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jeudi 26 janvier 2012

Prix Mychkine, à vue de nez il est cinq heures !


Il est peu d'occasions de se réjouir, il ne faut en négliger aucune. Mardi soir, rentrant à la maison en voiture, j'écoutais France-Culture, la-radio-qui-ne-déçoit-jamais, où j'ai appris la création d'un nouveau prix "culturel", le Prix Mychkine, dont voici l'argument :


Le comité fondateur du prix Mychkine, Joszef Bugovics – Leipzig, Rene Gude – Amsterdam, Regina Haslinger – Wien, Maren Sell – Paris, Peter Sloterdijk – Karlsruhe, Peter Weibel – Karlsruhe, annonce la création d’un nouveau prix culturel. Il est destiné à récompenser, dans le domaine de la création, des réalisations dont les auteurs se sont distingués par leurs contributions exemplaires à l’instauration d’un climat de générosité.
Pour la première remise de ce prix, le comité a mis en valeur «l’humanisme de la fonction d’avocat», avec lequel des individus s’engagent comme défenseurs de tierces personnes dépourvues, pour diverses raisons, des possibilités de se battre en faveur de leurs propres intérêts.

Oui, je sais, vous allez me dire que c'est déjà très mal parti, avec le "dans le domaine de la création", qui sent son politburo cultureux à plein naseaux, mais avouez tout de même que ce n'est pas tous les jours qu'on vous sert de la "contribution exemplaire à l'instauration d'un climat de générosité" ! Si, c'est tous les jours ? Ah, pardon, je ne sors pas beaucoup, ne m'en veuillez pas… Mais quand-même : "l'humanisme de la fonction d'avocat", c'est pas mal, non ? Et les "individus [qui] s'engagent comme défenseurs de tierces personnes dépourvues, pour diverses raisons, des possibilités de se battre en faveur de leurs propres intérêts", ça le fait pas un peu ? Allons, ne faites donc pas la fine bouche! Pour ma part, je trouve qu'il y a là, dans ces quelques phrases, un condensé assez puissant de la novlangue cacateuse du clergé culturel, et qu'il convient de dire merci pour ce morceau de bravoure qui tient au corps. Avec ça, on est rassasié pour au moins une semaine, c'est de la nourriture d'hiver (de la culture).

Quoi qu'il en soit, l'annonce de ce nouveau prix (les prix, en régime culturiste, c'est comme les rapports et les plans en régime soviétique, plus les rayons sont vides, plus on en produit) était faite par Benoît Lagane, le super bien-pensiste du Rendez-vous de Laurent Goumarre. Et ce fut à ce moment-là que le bonheur fit son entrée dans ma voiture. Goumarre demanda comme d'habitude à ses invités s'ils désiraient commenter une ou plusieurs des nouvelles qu'on venait d'entendre, lesquels invités étaient le patron des éditions de l'Olivier, Olivier Cohen, et Padgett Powell, un écrivain américain dont je n'avais jamais entendu parler. Le premier choisit de commenter la création du prix Mychkine en ces termes : "Je suppose que le prix Mychline récompense un idiot ?" bientôt suivi par l'Américain, qui ajouta, sur le même sujet : "Je suis ravi qu'on ne m'ait pas attribué ce prix."

Vous vous demandez sans doute à qui le prix Mychkine a été décerné ? Réfléchissez donc un peu, la réponse est très simple. Mais je vais vous aider. La cérémonie sera "animée" par Laure Adler, et l'éloge au lauréat sera celui de Daniel Cohn-Bendit. Toujours rien ? Mais si, vous savez bien, ce vieux gâteux qui vend beaucoup de livres, dont le prénom est Stéphane, et dont le nom désigne une partie du corps que les femmes préfèrent glabre, à notre grande tristesse…

dimanche 4 décembre 2011

Andante spianato


Jean Casino aimait les pseudonymes. Avec un nom comme le sien, ça se comprend. Après des études de droit vite abandonnées, il avait, comme on dit, "bifurqué vers l'art", surtout pour la très bonne raison qu'il y a plus de filles faciles dans les cours des Beaux Arts que dans les facs de droit. Jean Casino n'était pas idiot, il savait parfaitement qu'il n'avait aucun talent, et ce n'était pas pour apprendre à dessiner qu'on le voyait très régulièrement dans les cours de nu d'après modèles vivants. Les mardi et jeudi, il ne manquait jamais les séances qui avaient lieu au rez-de-chaussée du 3, place des Vosges. Ce n'est pas que les modèles étaient plus jolies ici qu'ailleurs, mais il avait ses habitudes à la brasserie Ma Bourgogne, avec quelques amis aussi indolents que grands buveurs. Ses amis l'appelaient le Chevalier, parce qu'ils savaient que son idole et sa principale source d'inspiration était le chevalier de Seingalt, Giacomo Casanova. Ce qu'ils ignoraient, en revanche, c'est que Jean Casino, en les quittant, se rendait presque toujours au 1, bis de la même place des Vosges, où l'attendait Rose.

Il l'avait rencontrée au cours de dessin où elle venait poser assez régulièrement. Pour Rose, ce travail n'était pas vraiment une corvée, elle n'avait que quelques marches d'escalier à descendre pour s'y rendre, mais surtout, et bien qu'elle ne l'avouât pas, elle était troublée par ces instants faussement routiniers. Elle aimait ce moment où elle se déshabillait derrière le paravent miteux, avant d'aller se mettre au centre des regards, avec les mouvements engourdis et légèrement gauches de qui s'absente de son propre corps pour des motifs ignorés de lui-même. Il y avait là des étudiants de tous âges, mais en majorité des jeunes gens, dont beaucoup de filles. Tous fumaient beaucoup. Après que la pose avait été décidée, corrigée, fixée, les voix de tous registres, mélangées de toux et de rires et de raclements de chaises, s'étaient fondues en un murmure pâle à l'intérieur duquel les coups de fusain et de crayon semblaient comme des étincelles fragiles et fugaces, et Rose se sentait alors émue, cernée, et finalement portée et choyée par tous ces yeux qui se levaient à intervalles plus ou moins réguliers vers la masse rose et blanche de son corps. Dans ce moment, comme après l'accord de l'orchestre, quand le chef lève sa baguette, il s'instaurait alors, sotto voce, un étrange dialogue entre cette forme laiteuse, en pleine lumière, immobile, et ces corps dont seules la tête et l'extrémité du bras étaient en mouvement, comme si par ces gestes économes et répétés ils insufflaient au modèle une vibration à peine perceptible qui le maintenait tout juste en vie. Rose ressentait cette palpitation légère comme une onde bienfaisante ; elle se laissait porter ; elle était surprise d'offrir sans remords aux regards ses deux seins lourds qui l'avaient si souvent gênée, en des circonstances pourtant ordinaires. On entendait le bois qui craquait dans le poêle. Il était suffisamment près d'elle pour qu'elle sente la chaleur atteindre directement son ventre, et parfois lui causer quelque embarras plus localisé.

Très souvent, Jean Casino dormait, au fond de la salle, mais quand c'était Rose, il venait plus près, et il la regardait intensément. Il était séduit par cette jeune femme un peu grasse, dont le pubis très noir et très fourni contrastait avec la peau très blanche. Elle ne ressemblait en rien aux filles avec lesquelles il couchait habituellement, et le fait qu'elle ne s'épile pas les aisselles le troublait violemment.

(…)