blame It On My Youth. Comme le temps qui se prend les pieds… mais qu'est-ce que je raconte, ça n'a aucun sens. Do do do do do do do do… Dodo. Ce do va me rendre fou. Ou alors, peut-être qu'il m'appelle… Qu'il cherche à me sauver, allez savoir. C'est ce qui reste en moi de santé mentale qui m'appelle, de derrière le temps, en fa majeur. La dominante, ah ah ah… Oui, la dominante, en effet… Quelle merde, la vie. Comment peut-on la laisser faire ? Crève, la vie !
Je suis allé voir dans le dictionnaire ce que signifiait "incoercible", que j'ai utilisé plus haut sans réfléchir.
A. − Vieilli. [En parlant d'un gaz, d'une vapeur, de la cause de certains phénomènes] Qui ne peut être comprimé, retenu dans un espace donné. Fluides incoercibles. Ces principes intangibles, incoercibles et impondérables auxquels nous rapportons les merveilleux phénomènes de lumière, d'électricité, de chaleur (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 185).
« Qui ne peut être comprimé, retenu dans un espace donné ». Ah oui, c'est bien ça, c'est exactement ça. J'ai un gaz comprimé dans la poitrine, et mes forces ne suffisent plus à le contenir. Il veut sortir. Pour aller où ? Oh, calme-toi, mon gaz ! Il n'y a rien, dehors. Rien du tout. Dehors, c'est la mort, c'est le froid, c'est l'habituelle pitrerie des zozos glacés de sucre rance.
Oui, je conçois qu'un homme aille à l'amour, mais c'est lorsque, entre lui et la mort, il ne voit plus que son dernier écu, pourrait-on dire en paraphrasant Rousseau. L'amoureux n'écoute pas « le conseil vivant, placé là sans doute par la Providence, comme elle a mis le dégoût à la porte de tous les mauvais lieux » Il entre comme un couillon en confiant son chapeau et sa dernière culotte aux morfleurs acides qui tiennent le tripot. Il ne sait pas encore, le couillon qui vient jouer sa morne tripe, qu'on va le gonfler d'un gaz mortel qui va immanquablement le porter jusqu'au bord de l'abîme crapoteux, une fois qu'on se sera un peu amusé de lui en lui laissant croire qu'il y avait quelque chose à gagner. Mais d'où viennent toutes ces larmes ? Ça sort d'où cette marée ? Qui produit ça ? Quel gisement ! Il y aurait de quoi irriguer le désert, au moins, et passer toutes les vies d'ici au karcher.
Sachez-le bien, à peine avez-vous fait un pas vers la femme, déjà votre tripe ne vous appartient pas plus que vous ne vous appartenez à vous-même : vous êtes à la femme, vous, votre fortune, votre coiffe, votre canne et votre manteau. A votre sortie, la Femme vous démontrera, par une atroce épigramme en action, qu'elle vous laisse encore quelque chose en vous rendant votre bagage. Si toutefois vous avez une coiffure neuve, vous apprendrez à vos dépens qu'il faut se faire un costume d'amoureux… Un costume d'amoureux ? Oui, oui, un costume d'amoureux, c'est-à-dire le-respect-de-la-femme, tu vois, la-poursuite-du-bonheur, la crèche à vie, le poêle dans le salon, la résidence secondaire, le beurre dans les épinards, le plan sur la comète, les-soirées-entre-amis et la salive cotée en bourses, et mes couilles dans la piscine. Oui, je me lève et je montre une figure moulée sur un type ignoble. C'est interdit ? Tant mieux.
« Quand vous entrez dans une maison de jeu, la loi commence par vous dépouiller de votre chapeau. Est-ce une parabole évangélique et providentielle ? N'est-ce pas plutôt une manière de conclure un contrat infernal avec vous en exigeant je ne sais quel gage ? Serait-ce pour vous obliger à garder un maintien respectueux devant ceux qui vont gagner votre argent ? Est-ce la police, tapie dans tous les égouts sociaux, qui tient à savoir le nom de votre chapelier ou le vôtre, et si vous l'avez inscrit sur la coiffe ? Est-ce, enfin, pour prendre la mesure de votre crâne et dresser une statistique instructive sur la capacité cérébrale des joueurs ? »
à Philippe Jarry
dimanche 31 décembre 2017
Bonheur
Il existe plusieurs sortes de bonheurs qui sont très loin de se valoir. On reconnaît le médiocre à ce qu'il se satisfait d'un médiocre bonheur et le bonheur médiocre à ce qu'il choisit un médiocre pour y reposer — à l'abri de lui-même.
