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lundi 17 août 2020

La pataphysique à la portée des mouches à merde (notes)


Le corniste du Royal Concertgebouw Orchestra va aux répétitions en shorts ! En shorts !!!

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Facebook m'interdit de publier et de commenter (et même de "laïker", comme l'écrit Vincent Castagno) pendant une semaine, au motif que j'avais écrit : « Il faut interdire absolument aux femmes de diriger des orchestres. » C'est merveilleux. On n'a plus le droit d'émettre une opinion sur un sujet qu'on connaît un million de fois mieux que les gens qui nous empêchent de l'exprimer. Mahomet a vaincu Voltaire, comme on l'apprend aujourd'hui, et des ignares dopés au silicium, au fin fond de je ne sais où, me tapent sur les doigts parce que je pense que les femmes chefs d'orchestre annoncent inéluctablement la mort prochaine de la musique. Voilà qui donne une idée de la merveilleuse cocotte dans laquelle nous mijotons : une opinion que les censeurs ne sont pas à même, je ne dis même pas de comprendre, mais d'entendre, d'évaluer, de classer, est caviardée parce que, dans leur sale petite langue égalitaire et renfrognée, j'ai "discriminé une minorité", les femmes (les minorités sont toutes sacrées, mais parmi elles, une minorité est plus sacrée que les autres, les femmes ; c'est en quelque sorte la minorité-étalon). Une lumière s'est allumée sur le tableau de bord de la réponse immunitaire du Planétarium équitable et inclusif, et, aussitôt, les gommes numériques se sont mises en action. J'avais pourtant pris soin de mettre la phrase entre guillemets, lui donnant ainsi la valeur d'une opinion parmi d'autres. Mais ils ne connaissent pas les degrés du discours, ni ses subtilités. Seuls les mots comptent, et leur implication idéologique — et même ce mot d'idéologie est encore bien trop vaste. Si la pensée autrefois avait été aussi fruste, pour ne pas dire autre chose, des Mahler et des Strauss n'auraient jamais vu le jour, et Proust aurait écrit sa Recherche en deux cents pages.

D'un côté je m'en fiche complètement, et je trouve ça merveilleux et cocasse, et d'un autre côté, c'est évidemment tragique. Mais je ne suis décidément pas d'humeur tragique, en ce moment. Que le monde sombre dans un cul de basse-fosse me paraît ce soir assez juste et mérité.

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Les cinq sens sont des filtres entre la réalité et nous. Une société absolument totalitaire voudra évidemment les supprimer. Nous serons directement branchés en permanence sur le Réel, sans aucune possibilité d'interprétation ni de recul.

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La manière dont chacun se fraie un chemin dans la jungle de l'information décentralisée et horizontalisée est en train de devenir un des enjeux principaux de nos sociétés.

Finalement, l'intelligence (logique et aptitude à discriminer), bafouée et méprisée, au même titre que la langue, revient d'une manière inattendue et spectaculaire.

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L'idéal du XXIe siècle en train de se faire, c'est un homme tronc, métisse absolu, ni homme ni femme, sans bouche, sans yeux, sans oreilles, sans sexe. On le mettra dans des boîtes à chaussure et on lui fera écouter (directement par le cerveau) les consignes du jour, qu'il ne pourra de toute façon ni contester ni approuver.

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Un monde dans lequel on peut vendre des bananes pelées et des tomates tranchées (sous vide) est un monde qui permet absolument tout, y compris la farce planétaire du coronavirus.

Nous n'aurons bientôt plus besoin de nos mains. Déjà, les yeux et les oreilles avaient cessé de servir, et le sexe a suivi…

Il nous reste encore une bouche, mais déjà on la couvre.

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Les antiracistes sont des criminels. Ils ont attrapé dans leur filets industriels de très nombreux individus qui, non seulement n'étaient pas racistes, mais qui avaient le racisme en horreur, et leur ont inoculé une saloperie de vaccin qui a déclenché l'orage cytokinique qui va les conduire inévitablement à un racisme de troisième niveau.

