On a parfaitement le droit de penser et d'écrire qu'Aragon et Hugo sont des cons, naturellement. Ce peut même être l'occasion d'un beau morceau d'écriture. L'ennui, avec ce genre de règlements de compte post-mortem, c'est que tous les cons s'engouffrent comme un seul homme dans la brèche. Et les cons aiment ça, qu'on cherche des poux dans la tête des génies. Ils raffolent de ça. C'est tout de même assez pénible, de penser que des hommes nous sont tellement supérieurs. Il faut bien que l'égalité — l'ultime valeur — passe par là aussi.
C'est bien un truc de profs, ça, d'aller vérifier que les écrivains sont des gens bien. Il ne faut pas s'étonner que l'école soit en ruine. J'imagine que dans un futur proche, des milices de l'égalité de principe entre les hommes seront chargées d'aller ratiboiser un peu quelques têtes qui dépassent trop, afin de nous confectionner un passé à la mesure de notre merveilleux présent. Ces gens-là n'aiment pas les dénivelés, ils vivent dans de grandes plaines où le même soleil darde la même lumière pour tous, et où il est éternellement midi.
On connaît la chanson. Rousseau était un salaud, Proust était un peu sadique, Beethoven asocial, Céline antisémite, Mozart scato, Gould détestait les légumes, Albert Cohen était misogyne, Untel était raciste, l'autre pédophile, celui-là homophobe, la liste est longue comme les bras tendus des égalitaires.
C'est toujours pour de bonnes raisons qu'on se sent pousser ces ailes de vertu qui nous consolent de notre propre médiocrité, et la vertu vengeresse est bien plus contagieuse que le coronavirus.