Le médiocre est heureux de son bonheur car son bonheur est un tout qu'il épouse complètement, auquel il se confond. Il n'en sort pas, il ne va jamais voir de l'extérieur à quoi il ressemble, ce bonheur, il lui semble qu'il est incomparable, et il l'est, bien sûr, c'est même ce qui le rend médiocre.
Le médiocre heureux vous dit toujours que vous ne pouvez pas savoir comme il est bon d'être heureux — heureux à sa manière bien sûr — car le savoir vous rendrait heureux comme lui (ce qui est sans doute et heureusement impossible), et il aurait reconnu en vous un frère. Le médiocre heureux aime se reconnaître en l'autre. Il aime que l'autre soit comme lui en tout, qu'il aime la même musique, les mêmes divertissements, les mêmes villas, il aime être à l'étranger comme chez lui, son bonheur est de se croiser lui-même à chaque instant et en chaque figure du monde. En cela, on peut dire que le médiocre heureux vit entouré de ses semblables, y compris quand ceux-là sont malheureux. Même ses souvenirs, il vous les prête, car il pense que vous ne pouvez pas en avoir d'autres. Même sa solitude éventuelle n'existe pas.
La vérité du bonheur médiocre — ou du médiocre heureux, puisqu'il semble que les deux choses se recoupent presque parfaitement — se tient tout entière dans le signe égal. L'égalité est son nirvana, le même son idéal, et son imagination n'atteint son apogée que lorsqu'elle disparaît sous les coups de boutoir de son contraire et se met à ressembler à ce qu'il faut bien appeler une infirmité de l'esprit.
J'allais écrire qu'un des bonheurs les plus bas est celui qui s'appuie sur le mensonge et l'ignorance, mais je me ravise. Nommer mensonge l'infirmité dont on parle plus haut me paraît lui faire beaucoup d'honneur. Ignorance, en revanche, paraît convenir, car ne pas savoir, ne pas voir, ne pas entendre, et, conséquemment, ne pas dire, est l'un des plus grands plaisirs de l'heureux médiocre. Tout se passe comme si son bonheur ne tenait qu'au fil qui lui sert à séparer la vie d'elle-même, à n'en laisser qu'une pantelante défroque, sans corps et sans âme, aussi impeccable qu'une motte de beurre. Dans le fond il est si ignorant de ce bonheur qu'il met en vitrine comme une péripatéticienne hollandaise qu'on a envie de le consoler d'être si heureux.
jeudi 28 décembre 2017
La Boîte
C'est une boîte en bois de trente centimètres de long sur vingt centimètres de large environ, qui doit mesurer une quinzaine de centimètres de hauteur. Sur son dessus, un interrupteur métallique. Actionner cet interrupteur en le poussant vers le centre de la boîte a pour conséquence que le couvercle de la boîte se soulève, juste assez pour qu'un doigt en sorte et actionne l'interrupteur en sens inverse, ce qui referme la boîte. Quand le couvercle se soulève, l'intérieur de la boîte s'éclaire d'une lumière verte. Quand le couvercle se referme, la lumière passe au rouge.
Ça ne sert rigoureusement à rien.
Je connais une femme, comme ça. Elle est exactement comme cette boîte. Elle fait en sorte que l'envie d'actionner l'interrupteur soit irrésistible, mais actionner cet interrupteur provoque immédiatement et immanquablement la même réponse : elle sort un doigt de sa boîte et la referme. Rouge, vert, rouge, vert, rouge, vert. C'est la seule alternative.
dimanche 24 décembre 2017
L'Impasse
Le matin de Noël, il était arrivé à la fin du chapitre vingt-cinq. Il se leva et prépara son petit déjeuner. Des œufs au jambon, un jus de pamplemousse, un morceau de fromage et des tartines au miel. Une fois son déjeuner terminé, il se mit au soleil, dans la véranda, bien installé dans le grand fauteuil de cuir jaune. Il resta un moment à regarder la mer en écoutant les Fantasiestücke de Schumann. La chienne ne bougeait pas. Il reprit son livre mais, au moment d'attaquer le chapitre vingt-six, il eut un doute sur ce qu'il avait lu quelques heures auparavant, et décida de reprendre un peu avant la fin du chapitre.
À peine était-il plongé dans sa lecture que quelque chose la chiffonna. Il devait reprendre légèrement plus haut encore, afin de comprendre ce qu'il était en train de lire. Il jeta un regard sur la chienne, prit une grande inspiration, et se mit en devoir de se concentrer. Cette fois-ci il reprit au premier tiers du chapitre vingt-cinq car il avait la sensation que c'était à ce moment-là qu'il avait raté quelque chose. On entendait Warum ("langsam und zart") et la chienne qui, en train de rêver, sans doute, poussait de petits jappements étouffés. Il alla péniblement jusqu'à la fin du chapitre, mais il était mal à l'aise. Il posa le livre et regarda à nouveau la mer, tentant de rassembler ses esprits.