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L'antiracisme, c'est un vaccin obligatoire qu'on vous fait alors que vous n'aviez aucune chance d'attraper cette maladie, et qui va au contraire vous la coller pour de bon.

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Le tact est pour moi la qualité suprême. Mais le tact n'est pas seulement le tact.

"Tact" est sans aucun doute un des plus beaux mots de la langue, un des plus fins, un des plus riches et un des plus délicats, dans sa brièveté percussive. Il se trouve au point d'intersection du toucher (tâter), du goût (à la fois au sens psychologique et physiologique : taster) et du rythme (takt). Le tact est un mélange subtil de toutes ces qualité, il est une sorte d'intelligence plus subtile et plus immédiate que l'intelligence.

Donc le tact c'est la mesure, la mesure exacte, précise, la justesse, et peut-être aussi la justice.

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— Salut ça va ?

— Pas trop. Avec le masque, je me sens grave défactualisée… 

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— Tu fais la gueule ?

— Comment tu le sais ?

— T'as oublié de mettre ton masque.

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L'éphèbe d'Erevan, comme l'appelle drôlement Bruno Deluce, s'est surpassé. Il n'était pas assez ridicule comme ça, parmi ses bonnes femmes et ses "lives", il a fallu qu'il vienne s'étaler en public comme un goéland mazouté qui viendrait interrompre une représentation d'Aïda à Orange, parce qu'il a cru entendre une note qui lui déplaisait. Ce type est fabuleux. Il me reproche, si sa péroraison en langue insigne est passible de traduction, de vouloir être "original", alors qu'on le voit déployer des efforts absolument gigantesques pour se faire remarquer, à l'aide de mots et de concepts qu'il vient de pécher, un quart d'heure plus tôt , dans son dictionnaire des syntagmes ronflants. Il m'explique par exemple qu'il est atteint (atteint, ça, on avait remarqué) du "syndrome d'incompréhension compensatoire". Ça ne s'invente pas. Comme le dit le même Bruno Deluce, qui est souvent très drôle, on dirait une chanson parodique des Inconnus. Puisque j'en étais à me débarrasser (enfin !) de ce crétin de Marc Alpoppo, le "Philosophe" (qui s'est cru obligé de nous montrer ses diplômes !), j'en ai profité, au passage, pour dire à Michou Pectorian ce que tout le monde pense de lui sans oser lui dire. J'ai toujours trouvé grotesques et insupportables les gens qui pètent plus haut que leur cul. Quand on ne sait pas écrire en français, on écrit des phrases simples ; il n'y a pas de honte à ça, bien au contraire, et c'est même la seule façon d'apprendre à écrire et à penser. Ce n'est pas parce qu'on a un clavier d'ordinateur sous la main qu'on est obligé d'appuyer sur toutes les touches. C'est les singes, qui se comportent ainsi, ou les nouveaux nés. Pectorian, c'est la pataphysique à la portée des mouches à merde. Deluce a décidément un sens de la formule tout à fait réjouissant. À propos du bateleur endimanché, il parle "d'incontinence sémantique". L'image est très juste. Les phrases lui sortent du gosier (ou du clavier) comme un flot incontrôlable, en effet, c'est comme si l'on était témoin d'un affreux carambolage des mots qui semblent vouloir tous arriver à destination en même temps. Ceux-ci sont attrapés au vol, à la radio, ou je ne sais où, ceux-là extirpés de force du dictionnaire, où ils pionçaient paisiblement, et tous sont jetés sur l'écran comme des coquillettes dans la soupe. Ah oui, j'allais oublier : il me compare à Jean Carmet. Ça doit sûrement signifier quelque chose… Mais lui, en revanche, il se compare à… Louis Malle ! Ce type est un génie, c'est indiscutable !

