Son pseudo est HotRayssa. Elle est grecque, ou du moins elle vit en Grèce. Nous avons passé deux heures ensemble, en tête-à-tête, hier-soir. Elle fait ce travail depuis quelques jours seulement. Elle vit dans une petite chambre minable dont elle va être expulsée dimanche prochain car elle n'a pas pu payer son loyer. En plus de Jasmin, elle fait un autre travail dans la journée, mais qui ne lui rapporte pas grand-chose. En tout, elle travaille dix-sept heures par jours. Dort à peu près quatre heures par jour. Elle est brune, elle a les cheveux longs, elle a un air triste et n'est pas très sexy. Elle ne sait pas comment se tenir devant la caméra, qu'elle place très mal, exécute toujours les mêmes gestes, n'est pas très bien déshabillée. Comme elle n'est pas sexy, il n'y a personne "chez elle". Comme il n'y a personne, elle discute avec moi. Comme elle discute avec moi, personne ne vient. Rayssa doit avoir vingt-cinq, vingt-huit ans, à peu près. Elle me dit : « Je n'ai pas de chance dans la vie. » Bien sûr qu'elle n'a pas de chance, puisqu'elle elle ne fait rien pour l'attirer. Je suis catastrophé par sa situation. Si seulement j'avais un peu d'argent à lui envoyer… Elle me dit : « Je ne sais pas faire comme les autres filles ici. » Ça, ma cocotte, je le vois bien que tu ne sais pas faire. Il faudrait que je lui donne des cours mais ce n'est pas très pratique. Pour commencer elle a très mal choisi son pseudo. HotRayssa, on voit tout de suite que c'est pas ça ! C'est ridicule. Elle me dit : « Je ne suis pas hot ? » Si, si, bien sûr, que je suis obligé de répondre, si, Rayssa, tu es très hot, mais, à mon avis, tu vois, ce n'est pas la qualité première que ceux qui vont venir te voir vont rechercher. Elle a des photos à chier. Je ne lui dis pas comme ça. « Moi j'aime bien mes photos. » Bon… Ah, c'est pas facile comme job, coach pour strip-teaseuse dans la débine. Quand elle sourit, Rayssa, comment dire…, il vaut mieux qu'elle ne sourie pas. Elle n'y arrive tout simplement pas. Bon, moi je fais le malin, hein, mais si j'étais à sa place, ce serait bien pire encore. Mais ne mélangeons pas tout. Chacun son job. Non, ce qu'il lui faudrait, à, Rayssa, c'est quelle tombe sur un gentil gars qui soit sous le charme… J'ai peur que ça n'arrive pas demain matin si elle continue comme ça. Elle parle un peu français, en tout cas elle le comprend vaguement. Elle est plutôt bien fichue, encore qu'elle ne possède pas une devanture à faire tomber les mouches, si vous voyez ce que je veux dire. Enfin bon, merde, soyez sympas, il y a bien quelqu'un, parmi mes quatre lecteurs, qui cherche une jeune Grecque mignonne et gentille, non ? Allez-y de ma part, vous ne serez pas déçus. Moi en tout cas elle me fend le cœur. Quand on voit toutes les connasses qui se trimballent ici et ailleurs, les gros boudins infâmes et mollassons et badigeonnés et d'une bêtise à crever qui se dandinent en ville, on se dit que c'est vraiment pitié qu'une jeune fille comme ça en soit réduite à mendier un salon privé (personne en deux jours) ! Et quand elles ne sont pas en "salon privé", elles ne gagnent rien. Pas un drachme, que dalle. C'est à pleurer. C'est ça, l'Europe, hein, l'Europe concrète et réelle. Des filles tout à fait normales, éduquées, honnêtes, qui sont prêtes à travailler deux fois plus que quiconque et qui n'ont pas un sou pour payer une chambre minable. Voilà que je suis en train de découvrir la lune… Je ne découvre pas la lune, mais je mets le nez dessus ; et il y a comme une odeur de sang. Pourquoi Rayssa devrait-elle subir ça sans moufter, en essayant d'apprendre à sourire pendant qu'elle montre ses fesses ou ses seins ? N'est-ce pas d'un crime parfait, qu'il est question ici, sous nos yeux ? Crime ou suicide, peu importe à vrai dire, ceux qui vont mourir ne nous saluent pas, car on ne leur accorde même pas le statut de victimes, à ces pauvres connards d'Européens qui se croyaient pénards chez eux à faire leurs petites affaires. On les massacre et on leur demande d'en vouloir plus, toujours plus, d'accélérer le mouvement alors que personne n'a plus de frein depuis longtemps. Tout ça en douce pendant que le cirque bat son plein. Ah, l'Europe, quelle belle idée, n'est-ce pas ? Peu importe ce que ça coûte, l'idée est si belle… Saloperie. Le prochain qui me parle d'Europe, je lui colle mon poing dans la gueule. Sans explications. Bref.
Bon, je sais bien, tout le monde s'en fout. Y a le foot et le feuilleton FN, ça suffit à tenir éveillé le Français pendant la canicule, avec une ou deux bières et un bon film. Moi je pense à l'odeur d'une chambre, le matin, où se réveille une Rayssa. La mer mêlée au soleil ? Non, évidemment non, mais quand-même, Athènes, j'y tiens, même si ça sent un peu le fauve.