Souvent, il arrive qu'on le mette de côté, pour voir ce qu'est la vie sans lui ; mais dès qu'il disparaît quelques jours, elle devient maussade, légèrement oppressante, ennuyeuse. J'ai beau le savoir depuis très longtemps, je continue, à intervalles réguliers, à tenter de m'en passer. Je l'oublie, enfin, je fais comme si je l'oubliais ; je ne veux rien savoir de lui ; dès qu'il vient à mon oreille, je fredonne Schubert, ou Granados, et je continue à faire ce que j'étais en train de faire, comme si de rien n'était. Tous ces petits évitements, tous ces oublis, tous ces manques finissent par s'accumuler, et, un beau matin, au lever, je me précipite pour mettre le 27e concerto sur la platine, ou bien j'ouvre la partition d'un quintette. Je respire à nouveau à pleins poumons. Je revis. Je pèse vingt kilos de moins. Immédiatement. Quoi qu'il se passe dans ma vie par ailleurs.
Mozart, c'est l'oxygène. C'est l'air transparent. C'est la lumière le matin. C'est la journée qui s'ouvre ("allegro aperto") . C'est le Temps lui-même qui nous prend avec lui. Vous pouvez chercher. Nulle part ailleurs vous ne trouverez ça. Il a créé un monde qui n'a pas été continué. Il a ouvert un chemin secret. Heureux ceux qui le parcourent : ils connaissent la Grâce.