Comme tous les médiocres complexés qui se trainaillent sur Facebook (Alpoppo, Azolay, Duhler et Cie) il croit me blesser en me disant que je suis bien au-dessous de Renaud Camus (ils n'osent pas tout à fait le nommer, car ils savent probablement que celui-ci m'a déjà défendu à plusieurs reprises contre ces andouilles patibulaires et névrosées qui ne cessent de lui lécher les bottes, avant de le vouer aux gémonies, quand ils ne sentent pas assez remerciés de leur servilité graillonneuse et postillonnante) — comme si j'avais la prétention et l'inconscience de me comparer à un Renaud Camus ! Mais, évidemment, comme ils ne savent pas lire, ils mélangent tout et ne feraient pas la différence entre un aphorisme de Cioran, de Camus (l'écrivain), ou de Cristóbal Neverlost.

Les imbéciles ne prennent au sérieux que les sérieux pathologiques, c'est en général à cela qu'on les reconnaît : ceux qui ont pris soin de se coller un tampon "sérieux" sur le front leur en imposent.  D'ailleurs, la récente affaire de la bite (celle de Camus, pas la mienne) l'a amplement démontré.

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Il est toujours extraordinairement difficile de discuter (ou même de s'engueuler) avec un imbécile, on le sait. L'imbécile s'autorise à peu près tout, quand on essaie de rester au plus près de la vérité. L'imbécile vous renvoie la balle dans les genoux, quand vous l'attendiez dans les yeux, et, surtout, il va vous retourner éternellement les compliments que vous lui faites, puisqu'ils n'en a pas en propre à sa disposition. Il va en outre essayer de vous blesser en inventant, alors que la seule manière de faire mal, il n'y en a pas d'autres, est de se contenter de ce qui est, sans en rajouter. L'imbécile n'a pas de règles, ni de références, en dehors des bricolages hallucinés qui n'ont de sens que pour lui, et qu'il est capable de remettre en question dans la minute, s'il pense que vous ne le voyez pas.

Parler, discuter, polémiquer avec un imbécile, c'est un peu comme de dresser un château de cartes sur une piste de danse très fréquentée.

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Ce que je dis des femmes chefs d'orchestre est évidemment à rapprocher de ce que j'ai constaté en regardant les passionnantes masterclasses de direction d'orchestre organisées par et avec le Royal Concertgebouw Orchestra, avec Daniele Gatti et Iván Fischer : la moyenne d'âge très basse des musiciens de l'orchestre et la féminisation outrancière de ses membres. Et tous les musiciens âgés du Concertgebouw, où sont-ils passés ? On les a mis à la porte ? Ils sont morts du Covid ? Qu'on ne me dise pas que cette féminisation et ce favoritisme accordé à la jeunesse ne sont pas une conséquence directe de l'idéologie qui ravage nos sociétés !

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L'explosion qui a eu lieu à Beyrouth, il y a quelques jours, retentit chez nous. Le Liban n'est pas seulement un pays du Moyen-Orient, il est aussi ici, à l'intérieur de nos frontières : il faudrait être fou pour ne pas le voir.

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Tous ces apprentis chefs d'orchestre ont en commun un défaut : ils en font trop. On a l'impression qu'ils ont travaillé leur gestuelle devant un miroir, et qu'ils sont très contents de leurs beaux gestes, et de l'énergie qu'ils dégagent. Les orchestres ne sont pas idiots. Ils ont l'habitude qu'on leur demande beaucoup, et la surenchère ne peut que les conduire à faire moins, surtout quand ils voient que le chef ne sait pas exactement ce qu'il désire entendre, et s'accroche désespérément à deux ou trois traits qu'il croit "personnels". Cette manie, de plus en plus répandue (qui vient de Bernstein ?), de laisser voir sur son visage ce qu'on ressent intérieurement, ou ce qu'exprime la musique, est insupportable.