Il resta un moment perdu dans ses pensées. Il était déjà onze heures, la pendule venait de sonner. Le livre était sur ses genoux et il passait machinalement ses doigts sur la couverture. Il le feuilleta, sans intention particulière, alla à la table des matières, mais sans lire un seul mot, puis porta le volume à son nez, pour en sentir l'odeur. Il se dit alors qu'il avait des choses urgentes à faire. Derrière les vitres de la véranda, la mer était désespérément vide, grise et muette. Sans savoir pourquoi il pensa à cette femme, si morne, si triste…
Alors il reprit sa lecture, mais cette fois-ci il recommença le chapitre vingt-cinq à son début, pour être bien certain de ne pas laisser quelque chose de côté. Il lui fallait absolument comprendre. Il était allé débrancher son téléphone pour être sûr de ne pas être interrompu. Rien ne devait rester dans l'ombre, s'il voulait pouvoir continuer ce roman passionnant. Il savait — et il le savait avec une certitude absolue — que quelque chose, là, devait être lu, devait être compris, devait être élucidé, s'il voulait pouvoir avancer dans l'histoire. Il lut lentement, avec une application exagérée et, dès qu'il eut lu le dernier mot du chapitre vingt-cinq, tourna la page rapidement et entama le chapitre vingt-six.
Il n'avait pas terminé la cinquième phrase qu'il s'arrêta. Il lui fallait admettre l'évidence : il ne comprenait pas ce qu'il lisait ! Quelque chose empêchait les phrases d'arriver intactes jusqu'à son esprit, ou plutôt, elles lui parvenaient tellement intactes qu'elles n'avaient de rapport qu'avec elles-mêmes ; c'était des phrases pures, absolues. Ce qu'il lisait lui donnait l'impression d'être barré, de flotter dans un éther. Il reconnaissait les propositions, les mots, les lettres, mais ça ne lui apprenait rien, ni sur l'histoire qu'il était en train de lire, ni sur lui, ni sur le monde, et ces phrases semblaient ne pas appartenir au livre qu'il tenait entre les mains, elles paraissaient avoir été placées là uniquement dans le but de lui nuire, ou de le divertir de sa lecture.
Il lui sembla évident que la raison en incombait à ce vingt-cinquième chapitre, qu'il avait sans doute mal lu, malgré ses efforts, qu'il n'avait pas suffisamment compris, et qui se vengeait en lui interdisant de poursuivre sa lecture. Il lui vint une autre idée, qui était que, peut-être, l'auteur avait volontairement placé là comme une faille de sens, un trou noir littéraire, quelque chose comme une anacoluthe géante, une cabale, une aporie de lecture. Et si après tout ce chapitre vingt-cinq était la vraie fin du livre ? D'accord, mais alors que faire du reste, des cinquante derniers chapitres ? Aurait-il fallu les lire avant ? L'auteur aurait quand-même dû nous prévenir ! Il lui semblait assez peu probable en tout cas qu'un écrivain passe du temps, beaucoup de temps, à écrire une cinquantaine de chapitres destinés à ne pas être lus, qu'il conçoive un livre dont les deux tiers seraient inutiles, ou peut-être pas inutiles, mais en tout cas destinés à rester lettre morte. Pourquoi ne pas tout simplement arrêter son livre au chapitre vingt-cinq ? Une raison éditoriale ? Un pari ? Un coup de génie littéraire ? Non, ça ne tenait pas debout. La faute ne pouvait en incomber qu'à lui, au lecteur qui ne savait pas lire ce vingt-cinquième chapitre, et dont il avait bien senti à sa lecture que quelque chose obscurément se refusait à lui.
Il fallait trouver une issue. Il décida de faire une pause et de consulter Internet, à la recherche de locations à Phuket, en Thaïlande. Il avait besoin de soleil, de soleil et de repos. Oui, c'est ça. Un peu de repos, de détente, de joie-de-vivre, et ce chapitre vingt-cinq ne serait plus qu'un mauvais souvenir. Aucun livre ne résiste à un lit de soleil, à l'air marin et à une boisson fraîche, à 31°, au pays du Sourire. Lucien et Marinette lui avaient souvent dit qu'il ferait bien de venir les rejoindre dans ce qui est pour eux le paradis sur terre. Quinze jours au paradis ne pourraient que lui faire du bien. Il passa une heure à éplucher les propositions de vacances — il avait posé le livre sur la table basse du salon —, puis il alla faire caca et prendre sa douche.
