Qu'il est difficile de renoncer aux douceurs de la vie ! Qu'il est difficile d'être privé soudain du réconfort, de la tendresse et de l'amour, et même de la caresse.
Je n'ai pas réalisé. Je n'avais sans doute pas ce qu'il fallait, en moi, pour comprendre ce que tu as éprouvé à la mort de Boris. Je n'ai pas cru, Dieu sait pourquoi, en ton chagrin !
Qu'il est difficile de ne plus avoir accès à ce qui est sorti de nous ou à ce qui nous a fait. Toucher. Entendre. Parler.
Le téléphone sonne. On ne sait pas qui appelle. C'est l'Absence.
— Une ex-femme délicieuse. — C'est pas trop le mot que j'emploierais.
On voit son derrière, un beau cul, en vérité, assez rond, moulé dans une jupe courte en tweed. Elle sait marcher.
Il a la main de la femme dans la sienne, il la porte à ses lèvres, il sourit. Elle a le petit doigt fragile. il doit faire attention. On ne voit pas le visage de la femme. L'homme dit : « Chérie… » Et aussi : « Bonjour… »
Elle est couchée, un chat à ses pieds. Elle regarde le plafond. Elle a mal au ventre. Elle attrape une bouteille, s'asseoit, et boit une longue gorgée d'eau. (Elle dit : « Je sais comment ça marche ! ») Le chat la regarde. Si on m'avait dit que j'épouserais un con… Mais pourquoi est-il mort, ce con ? Elle enfile des chaussettes. Elle frisonne. C'est trop tard !
Il est assis à la table de la cuisine. Devant lui, tout un tas de flacons de pilules. On n'a pas toujours ce qu'il faut en soi pour comprendre la souffrance de l'autre.
« Tu m'apprendras la musique. » Il avait répondu oui, tout en sachant que ça n'arriverait pas, que ça ne voulait rien dire. Elle est assise à côté de lui, sur le canapé. Ils sont passé du vous au tu, trop vite.
« Ça te plairait que notre arrangement soit exclusif ? » Oh oui, ça me plairait. Je ne veux pas qu'on te touche, je veux que personne d'autre que moi ne fasse d'observations sur la pilosité de ton pubis ni sur la forme de ton ventre.
— Je ne savais pas où aller. Je suis venue.
Trop tard !
Mais non, mais non, il n'est pas trop tard. Il n'est jamais trop tard. Il me reste encore un peu d'alcool de poire, si tu veux. Je peux même en fabriquer. Je peux fabriquer tout ce qui sera nécessaire à l'amour, et même plus. Il y aura trop, mais on s'arrangera avec la miséricorde et le soleil. Les mains me brûlent. Le soleil me transperce de part en part : mon corps ne l'arrête pas. Pas d'ombre, quand tu es là, bien plantée dans la chair des heures. J'ai connu cette présence. Je m'en souviens. Toucher, entendre, parler, ce n'est pas seulement toucher, entendre et parler, c'est traverser le temps et y tenir sa place. Écoutez Eric Dolphy, voyez les angles aigus qu'il dessine avec sa clarinette basse, suivez-les autant que vous le pouvez, et regardez autour de vous, une fois que la musique s'arrête. Vous frissonnez ? C'est normal. Il est trop tard pour reculer.