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Certaines opinions (ou idées) sont tellement "impensables" pour nos pauvres contemporains, qu'ils suffoquent, dès qu'on ose les énoncer.

Il n'y a rien de plus jouissif, je trouve, que dire — en passant — quelque chose qui nous semble une évidence, quand on sait qu'on aura immédiatement tout le monde contre soi. L'exemple des femmes chefs d'orchestre est l'un des meilleurs qu'on puisse imaginer.

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Dans une répétition de la Cinquième de Beethoven qu'il est en train de diriger, Harnoncourt (l'Harnoncourt de la maturité, pas celui des débuts) explique à la flûtiste qu'il ne sait pas si le piccolo utilisé par Beethoven, à l'époque, était de telle sorte ou de telle autre sorte. Il joint le geste à la parole. Celle-ci (elle doit avoir trente ans), immédiatement, lui montre qu'il s'agit bien du piccolo dont elle joue

Extraordinaire arrogance, et combien ridicule, des jeunes gens, qui expliquent aux vieux des choses que ceux-là connaissent depuis trente ans. Je me suis fait expliquer la vie, l'amour, les femmes, la morale, l'autre jour, par une jeune femme de trente ans qui a en ces domaines autant d'expérience que moi dans celui de l'alpinisme.

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En shorts !!!

mercredi 13 mai 2020

Le Mal en patience (5)


Il y a donc 7 milliards de suspects. Ça tombe bien, on va mettre tout ça en chiffres. On y verra plus clair.

Chaturbate a gagné la partie. Le bordel est une survivance un peu exotique du passé. Les clients des claques étaient suspects, mais ceux de Chaturbate sont facilement surveillables. Que des avantages. 

« Les cafés caractérisent l'Europe. Ils vont de l'établissement préféré de Pessoa à Lisbonne aux cafés d'Odessa, hantés par les gangsters d'Isaac Babel. Ils s'étirent des cafés de Copenhague devant lesquels passait Kierkegaard pendant ses promenades méditatives, aux comptoirs de Palerme. »

Rencontrant une femme de plus de cinquante-cinq ans, il faut souvent faire l'effort d'imaginer qu'elle a très bien pu être belle, et même très belle, jadis… J'ai mis du temps, à comprendre ça.

« Dessinez la carte des cafés, vous obtiendrez l'un des jalons essentiels de la "notion d'Europe". Le café est un lieu de rendez-vous et de complot, de débat intellectuel et de commérage, la place du flâneur et celle du poète ou métaphysicien armé de son carnet. »

J'ai passé une demi-heure à regarder une vidéo qui explique comment aiguiser ses couteaux. Trouver la même vidéo pour savoir comment aiguiser ma prose… qui, au fil du temps, est devenue bien gentille, bien douce ! Bien molle.

« Il est ouvert à tous et pourtant c'est aussi un club, une franc-maçonnerie de reconnaissance politique ou artistique et littéraire, de présence programmatique. Une tasse de café, un verre de vin, un thé au rhum donnent accès à un local où travailler, rêver, jouer aux échecs ou simplement passer la journée au chaud. C'est le club de l'esprit et la "poste restante" des sans-abri. »