Que signifie bien lire, se demanda-t-il, en sortant de la salle de bains, après s'être lavé les dents. Il savait bien qu'il ne partirait pas à Phuket avant d'avoir achevé le livre. Il lui semblait de toute façon impossible de rester sur cet échec humiliant. Il rouvrit Marelle, de Cortazar, pour voir si une idée ne lui viendrait pas, mais il se sentit comme un nageur sans eau. Il fit quelques notes dans sa trompette, alluma la télé, puis alla courir sur la plage avec la chienne. En courant, il pensait à Isabelle, à Christine, à Sarah, à Céline, à Anne, à Raphaële, à Catherine, à Véronique, à Ettie, à Sophie, à Elisabeth, à Sylvie, à Pauline, à France, à Maya, à Malika, à Barbara, à Brigitte, à Pascale, à Valérie, à Lakshmi, à Juliette, à Mathilde, à Edwige, et toutes ces femmes qui lui revenaient en effluves, en feuilletés, en surimpressions, le désespérèrent sans qu'il sût pourquoi. Essoufflé, en nage, il s'assit sur le sable et se mit à pleurer à chaudes larmes. La chienne vint lui lécher le visage et ses pleurs redoublèrent.
De retour à la maison, il entra dans une fureur folle. Il avait envie de tout casser, de brûler tous ses livres. Il eut l'idée de taper "chapitre vingt-cinq" sur Google, pour voir si par hasard ce problème était connu, si d'autres avant lui avaient buté sur ce même chapitre, mais sa recherche ne donna rien. Il but deux verres d'alcool de poire coup sur coup, et s'affala dans le canapé. Après être resté prostré durant une bonne heure, le souffle rauque, le regard vague, il finit par s'endormir. Dans son rêve, il était sujet à une panne sexuelle, face à la femme aimée, et celle-là riait à gorge déployée, mais l'étrange est que son sexe était énorme, et c'est cela qui provoquait le rire de la femme, qui avait l'air d'une poupée fatale et qui n'avait pas de bras.
C'est la chienne qui le réveilla en lui léchant les mains. La nuit tombait déjà. Il avait faim, et la chienne aussi. Tous les deux, ils se sustentèrent, côte à côte, à la cuisine. Le livre n'avait pas bougé, il était toujours sur la table basse du salon. Le téléphone sonna, mais il ne répondit pas. Il entendit ensuite que quelqu'un lui envoyait un mail. Il n'alla pas non plus le lire.
Pris d'un léger vertige et le cœur battant, il retourna au salon, attrapa le livre sans le regarder, et alla s'installer dans la véranda. Il régla la lumière de telle manière à ce qu'il n'eut aucune difficulté de lecture. Le vent se levait. Il rouvrit le volume, alla au chapitre vingt-cinq, attendit quelques instants, puis se mit à lire, avec une ardeur soutenue. Parvenu au terme du chapitre, il comprit enfin ce qui n'allait pas. C'était pourtant simple ! Il n'avait pas compris le chapitre vingt-quatre.
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samedi 23 décembre 2017
Au labo
« Oui, une vague de douleur s’éleva, déferla, se maintint… puis retomba, et l’on commença à regagner sa table, et – furtivement d’abord, puis ouvertement – on but un petit coup de vodka et on mangea un morceau. Allait-on, en effet, laisser perdre des croquettes de foie de volailles ? En quoi pouvons-nous aider Mikhaïl Alexandrovitch ? En restant affamés ? Car enfin, nous, nous sommes vivants ! »
Robert Wilhelm Bunsen, contemporain de Robert Schumann, est un chimiste né le 30 mars 1811 à Göttingen en Allemagne, qui découvre l'oxyde de fer hydraté, antidote encore utilisé contre l'empoisonnement à l'arsenic. Il a contribué à identifier le césium et le rubidium. La poudre de lycopode est très inflammable, et produit une sorte d'explosion, quand on y met le feu. Est-ce la raison pour laquelle on l'appelle le souffre végétal ? Dans le laboratoire, je tordais les tubes de verre sur les becs Bunsen, pour en faire des sculptures. Il y avait deux alambics, un ancien et un moderne.
Juste après les Quatre-Chemins… La 504 était bien amochée, et l'autre voiture, je crois que c'était une dauphine. Ils étaient tous morts, là-dedans, toute une famille. Sur cette même portion de route, quelques semaines plus tôt, j'avais été pris en stop par un jeune type qui conduisait une Alpine, en revenant de mon BEPC. Il roulait très vite — je me souviens que dans la descente, on était à 160 km/h — et il avait visiblement du mal à maitriser son petit bolide bleu. Le type n'en menait pas large, et moi non plus.
