Ils se sont installés discrètement, personne ne les a remarqués. Ils n'ont pas fait de bruit, ils n'ont pas invité leurs voisins à prendre l'apéro pour faire connaissance, ils ne se sont pas inscrits au club de rando, ni au concours de la meilleure photo du village. On ne connaissait pas leur nom, on ne les entendait pas, ils ne passaient pas la tondeuse, ils ne dansaient pas, nus sur de la techno, dans leur jardin, ils ne repeignaient pas leur portail sur du rap diffusé à fond la caisse, ils n'ont pas installé d'éclairage solaire dans leur jardin. Même leur chien, car ils avaient un chien, n'aboyait pas, ou très peu, quand on passait devant l'entrée. Bref, ils ne se faisaient pas remarquer, et c'est bien ce qui aurait dû nous alerter, ou nous inquiéter, ou nous interpeler. On aurait dû tout de suite aller les voir et leur demander des explications, peut-être des excuses, ou au moins leur demander de se justifier. Ils auraient pu avoir une vieille tante malade, être en dépression, ou être en situation de stress post-traumatique. Ce n'est pas interdit. On aurait compris. Nous sommes des gens tolérants. On peut très bien comprendre que tout le monde ne soit pas toujours au meilleur de sa forme, on sait être patient, attendre des jours meilleurs, et, surtout, on aurait pu leur donner un coup de main, les soutenir dans leur épreuve, être là, à leur côté, pour traverser avec eux ce mauvais moment. Le fait qu'ils ne demandent rien à personne était un signe que nous avons négligé bêtement, il faut bien le reconnaître. Tout le monde a besoin des autres, n'est-ce pas ? C'est la preuve irréfutable que nous sommes des êtres humains. L'être humain n'est véritablement humain que s'il se sent faire partie d'une famille, d'un clan, d'une société, s'il est lié aux autres et les autres liés à lui. C'est comme ça. Sinon, vous êtes quoi ? Un animal, un sauvage ? Un crypto-facho ? Une amibe ?
Le premier incident a été cette coupure d'électricité, en pleine nuit. (…)