Tout à l'heure, j'ai passé une heure à regarder Michel Pectorian, sur Facebook, à reluquer ses statuts tous plus incroyables les uns que les autres. Ce type me fascine. Il parvient excellemment à faire semblant de sacrifier son image (il est ridicule, mais ce ridicule lui est toujours compté favorablement (on fait comme si ce ridicule était celui des personnages qu'il interprète, mais il n'interprète que des personnages auxquels il peut prêter son propre ridicule)) pour délivrer un message politique, alors que c'est exactement le contraire. Du deuxième degré inversé, ou du quatrième, je ne suis pas sûr… Il y a chez lui un emploi du ridicule tout à fait magistral. Même un Lafourcade fait semblant de le prendre au sérieux. Et puis, c'est tout de même l'inventeur d'une formule géniale : « L'inversion des valeurs absolues ». Je suis désolé, mais ça, il fallait y penser ! Il fallait l'oser. L'inversion des valeurs absolues, putain… Je pense aux simplets de mon enfance, à ceux dont tout le monde se moquait, qui passaient, le nez rouge et farci, le béret vissé sur le crâne, sur leurs "vélos de course", et qu'on interpelait gaiement, ou dont on dégonflait les pneus, selon la saison. Je me dis que ces hommes-là avaient du génie. Ils n'allaient pas répétant comme des perroquets le dernier syntagme à la mode, ils se contentaient de boire les coups qu'on leur offrait, d'être là, dans le paysage, comme des repères intangibles. Ce ne sont pas eux qui seraient allés par les coursives bégayant « la société du spectacle », par exemple, ou d'autres fariboles qui passent de bouche en bouche sans toucher le moins du monde au réel. La grande différence entre nos simplets de village et un Michel Pectorian, c'est que l'un est d'une obscénité totale, sans bords discernables, quand les autres en étaient absolument dépourvus. Michel Pectorian ne crève pas l'écran, il crève le personnage qu'il pense interprèter. Le second degré se rebiffe. L'obscénité est un acide qui ronge les images.

« Aussi longtemps qu'il y aura des cafés, la "notion d'Europe" aura du contenu. »

Nos contemporains sont persuadés que la médecine soigne avec des remèdes, alors qu'elle ne fait que remédier, avec des soins qui peuvent tenir leur efficacité de toutes les catégories du sens, sans exception, à des déséquilibres que le récit substantiel inscrit perpétuellement en nous, avec notre complicité active. La biologie n'est pas un anti-langage. Elle est un langage parmi d'autres.

Je me rappelle cette femme, rencontrée, tard le soir, dans un café de la rue Royale, à Annecy. Elle était attablée devant un chocolat chaud. Elle devait avoir quarante, quarante-cinq ans, ce qui pour nous, qui en avions seize, ou dix-sept, était l'âge d'une vieille femme. Elle était tout à fait explicitement dans l'attente d'un jeune garçon comme moi. Douce, calme, tranquille, elle attendait, en buvant son chocolat chaud, que l'un de nous se décide. Ce n'était pas une prostituée, non, pas du tout, pourtant elle semblait accomplir une tâche dont le professionnalisme était évident. Cela m'a intimidé, et j'ai renoncé. Que de regrets, ensuite. On sentait bien que nous nous trouvions face à la porte d'entrée d'un monde merveilleux. La porte était entr'ouverte, c'est peut-être ce qui me mit en fuite. Mais il y avait un autre obstacle, qui était le regard des autres, des copains : celui qui franchirait le seuil serait à la fois auréolé de gloire et un peu méprisé — de ces deux bénéfices, on ne savait trop lequel serait signe d'une vie nouvelle et inconnue.

Merveilleux Coronavirus, qui nous aura tant appris, en deux petits mois. Ce fut une véritable IRM de l'intelligence sociale. 2020 commence sur les chapeaux de roues : nous étions déjà tous soupçonneux, mais nous sommes désormais tous suspects. Porteurs, colporteurs, complotistes, vaccinés, malades, contagieux, trouillards, délinquants en pantoufles, artistes masqués, guerriers sans bras ni jambes, flibustiers du Pixel, la Grande Vibration mondiale s'est mise en branle. On regarde les brins d'herbe comme si on allait nous faire boire la ciguë durant notre sieste, on se mouche dans des lingettes chlorées, on ajoute un peu d'acide sulfurique à notre café, on inhale de la nicotine, on se pique avec Well, You Needn't, de Monk, les suspects ordinaires se donnent le coude, tout autour du globe, ça tangue, ça éternue, l'image se fige, puis on voit apparaître un court instant Lénine, Mao, Vercingétorix, Gilles de Rais, Gengis Kahn, mais Macron donne un coup de pied dans la table, et on voit les tours jumelles repousser en accéléré, tandis des milliards de boîtes de sardines nous dégringolent sur la tête — la musique en fond sonore, c'est Keith Emerson qui met des coups de couteau dans son orgue pendant que son batteur bourrinne comme un sourd. Ça coagule avant même la faciale ! Le récit substantiel ne fait pas forcément du bruit. Il est même, la plupart du temps, complètement silencieux, ce qui le rend suspect.