Sans Noël, beaucoup ne connaîtraient pas le vrai désespoir. Maman aimait énormément les fougères. J'aime beaucoup le mot "alcaloïde". Car enfin, nous sommes vivants ! Je suis vivant, encore. Encore un peu.
Il faisait beau, ce jour de juin, nous étions dans le jardin, et Dominique est venu nous chercher. Nous nous sommes précipités sur le lieu de l'accident, il n'arrêtait pas de dire : « Papa saigne, c'est donc qu'il est vivant. »
La douleur me réveille. Et aussitôt elle m'isole. C'est elle qui m'éveille, à deux heures du matin. C'est extrêmement précis, un point à gauche, dans le bas-ventre, je peux mettre le doigt dessus, c'est rare une douleur aussi localisée, elle n'est pas plus grosse que la surface de mon pouce. Elle vient, dure trois ou quatre ou cinq secondes, c'est fulgurant, à crier, puis disparaît pendant trente secondes, ou vingt-cinq, et revient, exactement semblable. Dans mon ventre le verre se tord. Ça dure un quart d'heure, puis ça disparaît. J'attends car je pense que ça va revenir, mais ça ne revient pas. Le bec me mord. Je vois la pie dans le jardin, qui prend un morceau de jambon, puis un deuxième, puis un troisième, et s'envole. La poudre s'enflamme, avec un petit bruit, un "pop", et quelques étincelles. J'aurais aimé savoir : ça fait mal, de mourir ? Oui, sûrement. Ces coups qu'on reçoit dans le visage, dont on sent bien qu'ils abîment quelque chose en nous, tout au fond, qui créent une onde de choc. Ça craque. Trauma. Traum. Je clique sur la vocalisation et j'entends : « Traum », puis je clique sur la traduction, et j'entends : « rêve ». Et si je me levais pour aller manger ? Pendant que je suis encore vivant. Qu'y a-t-il au-delà de la douleur ?
Tu peux bien aller au bout du monde, tu peux bien te tapir sous tes couvertures, te faire aussi petite que tu peux, tu peux bien te laisser fondre au soleil sur la plage, tu peux bien te confier à ta coiffeuse ou à ta manucure, tu seras toujours avec cet encombrant toi-même que tu ne veux pas reconnaître, avec ce corps, cette voix et cette langue qui eux n'ignorent rien de toi et qui sont extrêmement bavards. Ce qui s'écoule de toi, c'est la vie qui fuit. Le temps, qui est la vraie révélation (la musique sert à se mettre sous la seule lumière qui nous accorde au temps), efface à la fois la peine et le mensonge. Personne ne peut tromper durablement son monde. Cette vie qui fuit te revient en miroir comme un reproche sensible qui sera de plus en plus acide et corrosif, au fur et à mesure que les voiles dont tu recouvres ton âme se donneront pour ce qu'ils sont et perdront leurs pouvoirs.
Sans Noël, beaucoup ne connaîtraient pas le vrai désespoir. Maman aimait énormément les fougères. J'aime beaucoup le mot "alcaloïde". Car enfin, nous sommes vivants ! Je suis vivant, encore. Encore un peu.
Il faisait beau, ce jour de juin, nous étions dans le jardin, et Dominique est venu nous chercher. Nous nous sommes précipités sur le lieu de l'accident, il n'arrêtait pas de dire : « Papa saigne, c'est donc qu'il est vivant. »
La douleur me réveille. Et aussitôt elle m'isole. C'est elle qui m'éveille, à deux heures du matin. C'est extrêmement précis, un point à gauche, dans le bas-ventre, je peux mettre le doigt dessus, c'est rare une douleur aussi localisée, elle n'est pas plus grosse que la surface de mon pouce. Elle vient, dure trois ou quatre ou cinq secondes, c'est fulgurant, à crier, puis disparaît pendant trente secondes, ou vingt-cinq, et revient, exactement semblable. Dans mon ventre le verre se tord. Ça dure un quart d'heure, puis ça disparaît. J'attends car je pense que ça va revenir, mais ça ne revient pas. Le bec me mord. Je vois la pie dans le jardin, qui prend un morceau de jambon, puis un deuxième, puis un troisième, et s'envole. La poudre s'enflamme, avec un petit bruit, un "pop", et quelques étincelles. J'aurais aimé savoir : ça fait mal, de mourir ? Oui, sûrement. Ces coups qu'on reçoit dans le visage, dont on sent bien qu'ils abîment quelque chose en nous, tout au fond, qui créent une onde de choc. Ça craque. Trauma. Traum. Je clique sur la vocalisation et j'entends : « Traum », puis je clique sur la traduction, et j'entends : « rêve ». Et si je me levais pour aller manger ? Pendant que je suis encore vivant. Qu'y a-t-il au-delà de la douleur ?
