Depuis quelques jours, je ne dors qu'en compagnie de machines, plus ou moins perfectionnées, plus ou moins encombrantes, qui enregistrent une batterie de données sur mon cœur, mes poumons, mon sommeil, ma respiration, etc. C'est à la fois très désagréable et très amusant. Ça clignote dans l'obscurité, ça entre dans les narines, les fils se prennent là où il ne faut pas, mais on se sent moins seul. La nuit comme laboratoire intime… Et puis j'aime les chiffres, les données, surtout quand ils sont censés nous définir, ou au moins nous décrire. On sait bien que c'est une fiction, mais c'est amusant. Se présentant aux gens qu'on croise dans une soirée, la nouvelle politesse pourrait exiger qu'on énumère une théorie de nombres en préambule de toute conversation. Par exemple, on pourrait refuser de discuter avec quelqu'un qui a un PH trop différent du sien, ou dont la tension artérielle est trop basse. Après tout, c'est déjà ce qui se passe, mais à notre insu. Les odeurs, les sons et les mille signes qu'émettent les individus ont le même rôle. De toute manière, à partir d'un certain âge, les gens ne parlent plus que de ça. Ils disent "la santé", mais c'est beaucoup plus que ça. C'est le corps, dont ils parlent, le corps qui s'exprime, le corps qui fait parler les organes, comme les instruments d'un orchestre, qui ont trop longtemps été mis au secret. Enfin on les entend ! Ils ont ôté la sourdine.