Allaitement et ramadan, compatibles ? Guerre civile et lait cru, compatibles ? Dijon Bourdier et im-pensable, compatibles ? Facebook et transpiration, compatibles ? Ne cherchez pas, je suis le seul à poser les bonnes questions.
La France est en pente, pas lente. Dans les descentes, il faut se délester, jeter le superflu, le Sens est déjà assez fatigué comme ça, et courir le pantalon sur les chevilles n'est pas donné à tout le monde, même quand il s'agit de faire plaisir aux minorités majeures. La Grand'Messe fraternitaire s'accommode des restes du Grand Repas chrétien parce que ses fidèles ignorent tout des aliments qu'ils ingurgitent avec la gloutonnerie indifférente du débutant. Ils n'en reconnaissent pas les contours, ils les prennent pour les créations arte povera d'une nouvelle cuisine destinée à passer très vite, sans imaginer un seul instant qu'avant d'être ces reliefs aux formes étranges, ces quelques figures rachitiques étaient habitées d'un feu et d'une pensée grandioses. Les sans-mémoire d'identité qui peuplent nos nations ont vaguement le sentiment que "ça leur rappelle quelque chose", mais ils préfèrent en situer l'origine en une quelconque terre vierge et sauvage car c'est plus conforme à leur camelote mythologique. Ils sont prêts à embrasser toutes les religions sauf une, la leur, parce que c'est la seule capable de faire sortir l'homme du religieux, et qu'ils ne le supportent pas. Dans le fond, ces soi-disants athées ou anti-religieux ou laïcards ou républicains ou socialistes, en fait tous ceux qui s'aspergent matin et soir de progressisme, ont moins de différences avec les punaises catholiques, protestantes ou musulmanes qu'avec ceux qui les ont précédés en notre vieille France, fille aînée de l'Église…
Écoutez-les parler, par exemple, avec ce vibrato si reconnaissable dans sa moiteur sexuelle, des "printemps arabes". Comme l'on sent bien la turgescence qui pointe sous la robe de bure du Citoyen universel ! Enfin, tiendraient-il un début de commencement de cette Vérité-en-marche qui n'en finit plus de se faire désirer ? On avait failli attendre ! Comme le ridicule est mort depuis belle lurette, on ne risque plus rien à se tromper, dans un monde qui urine sans répit depuis ses lanternes éternelles. Facebook, c'était cool, la Bloge c'est fun, mais soudain trouver dans la vraie vie des figurants qui veulent bien jouer avec nous sous les caméras du monde entier, c'est tout de même autre chose ! Les intermittents du Spectacle de chez nous ne valant rien, et les distances ayant été abolies ainsi que les dogmes et les frontières, on va délocaliser Hope Factor et aller s'éclater avec les jeunes forces vives de l'Europe-du-sud, qui feront écho à leurs semblables, le grand Autre en dissémination perpétuelle qui bat le pavé chez nous. Nous qui avons connu l'Hiver yougoslave, l'automne tchécoslovaque et l'été indien, un printemps, fût-il arabe, ne nous tourne pas les sangs, d'autant qu'il n'est pas dit que l'avenir du socialisme soit derrière nous, tant notre Europe nous paraît de plus en plus devoir en réaliser la part la plus sombre. Ce que l'URSS a échoué à imposer à ses citoyens rétrogrades et grincheux, l'Europe va vous le faire aimer : Quand on utilise avec allégresse cette métaphore du "printemps", il faut se rappeler que naguère certains voulaient créer un "homme nouveau". Vous pensiez qu'Europa était fille de Beethoven, Montaigne, Dante, Shakespeare, Debussy, Verdi, Rembrandt, Cervantes, Watteau, Berio ? Pour savoir, savoir sans illusion, ce qu'est l'Europe aujourd'hui, il faut aller dans une de ces boîtes de nuit de la côte d'Azur où "l'élite" dépense 900 000 euros en une soirée. Entre DJ, putes et maquereaux, Europa, assourdie par les milliers de watts de la-scène-créative-contemporaine, se fait toute petite : tout le monde a compris que c'était une pauvre vieille fille ridée et craintive, qui n'est là finalement que pour rassurer ceux qui l'ignorent, en leur prouvant complaisamment qu'ils peuvent tout lui faire, dans la plus complète impunité. Car ce qui caractérise avant tout notre temps, c'est la compatibilité de tout avec tout, tant "la faute de goût" a été définitivement éradiquée, et jusqu'à son souvenir. Quand on a tout balancé par-dessus bord, quand on vient nu comme le nouveau né, quand la mémoire est une cire fraîche en laquelle toutes les odeurs et toutes les fables s'incrustent comme des sans-gêne, quand l'Histoire est récrite chaque jour comme le prévoyait Orwell, sans résistance aucune, occupés que nous sommes à faire la fête, alors les Monstres peuvent débarquer parmi nous, incognito, sans que personne ne songe même à leur demander qui ils sont, d'où ils viennent, et ce qu'ils ont à nous dire. D'ailleurs il importe peu de leur demander ce qu'ils ont à nous dire, puisque nous le savons déjà : nous appartenons à une espèce tombée, et ces monstres ne sont que les habitants du pays qui est au bas de la Pente. En réalité, ce ne sont pas eux qui sont chez nous, mais nous qui nous sommes rendus chez eux.
J'essaierais bien de prétendre qu'entre Nationale 7, Douce France, La Folle complainte et Y'a d'la joie, Charles Trenet avait écrit l'histoire qui nous occupe, à sa façon tendre, laconique et discrètement ironique, mais je sens que vous allez encore hausser les épaules…