Tu peux bien aller au bout du monde, tu peux bien te tapir sous tes couvertures, te faire aussi petite que tu peux, tu peux bien te laisser fondre au soleil sur la plage, tu peux bien te confier à ta coiffeuse ou à ta manucure, tu seras toujours avec cet encombrant toi-même que tu ne veux pas reconnaître, avec ce corps, cette voix et cette langue qui eux n'ignorent rien de toi et qui sont extrêmement bavards. Ce qui s'écoule de toi, c'est la vie qui fuit. Le temps, qui est la vraie révélation (la musique sert à se mettre sous la seule lumière qui nous accorde au temps), efface à la fois la peine et le mensonge. Personne ne peut tromper durablement son monde. Cette vie qui fuit te revient en miroir comme un reproche sensible qui sera de plus en plus acide et corrosif, au fur et à mesure que les voiles dont tu recouvres ton âme se donneront pour ce qu'ils sont et perdront leurs pouvoirs.
« Elle se tut alors et parut concentrée dans une de ces jouissances infinies qui récompensent ces pauvres créatures de tous leurs chagrins passés, de leurs malheurs, et qui développent dans leur âme une poésie inconnue aux autres femmes à qui ces violents contrastes manquent, heureusement. »
Ce n'est pas parce qu'il est mort qu'on doit se laisser mourir ! Quand elle crie, au moment de la jouissance, son cri est tellement puissant que j'ai les tympans qui sifflent. Elle crie parce qu'elle s'appelle. Se cherche. Veut vérifier qu'elle est là.
Quand une douleur intense, brutale, inconnue, nous réveille en pleine nuit, sans s'être annoncée, elle nous isole d'une manière terrifiante. La vie s'enfuit, d'un seul coup, ça tombe, et en même temps cette douleur nous rend si vivants, si cruellement et si bêtement vivants, vivants comme des bêtes dont la cruauté consiste à vouloir continuer à vivre, à tout prix, à tout prix c'est-à-dire que vivre ça signifie prendre la vie des autres, passer par-dessus leur vie, sans vergogne. Il y a toujours cette pointe, cette flamme qui sort du bec : on est unique au monde et pour préserver cette unicité-là on passe par-dessus tout, même la mort des autres. Croquettes de volaille et vodka pour tous ! Les autres, c'est du verre qu'on tord sur la flamme. La cruauté mon petit c'est la vie. « Pop ! » Quelques étincelles, un feu de joie, et c'est déjà fini. Reste la poésie, mais ce reste est en-deça du pire.
Bunsen, ça me fait bien sûr penser aux Davidsbündlertänze, de Schumann. Schumann, c'est la douleur, et c'est le père, et c'est le risque de la folie. C'est le Rhin, la nuit, la tentation de se jeter à l'eau. Une vague de douleur s'éleva, sortit de son lit, et nous emporta dans la nuit. Dans ces moments-là, il y a ceux qui sont emportés, et ceux, les spectateurs, qui sont au spectacle et qui vont ensuite souper, tranquillement, parce qu'il faut bien continuer à vivre malgré tout. Il y a ceux qui boivent la tasse jusqu'à la suffocation et ceux qui balancent les comprimés sous le lit en mettant la Nuit transfigurée sur le tourne-disque. Les spectateurs et les acteurs, rien entre.
Mais qu'est-ce qu'elle comprend à la poésie ? On devrait toujours demander à une femme qu'on veut aimer si elle est capable de diriger du Schumann, là, tout de suite, avec sa main droite (le "nicht schnell", la septième pièce). Et puis, tu as mal ? Où ça ? Montre-moi. La plainte. Il faut que la plainte soit séduisante. Montre-moi. Il y a des compositeurs qui sont incontournables. Tu n'aimes pas Schumann, tu n'aimes pas les sonates pour violon et piano de Mozart ? Au-revoir. On le sait, pourtant ! Elles nous poussent dans le Rhin, ces salopes, elles ne veulent pas se mouiller.
Pousse-toi, laisse-moi vivre, à ta place !
Mais qu'est-ce qu'elle comprend à la poésie ? On devrait toujours demander à une femme qu'on veut aimer si elle est capable de diriger du Schumann, là, tout de suite, avec sa main droite (le "nicht schnell", la septième pièce). Et puis, tu as mal ? Où ça ? Montre-moi. La plainte. Il faut que la plainte soit séduisante. Montre-moi. Il y a des compositeurs qui sont incontournables. Tu n'aimes pas Schumann, tu n'aimes pas les sonates pour violon et piano de Mozart ? Au-revoir. On le sait, pourtant ! Elles nous poussent dans le Rhin, ces salopes, elles ne veulent pas se mouiller.
