Écoutant le Répliques de ce matin, à l'occasion duquel se rencontraient le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et un professeur de français, grec et latin, Augustin d'Humières, on ne peut qu'être exaspéré par ce qu'on entend.
On nous parle (je crois que c'est le ministre) d'"hétérogénéité"*, en ce qui concerne le niveau de l'école française. Est-ce qu'un jour on va arrêter de nous prendre pour des burnes ? Qu'il y ait, çà et là, quelques établissements qui ont résisté mieux que les autres au désastre, tout le monde le sait — et surtout ceux qui ne veulent pas voir la catastrophe (puisqu'il y mettent leurs enfants). Il n'y aucune hétérogénéité, en ce domaine, il y a un effondrement général du niveau de français, que tout le monde peut constater, partout et du matin au soir. Je croyais que Jean-Michel Blanquer allait parler réellement de la réalité, ce qu'on m'avait dit de lui pouvait me le laisser penser.
Ah, ces fameuses inégalités ! Il est pathétique de voir un professeur décrit comme l'un des meilleurs représentants de cette profession enfourcher sans scrupules ce vieux canasson fatigué par tant de mensonges et d'attentes délétères. Tant que l'on voudra "réduire les inégalités", comme des oignons sur le feu, grâce à l'école, on sapera d'un côté ce que l'on fera mine de glorifier de l'autre. L'inégalité est fondatrice, c'est une vertu qu'il ne faut pas décourager. C'est grâce aux inégalités que certains ont réussi à se hisser hors de l'école par le haut, et l'égalité, on le sait depuis longtemps, est la meilleure manière de tasser la nourriture au fond du poêlon et de la rendre insipide et indigeste. L'école est le lieu même de l'inégalité enrichissante, puisqu'elle consiste à mettre face à face celui qui sait et celui qui ne sait pas encore. Sans inégalité, rien n'est possible. Quant aux inégalités d'argent, dont on croit pouvoir faire grief à l'école, elles n'auront jamais été si criantes et si implacables que depuis que cette institution a renoncé à être elle-même. Y aurait-il quelques conclusions à en tirer ?
Comme les-inégalités-à-réduire, les valeurs-à-transmettre n'ont pas leur place dans une école digne de ce nom. Que "des valeurs" se dessinent d'elles-mêmes, s'imposent, quand un savoir est dispensé d'une certaine manière, c'est évident, et personne ne songerait à s'en plaindre, mais l'École n'est ni fabrique de valeurs, ni manufacture d'idéologie, ou plutôt, elle l'est de fait, quoi qu'on fasse et quelles que soient les volontés de la société au sein de laquelle elle prend sa place, mais ces valeurs et cette idéologie ne doivent être qu'un dégât collatéral, qu'une conséquence, pas un projet.
La pédagogie, pour en revenir au cœur de la discussion, est le plus sali des mots salis, des mots avilis et ridiculisés par quatre générations de profs qui ont sucé cette notion comme un sucre d'orge frelaté, et qui l'ont défigurée. Il ne faudrait plus jamais parler de pédagogie, sous peine de susciter très légitimement des envies de meurtre. D'autant que la pédagogie est également le nom par lequel les salauds qui nous gouvernent ont choisi de se moquer des citoyens qu'ils traitent comme des enfants, et même comme des gamins, puisqu'ils parlent comme ça. La pédagogie est une ordure, et les pédagogues sont des ordures aux ordres des salopards. Comme tout le monde le sait, les maîtres d'aujourd'hui sont plus intéressés par l'égalité entre les sexes, pardon, les genres, la nourriture équilibrée, le véganisme, les droits des animaux, les-violences-faites-au-femmes, le droit des migrants, la lutte héroïque contre Trump, le Beaujolais nouveau, et la déco des casiers de la salle des profs. J'en déduis tout naturellement qu'ils ne sont pas professeurs.
Mais surtout, pas une seconde il n'aura été question bien sûr du sombre brasier qui éclaire en creux ce désastre, et sans lequel on ne comprend rien à ce qui arrive. Le principe de réalité implique la sélection, comme l'a rappelé Alain Finkielkraut. La sécurité des citoyens est en jeu, la vitalité d'une nation aussi. Très bien, très bien. Mais si précisément le terme de citoyen est vidé de son sens — puisque par définition le citoyen exclut les non-citoyens ? Si la langue française n'est plus la langue des Français ? Si la nation est détruite, démembrée, vidée de son peuple ? Si l'histoire se poursuit avec un autre, ou d'autres peuples ? Si le Français n'est plus maître chez lui ? Si l'industrie des loisirs a remplacé la culture ? L'égalité, une fois de plus, revient comme la clef venimeuse qui ouvre toutes les portes donnant sur le vide et sur cette horizontalité pathologique qui ronge l'humanité. Et pourquoi cette diabolique horizontalité, pourquoi cette destruction de la nation, pourquoi cette citoyenneté vidée de son sens, pourquoi cette atroce corruption de la langue, sinon parce que le Remplacisme abat tous les murs, qu'il a besoin que tout soit égal à tout, qu'un citoyen soit l'égal d'un non-citoyen, qu'un Français soit l'égal d'un étranger (qui d'ailleurs a depuis longtemps cessé d'exister), que la-Culture soit l'exact inverse de la culture, que l'antiracisme soit le nom de code de la destruction des races, que le mensonge généralisé prenne la place de la vérité, et ce jusqu'en notre for intérieur ? À la tour de Babel dressée vers le ciel, ils ont opposé l'iPhone et la communication instantanée, celle-là même qui empêche un enfant d'être un élève et qui en fait le soldat obèse et hébété de ses maîtres amoraux, à la conversation ils ont opposé le débat et le forum, à la civilité et à l'urbanité ils ont opposé le vivr'ensemble, l'autre nom de la fosse commune dans laquelle sont jetés les derniers habitants d'un monde où des individus singuliers et irremplaçables et qui ont le malheur d'être nés ici avaient droit de cité, à la cité, justement, à ses lois et à ses devoirs, mais aussi à sa liberté, ils ont opposé le droit de disparaître en étant privé de parole et de dignité et celui de vivre dans la terreur et la pauvreté. Pour le dire avec d'autres mots, ils parlent du changement du public scolaire, sans parler du Grand Remplacement. Comment peut-on écouter ce genre d'émissions sans avoir très rapidement envie de tourner le bouton ?
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(*) « On trouve encore des élèves qui maitrisent très bien la langue orale et écrite. » Ah bon ? On pourrait me les présenter, ces élèves ? De ce point de vue-là, il n'y a justement aucune hétérogénéité, Monsieur le ministre, il y a au contraire une très grande homogénéité. Et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, puisque les professeurs d'aujourd'hui sont les élèves d'hier. 314 professeurs du primaire, du secondaire et du supérieur viennent de signer un « manifeste en faveur de "l'écriture inclusive" ». 314 crétins absolus, professeurs, donc, je le rappelle, « décident de cesser d'enseigner une règle de grammaire ». Entend-on bien ce qu'on entend ? Imagine-t-on un professeur de musique, par exemple, qui « cesserait d'enseigner le solfège », au motif qu'« une blanche vaut deux noires » et qu'il s'agit là d'une atteinte caractérisée à la sacro-sainte Égalité, et, de surcroit, une intolérable saillie raciste ? Mais je sais bien que je me réjouis trop vite, et que demain, ou après-demain, cette récrimination loufoque verra le jour quelque part, dans le cerveau malade d'un progressiste programmé pour enculer des mouches mortes.