Le beau cadeau que m'a fait Renaud Camus, hier, cette photographie merveilleuse, généreuse et drôle, où on le voit lire Comme dirait l’autre dans la posture de qui est stupéfait par ce qu’il lit (ou voit ?), bouche grande ouverte. Il est peu de gens aussi généreux que cet homme. En tout cas, moi je n’en connais pas beaucoup. Que peut-il avoir à gagner, quel profit à me lire et à parler de moi sur les réseaux sociaux, à montrer qu’il me lit ? Rien du tout, évidemment. Et moi je ne sais même pas comment remercier, car, remerciant, j’aurais trop l’air de vouloir l’encourager à continuer. Alors j’empile maladresse sur maladresse, comme toujours. En cette matière, j’excelle. (Je lis ceci, dans le journal de Cioran, qui me correspond parfaitement : « J’ai un courage négatif, un courage dirigé contre moi-même. J’ai orienté ma vie hors du sens qu’elle m’a prescrit. J’ai invalidé mon avenir. »)
Feuilletant son journal présent (celui de Camus), en cours d’écriture, je me disais hier que quelqu’un devrait s’atteler à la tâche de rassembler les pages qu’il a écrites, depuis quelques mois, quelques années, sur sa santé, sur la médecine, sur ce que c’est qu’un corps qui vieillit, qui souffre, et qui me semblent passionnantes. Ça ferait un opuscule extraordinaire. Du moins à mon goût.
« J’ai une immense avance sur la mort. » C’est tout à fait l’impression que j’ai. J’ai l’intuition de la mort, depuis toujours, je la sens en moi, autour de moi, partout. Je suis son avancement avec une sorte d’extase que je n’ose penser, encore moins expliquer. C’est sûrement ce qui me rend repoussant. Et aussi, toujours chez Cioran : « Si Dieu pouvait imaginer quel poids représente pour moi le moindre acte, il succomberait à la miséricorde ou me céderait sa place. » Le moindre acte… Et parfois la moindre pensée… Tout cela me dégoûte. On écoute le « Herr, unser Herrscher », le chœur introductif de la passion selon saint Jean, encore et encore, et ça suffit bien, non ? Rien ne va nulle part, jamais… « Écartelé entre la hargne et l’effroi. » Sollers avait utilisé cette page de Bach dans l’un de ses romans, je ne sais plus lequel. Ma machine à laver est en panne. Il faudrait pouvoir tout jeter, d’un seul coup, se débarrasser de tout. Plus rien ! Allez, encore ceci : « J’aurais mené à bien un dixième de mes projets que je serais de loin l’auteur le plus fécond qui fut jamais. »
Je pense à une chose qui me fait beaucoup rire. Ce que j’écris, ça ressemble très fort à un : « Je viens de mourir. » ressassé et chanté dans toutes les tonalités.