Pousse-toi, laisse-moi vivre, à ta place !
jeudi 21 décembre 2017
Facebook est un instrument que j'adore. Plus je le connais plus je l'aime. Il permet de voir, très rapidement — d'un seul coup d'œil et transversalement, pourrait-on dire — la bêtise dans ce qu'elle a de plus banal, de plus ordinaire. Celle-là, par exemple, qui ne cesse de se contredire d'un commentaire à l'autre sans jamais s'en rendre compte. Celui-ci qui ne comprend pas ce qu'il écrit lui-même (ou devrait-on dire qui ne comprend pas lui-même ce qu'il écrit ?). Cette autre encore qui étale en couches épaisses son contentement de vieille petite fille gâtée qui pense abuser le monde. Les experts (politiques, artistiques, météorologues), les philosophes, et bien sûr les sages…
Tout le monde se plaint de Facebook. Moi je m'en régale. Nulle part ailleurs je n'aurais accès à la société dans son ensemble, à toutes les classes sociales, à tous les genres, à tous les âges, à tous les types humains, à toutes les fantaisies et à toutes les pathologies mentales. Pour quelqu'un comme moi qui ne met jamais le nez dehors, c'est irremplaçable. Les premiers-degrés, les seconds-degrés, les troisièmes-degrés, les spiraleux du sous-texte, les citationneurs compulsifs, les "Pauvre-France", les perroquets éventrés, les ventriloques aphasiques, les aboyeurs à cholestérol, les filandreux, les pies-voleuses, les mussoliniens sans guillemets, les guévaristes à tampons, les extatiques à séquence, les esseulées du clitoris, les hystériques à turbo, les salonardes bio, les moralistes des cavernes, les étriqués du béret, les sociologues fidjiens, les "la terre-est-ronde-et-je-vous-le-prouve", les artistes en surcharge pondérale, les mamans restées fifilles, les fifilles puputes, les strip-teaseuses au rabais, les alanguies coriaces qui se mettent en vitrine, les raidis du poireau, les alarmes-à-l'œil, les très-ralentis, les patriotes numériques, les revenues-de-la-messe, les incontinents du ressenti, les déchiffreurs du grand-livre, les notoirement notoires, les mémoriels immatures, les jaloux éternuants, tout ce peuple fantomatique et trop réel qui vient froufrouter en concertos ou en chambre des ventes privées me fascine et m'instruit. Tout est écrit, inscrit, il suffit de lire, il suffit de regarder, il suffit d'écouter.
Le XIXe siècle avait les Galeries de bois, nous avons Facebook.
Quelle marée ! Quelle vitrine ! Je suis le professeur faisant sa visite au CHU, avec les externes sur ses basques. Personne ne moufte. Le professeur a de la température. Il s'ennuie mais il a remarqué dans la petite troupe une jeune femme dont les avantages se sont imprimés dans son dos, par deux fois qu'il se reculait d'un malade, horrifié de s'y reconnaître. Il a senti deux éponges tièdes lui chauffer les omoplates. Cette frénésie silencieuse et molle perturbe légèrement les échanges gazeux alvéolo-capillaires du mandarin écartelé. Sa température grimpe encore. Il confond les noms. Nadine, Isabelle, Berthe, Laura ? On s'en tape, il like. ❤️❤️❤️❤️
mardi 5 décembre 2017
Froid
Couvert de deux couettes superposées, je dors avec des chaussettes, deux t-shirts enfilés l'un sur l'autre, un pantalon de pyjama, et un bonnet, et pourtant j'ai encore froid.
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J'ai reçu une très belle lettre de "Joseph Valet". Une lettre qui m'a fait monter les larmes aux yeux. C'est le retour, quarante ans après, du Jeu des perles de verre… ce roman qui aura décidé de ma vie.
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Au tour de James Levine, maintenant… À quand le mien ?
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Le froid m'a toujours fait souffrir. Enfant, je détestais le ski à cause de ça. Avoir froid aux doigts, aux pieds, était une souffrance insupportable. Je détestais tous les sports qui se pratiquent en hiver, dehors. Je rêvais d'avoir des gants et des chaussures qui m'épargnent une fois pour toutes cette souffrance. Cette douleur me paraissait une punition terrible et terriblement injuste. C'est pourquoi me fascine ce que je n'ai appris que récemment : mourir de froid est sans doute l'une des manières de mourir les plus douces qui soient. Je pense à ce SDF mort il y a quelques jours, ici, dans le Gard, juste devant le local du Samu social. Déjà, il y a quarante ans, j'avais eu froid, dans le Gard. Pas de chauffage dans la maison, à Valliguières, pas d'eau chaude. Mais il y avait une grande cheminée dans la cuisine.