Pourtant vous rêverez toujours, chastes échalas, d'imperméables sous-traitances de la réalité. Entendez-vous la violence de ces modulations ? Croyez-vous que votre nombre effraie, dans la pharmacie déserte ? Rencontre privée. Soir de septembre. Alcools, quand la terre respire, dont le ventre se gonfle, au jardin. Je te serre dans mes bras, tu respires comme en peinture, frêle, et tu laisses des traces sur les doigts, orgue inconsolable, orange et parfum, ouverte et hurlante.

jeudi 6 février 2020

Face caméra


Michou Pectorian a fière allure. Les femmes, quand il passe dans la rue, ont des trépidations du naso-labial qui font contagion. Quiconque le croise a conscience de l'événement. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit d'la came de c'niveau, comme dit Jessica à Léa, les sourcils transpirants. Mais l'allure c'est encore rien, quand on a la bonne fortune de l'entendre causer, de le voir et de l'entendre, face à sa caméra, installé un peu affalé dans son fauteuil bas, la voix faussement négligente décontractée bien parigote par rafales en descente cool et en harmoniques graves. Le mec est las, ou bien indigné, ou excédé, mais doucement, comme un mâle qui rentre au bercail après avoir chassé la pitance pour les femelles. On le sent bien, qu'il est de la race des dominants au cœur tendre, ça passe l'écran, ça harponne sévère les viscères.

J'ai appris qu'il donnait des conférences, Michou. Des conférences de quoi, je ne sais pas. Mais des conférences. Sacré Michou ! Ses biceps ont encore grossi depuis la dernière fois que je l'ai vu. Ça ne va donc plus s'arrêter ? Nous sommes quelques uns à penser qu'il cache quelque chose dans ses biceps. Quoi ? Mais l'Humanité, bien sûr !

Si l'obscénité était un pays, Michou Pectorian en serait la Marianne, mais l'obscénité n'a pas de pays, elle est citoyenne du monde, et Michou est son John Wayne. Partout où elle passe, il veut lui sauver la mise, car il sait qu'elle court de graves dangers. Alors Michou arrive à dada sur sa Harley bodybuildée qui sent l'huile de ricin et la pâtisserie trop sucrée, et la belle Obscénité lui tombe dans les bras en faisant son signe de croix. C'est beau comme l'Antique.

Le meilleur de Michou Pectorian, sa part la plus fun, apte à déchirer son ensemble de personnes ayant entre elles des caractères communs importants, c'est son accent américain, I desire to say. Son accent américain est plus vrai que nature : il en remontrerait facilement au plus yankee des Yankees, Michou. Quand il commence à parler en américain, j'attache toutes mes ceintures, je remets mon dentier, et j'ajuste ma moumoute. Il est là pour nous dire ce qui se passe dans son pays, assis face à nous, dans sa belle veste bleu pétrole, le poil dru mais le torse modeste. Écoutez la musique, en fond sonore. Quelques notes de piano, sentimentales, tristes, qui s'égrènent discrètement tandis que l'oracle sévère délivre son message au monde. Ah, cette musique… « Ce que je vais vous dire n'est pas facile à dire, ni à entendre… » nous dit Michou Pectorian sur un ton grave. On a envie de le rassurer, Michou : la musique qu'il a choisie le dit très bien toute seule.

À M. Philippe Jarry