Marcel Sambat ! Marcel Sambat avec un "t" à la fin. Comment peut-on s'appeler Marcel Sambat ? Un nom à pratiquer la coprophagie. Chacun son truc, bien sûr, mais moi j'aimerais pas m'appeler Marcel Sambat. Albert Duspasme, ou Georges Bachelard, ou même Geo Possety, c'est quand-même autre chose ! Ce con a écrit, tiens-toi bien Nicole, un "pamphlet pacifiste" ! Je sais pas si tu vois la gueule du type qu'écrit un pamphlet pacifiste… Enfin bref, on lui a donné une station de métro, à Marcel Sambat. La ligne 9 : Mairie de Montreuil-Pont de Sèvres. Entre Michel-Ange - Molitor et Porte de Saint-Cloud, on a la station Marcel Sambat. Quand je voyais Marcel Sambat, je me levais, pour être prêt à descendre à la prochaine. C'est ma tante qui m'avait expliqué. Quand vous voyez que vous êtes à Marcel Sambat, mon Fifi, vous vous levez et vous vous approchez de la porte, comme ça les gens comprendront que vous allez descendre à la prochaine. Je descendais à Billancourt. No problem, Tantine. La Muette, Ranelagh, Jasmin, déjà ça me frissonnait dans les mollets. Surtout Jasmin. Jamais je n'ai demandé à Tantine qui était Marcel Sambat, tu vois, j'aurais peut-être dû. Marcel a épousé Georgette Agutte. Aucun rapport avec la coprophagie, mais c'est pas une raison. De toute façon, les peintres et le caca, on sait bien ce qu'il en est… Ben tiens ! Michel-Ange, tu crois peut-être qu'il mettait de l'huile de pistaches, dans sa barbouille ? Marcel, il était copain avec Odilon Redon… Encore un qu'avait un nom de fiotte, tiens, t'imagines : « Redon, au tableau ! » Odilon, passe le ballon ! Odilon, t'es con ! Odilon, file-moi tes bonbons ! Bon. C'est con de s'appeler Odilon ! Mais Marcel, lui, il avait pas une tête à danser la samba avec une négresse, ah non alors ! Plutôt une tête à écrire dans l'Huma des pamphlets pacifistes. Tiens, regarde-moi ça : « Faites un roi, sinon faites la paix. » (1911) T'avoueras, hein… Encore mieux : « La Victoire en déroute ». Si ça veut dire quelque chose, ça, je veux bien m'appeler Georges Sambat pendant six mois et voter socialiste ! Il a été ministre des Travaux publics, le Sambat, en 14. Travaux publics de quoi de quoi ? Creuse ! qu'y me disait toujours, le Grand-Père Eugène, creuse, Georges. Et pourtant, il était pas socialiste, lui, nom de dieu ! En voilà un qui sentait pas le jasmin, Eugène. « Douze balles dans la peau. » qu'y faisait, si on lui parlait d'un socialiste. C'qui m'étonne c'est qu'y m'ait jamais parlé de Marcel Sambat, mon grand-père Eugène. Mais faut dire qu'il allait pas souvent à Paris. Même jamais, en fait. Je ne sais même pas s'il savait ce que c'était, le métro. Lui, il conduisait une Talbot, et il disait à ma mère qu'il allait « me dresser ». Tantine elle pouvait pas le blairer, Eugène. Elle, le métro, elle connaissait. Elle s'habillait en Lanvin et Balmain, et elle m'emmenait au cinéma, et aussi aux Puces. Je dormais dans son lit, j'aimais bien. Ce qu'elle n'aimait pas, elle, c'était les ouvriers de Billancourt qui défilaient en levant le poing. Même s'il voulait me dresser, moi j'aimais assez Eugène, il me faisait rire, et il pinçait les fesses des infirmières sur son lit de mort. Non, c'est sûr que Marcel Sambat, ça pouvait pas être un copain d'Eugène. Tu veux que je te dise ce qui a changé, Nicole ? En ce temps-là, quand on montait dans le métro, on était sûr de ne jamais sortir de Paris. Même Boulogne, même Montreuil, même Clignancourt, tu vois, c'était Paris. On pouvait pas se perdre, on pouvait pas s'échapper. Y avait du monde, oui, je suis d'accord, mais si je me perdais, je disais : Chez Ma Tante, après Marcel Sambat, et on me ramenait chez elle. Une époque où on écrit des pamphlets pacifistes, c'est pas une époque dangereuse.