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Pourtant je ne rêve que de pays froids, de neige, de glace, d'obscurité. Le grand nord me fait rêver, pas du tout les îles du Pacifique. Allemagne, Suisse, Autriche, Russie, Finlande, Canada, Hongrie, pays de l'est… Aller finir sa vie dans les Alpes suisses, à mille mètres d'altitude.
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Le froid est lié à cette répugnante odeur de jambon blanc enveloppé de matière plastique, mélangée à celle de la mandarine, au fond d'un car, et rehaussée de vomi. Les sièges de l'autocar, les tournants, le froid, et la journée en perpective, sur les pistes, un dimanche de cauchemar. Pourquoi cette torture ?
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Une des premières fois que j'ai couché avec elle, c'était dans la maison de la grand-mère, à Planay. Comme elle était inhabitée et que nous étions en hiver, il faisait un froid de canard à l'intérieur de la bicoque, dans ce village où les températures atteignaient régulièrement les moins vingt degrés. Elle avait demandé à y dormir, comme ça je pouvais la rejoindre et passer la nuit avec elle. Sa famille, à cinquante mètres de là, ne se doutait de rien. Anne était notre Brangäne et venait nous réveiller le matin pour que je ne sois pas bêtement surpris en compagnie de la jeune fille.
(Il est des hommes qu'on assassine pour d'autres méfaits que ceux qu'ils ont commis, et qu'on tabasse pour des idées qu'ils n'ont jamais professées.)
Jean d'Ormesson est mort en écrivant « Je suis encore vivant ». Je suis vivant en écrivant que je suis déjà mort. Le froid conserve. Le Perreux-sur-Marne, la ravissante Suzy et son mari Jean, tout ça c'est du passé…
Alors, bande de salopes ! Quand venez-vous me chercher pour me porter au bûcher ? J'ai froid. Si j'étais un démon, je serais heureux comme tout. J'ai des flèches dans la tête, c'est l'amour qui me dévoie. J'ai froid et je brûle. Je prends ses pieds entre mes mains, comme deux inestimables trésors, et, par la fenêtre, je vois l'horizon qui s'enflamme.
Et le rugby alors ? Parlons-en, du rugby. Le rouge de la peau, la vapeur qui sort des groins, les coups dans les tibias, la boue. De toute manière on ne connaissait même pas les règles de ce jeu de brutes et on portait un short "prince-de-Galles". Mais le pire est encore de se tenir au bord du stade et de piétiner dans le froid durant une heure et demie.
« Ses mots, ses jets de pensée ont une saveur inouïe. Il est éloquent et sait aimer, mais avec ses caprices, qu'il porte dans les sentiments comme dans son faire. »
***
(Il est des hommes qu'on assassine pour d'autres méfaits que ceux qu'ils ont commis, et qu'on tabasse pour des idées qu'ils n'ont jamais professées.)
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Jean d'Ormesson est mort en écrivant « Je suis encore vivant ». Je suis vivant en écrivant que je suis déjà mort. Le froid conserve. Le Perreux-sur-Marne, la ravissante Suzy et son mari Jean, tout ça c'est du passé…
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Alors, bande de salopes ! Quand venez-vous me chercher pour me porter au bûcher ? J'ai froid. Si j'étais un démon, je serais heureux comme tout. J'ai des flèches dans la tête, c'est l'amour qui me dévoie. J'ai froid et je brûle. Je prends ses pieds entre mes mains, comme deux inestimables trésors, et, par la fenêtre, je vois l'horizon qui s'enflamme.
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Et le rugby alors ? Parlons-en, du rugby. Le rouge de la peau, la vapeur qui sort des groins, les coups dans les tibias, la boue. De toute manière on ne connaissait même pas les règles de ce jeu de brutes et on portait un short "prince-de-Galles". Mais le pire est encore de se tenir au bord du stade et de piétiner dans le froid durant une heure et demie.
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« Ses mots, ses jets de pensée ont une saveur inouïe. Il est éloquent et sait aimer, mais avec ses caprices, qu'il porte dans les sentiments comme dans son faire. »
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On pourrait se réchauffer en tuant. Mais tuer quoi, qui ? Pourquoi ? Avec quelle arme ? Au moins si je me branle, j'ai chaud durant cinq minutes ; mais je pourrais aussi faire du sport ? Non, quand-même, on a des principes.
***
Cette corde ne vibre plus — ou bien elle n'a jamais vibré, je ne sais pas.
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