Ah, cette partita en si bémol, combien de fois l'aura-t-on écoutée, jouée, entendue, combien de fois sera-t-elle venue en rêve ou au matin nous parler, nous accompagner, nous distraire un moment de la grisaille morne, de la bêtise, de la laideur, de l'angoisse qui creuse les heures ? Charmante, élégante, fine et distinguée comme une belle fille dont heureusement on ne comprend pas la langue, comme son charme est actif, et surtout persistant ! Combien de fois sur le piano on aura lu ces sept lettres, "partita", au milieu des autres partitions, combien de fois on aura vu la sœur travailler la gigue, regardé les mains légères se croiser, et senti dans son corps le charme opérer jusqu'au trouble d'une joie inexplicable mais jamais refusée…
Partita, Lipatti, ces deux mots de trois syllabes souvent prononcés dans une même phrase, les "a" et les "i", dans un rapport inversé, c'est la même tenue aristocratique, racée, l'italien et le Roumain, et les syncopes de l'allemande à la main gauche, qu'on est heureux, quand on a comme amis des personnages tels que ceux-là, musique, rythme, voyelles, danse, soleil, matin frais, après-midi ombrée, et le bel Erard dont on sent encore l'odeur, et Bach, qu'on est heureux ! Fleur de la journée. Élan vital, joie de l'instant éternel.