« Par de fréquentes anatomies, tu iras à la découverte de cet autre monde qu'est l'homme. »
Il s'est endormi devant la télévision. Quand il se réveille, il voit cette fille qui le regarde. Elle est assise sur un canapé, comme lui, et semble le regarder. Il la regarde. Elle ne bouge pas. Elle fixe la caméra. (La caméra ou l'écran ?) Elle semble attendre quelque chose. Il se surprend à dire : « Eh ? » Elle répond : « Eh ! » Il éteint la télé.
Bonjour ! BONJOUR ! BONJOUR d'abord, qu'il fait, l'autre ! Il y tient, à son bonjour. L'autre autre l'avait précédé dans l'émission, bien entendu : « Bonjour ! » Et Finkielkraut s'était cru obligé (comment faire autrement ?) de lui répondre « Bonjour ! ». Ils se bonjournent, tous. Ils s'entrebonjourisent de concert. Ils ne peuvent pas survivre sans ça. Eh ! Bonjour, d'abord ! Je dis bonjour à la fille qui est de l'autre côté de l'écran, mais elle me regarde avec un sourire narquois, la conne. Il faudrait anatomiser ce bonjour petit-bourgeois, voir ce qu'il a dans le ventre, mais j'ai peur que ça pue la déjection, que ça putréfacte grave. Alors je me contente de les regarder s'entrebonjouriser comme des adjudants, les adjudants putréfactorisés d'une armée étrangère qui occupe mon sol. Ils ont leur langue, quoi de plus naturel, en somme ! Chacun son truc. Nous nous regardons, de chaque côté d'un écran immaculé que chacun fait semblant de ne pas voir. Me rappelle les peep-shows… Filles, garçons, mères, infirmières, garçons d'écurie, septuagénaires sous Lexomil, tous ils veulent me dire « Bonjour » et ils y tiennent, les salauds. Sans ce viatique, ils ont l'impression d'être nus comme des vers, ils ont l'impression qu'on ne les voit pas, qu'on va par mégarde mettre le pied sur leur foie ou leur pancréas. Écrivains, qu'ils sont, paraît-il. Eh bien même un écrivain dit « Bonjour ! » quand on l'invite à parler de son livre. J'imagine que les nouveaux-nés d'aujourd'hui, quand ils sortent du vagin de leur mère, disent aussi : « BONJOUR ! » avant même de se mettre à hurler, je ne sais pas, je ne vais pas dans les maternités. Et les défunts, quand ils arrivent devant saint Pierre, ils lui disent « Bonjour, d'abord ! », à saint Pierre ?
Moi je ne peux pas éteindre la télé. Je suis branché dessus H-24, moi. Moi et vous ! Je parle de l'Hyper-Télé, bien sûr, je parle de ce Machin qui n'arrête jamais de nous perfuser, jour après jour, heure après heure, qui ne nous quitte jamais de l'œil, et qui, même dans la douleur et l'exténuation, vient nous dire comment nous devons réagir, ce que nous devons ressentir. Je vois son œil pulsatile même dans la nuit noire. Il est là et il observe. Il ne dort pas, jamais. Il a les mots, les phrases, il a toutes les clefs. On peut compter sur lui. C'est le roi-secret qui dicte sa loi à Dieu. N'a peur de rien, ce serpent-capitaine. Oh, j'ai essayé, de me débrancher, figurez-vous, j'ai tenté le coup, mais même dans l'hyper-solitude, je l'entends, ce « Bonjour d'abord ! » qui me rappelle à l'ordre. Faites l'essai, si vous ne me croyez pas, déboulez chez votre voisin de réseau-social sans lui dire « Bonjour » et vous allez voir… Vous m'en direz des nouvelles ! Je sais pas. Qu'ont-ils à l'intérieur, ces Bonjourisés d'abord ? Si on les scalpelisait en coupes, on trouverait quoi, des chansons, du boudin, des épisodes de Plus belle la vie, des carburateurs double-corps, des frites-mayo, des diplômes ? Qu'ont-ils entre le sternum et le coccyx, entre le voile du palais et la glande pituitaire, les programmes de France-Cul, la voix d'Arnaud Laporte, les ménisques de Laure Adler ? J'ai envie de les insulter mais ce serait insulter la terre entière, n'est-ce pas ! J'ai déjà assez d'ennuis comme ça… « Qui sont Laure et Clément, Maria Pourchet, et comment caractériser leur amour ? — Bonjour ! » « Alors Abel Quentin, à vous d'intervenir, que pensez-vous… — Bonjour, d'abord ! » Tellement urgent, tellement important, ce Bonjour !, qu'il faut couper la parole à Finkielkraut pour le placer, vite vite vite ! Ça le brûle, ça le démange. Avant de penser, il lui faut bonjouriser en urgence. On dirait que le souffle va leur manquer, sans cette main sur le col de l'autre pour lui souhaiter le jour bon.