mardi 29 décembre 2020

Schubert et Ophélie



On ne peut pas écouter Schubert comme s'il s'agissait d'un compositeur. On ne peut pas aimer Ophélie comme s'il s'agissait d'une femme. Ces deux-là sont d'une race à part le monde. 


vendredi 11 décembre 2020

Les phrases de Marcel Crédi (1)

C'est vers la cinquantaine que Marcel Crédi avait pris l'habitude d'inclure dans ses publications des bordées aléatoires de mots dont la réunion ordonnée en une unité syntaxique de sens était encore appelée "phrase" par certains vieux boucs aux sourcils en bataille. Entre deux énoncés parfaitement explicites, il glissait de temps à autre ces pavés hirsutes qui lui venaient d'on ne sait où. 

Au début, il avait fait ça pour faire rire, pour amuser ses correspondants, mais comme personne ne relevait jamais, il avait fini par penser que ces phrases avaient sans doute quelque signification originale, magique, et que celle-là n'échappait qu'à lui. 

C'est donc avec beaucoup d'espoir et de fièvre qu'il attendait celui qui, un jour, lui répondrait sans marquer de surprise, et ainsi serait susceptible de lui révéler le sens caché de ce que sa main traçait sur le papier en toute liberté. Mais, pour l'heure, seul un silence solennel et un peu inquiétant lui répondait.

Marcel Crédi avait par exemple écrit ceci : « Nous sommes dans un positionnement politique systémique, où toutes fonctions assujetties s'utilise, nécessité faisant loi, bon gré, mal gré, la parole ne se justifiant qu'à l'écoute de diserts silences pour conforter la thèse revendiquée, ou jeter l'anathème sur ses contradicteurs. » , ou encore : « C'est en constatant l'absolue similitude de l'usage politique du mythe, hors cette république qu'eux ne revendiquent pas pour hospice, qu'on prend la dimension sournoise, et planétaire  du réseau de forces noires qui emprisonne nos facultés de penser librement, n'usant que de nos émotions les plus primaires à cette fin, laquelle est de nous contraindre en tous leurs désirs. » 


***

Que des Marcel Crédi existent n'est pas pour nous étonner, non, pas le moins du monde ; ce qui nous étonne fort, en revanche, c'est que des gens leur répondent comme si de rien n'était, dialoguent avec eux, et semblent même comprendre de quoi ils parlent. Cette langue existe donc, des individus la parlent, l'entendent, et l'utilisent pour communiquer entre eux. 

Je propose un exercice métaphysique : lisez ces phrases trois fois de suite, à haute voix, tout en écoutant Dinu Lipatti jouer le choral Jésus, que ma Joie demeure. Le faisant, vous sentirez votre âme quitter doucement votre corps et rejoindre quelque cosmos que nul astrophysicien n'a encore jamais imaginé. 

Marcel Crédi existe, je l'ai rencontré.

AMEN

jeudi 10 décembre 2020

Début

 Parmi tous les débuts de roman que j'ai écrits, je pense que celui-ci est le meilleur. Pour l'instant.


— Écrivez-moi une saloperie.

— Voulez-vous savoir de quoi j'ai envie, là ?

— Oui s'il vous plaît

— Je vais vous le dire.

vendredi 4 décembre 2020

Comment je suis devenu misogyne (2)

Ce qui m'a permis de devenir misogyne sur le tard est la part féminine très développée que je possède. Un homme entièrement viril se contente de ne rien comprendre aux femmes, et il vit très bien avec ça. Il les voit de l'extérieur, comme on regarde un chat, ou un tabouret. Il sait seulement qu'il peut arriver, avec beaucoup de difficultés, à s'en servir, ou à s'en faire accepter, mais comme il n'a pas accès du tout à leur esprit, il ne peut pas les haïr vraiment ; il ne sait même pas pourquoi il en a peur. Il s'asseoit sur le tabouret, et constate que celui-ci est bancal, mais il pense que c'est dans la nature du tabouret d'être bancal, et ne cherche pas plus loin. Et quand il se fait griffer par le chat, il croit que celui-ci s'amuse, ou qu'il a eu peur, en conséquence de quoi il le caresse avec plus de ferveur encore. 

Sans l'écrit, je veux dire sans la lecture de ce qu'écrit une femme dans un réseau social, par exemple, ou encore des textos ou des mails qu'elle nous adresse, jamais je n'aurais imaginé la profondeur du gouffre. Cette expérience a vraiment été une apocalypse. Plus moyen de revenir en arrière, après ça. Elles ne se rendent pas compte à quel point elles se révèlent, du moins je ne le crois pas, car sinon elles sont complètement cinglées. La seule chose dont je pense qu'elle peut s'apparenter un peu avec cette expérience des réseaux sociaux est l'observation d'une femme, en été, sur la plage, en train de lire son magazine, un stylo Bic à la main. 

Avec un peu d'expérience, on s'aperçoit qu'il est urgent, dès qu'un semblant de commerce s'établit avec une de ces créatures, de brûler ses vaisseaux, quoi qu'il puisse en coûter. Le plus tôt est le mieux, croyez-moi. Il faut à tout prix éviter de lui laisser le temps d'ignorer qui on est, et comment on se comporte en société, car elle aurait vite fait sinon d'imposer ses propres normes et coutumes que, bien sûr, elle juge universelles. Car les femmes sont, la plupart du temps, persuadées que la norme est en elles, comme l'utérus est dans leur ventre. Un utérus, une norme, comme on dit une voix, un vote ! Elles ne peuvent pas admettre qu'une norme soit, par définition, quelque chose d'extérieur à l'individu ; elles produisent de la norme comme elles produisent des ovules, et si jamais vous arriviez tout de même à le leur démontrer, elles vous rétorqueraient que c'est bien la preuve que la norme est une notion masculine, puisqu'elle prétend s'imposer à tous. La norme, c'est comme la syntaxe, c'est comme la politesse, ça se situe à l'extérieur de l'individu, et c'est ce qui est intolérable à la femme, car elle est l'individu par excellence — je parle bien sûr de la femme d'aujourd'hui, qui tend à s'affranchir de tous les déterminismes, et de toutes les contraintes, fussent-elles biologiques ou naturelles. Mon corps, mon utérus, mon bébé, mon homme, ma maison, ma piscine, mes varices, mes règles, mon sport, mon yoga, mon ressenti, tout lui appartient en propre, et en même temps, elle peut s'en débarrasser en dix minutes si ça lui chante. 

(…)

Comment je suis devenu misogyne (1)

Pourquoi tout homme doté d'un peu d'intelligence et de goût devient-il forcément misogyne, en ce début de siècle ? À cause d'Internet. C'est depuis que nous rencontrons les femmes par le truchement de l'écrit, qu'il est devenu impossible de ne pas être misogyne. 

Dans le monde que j'ai connu, jusqu'à ma trentième année, c'était leur corps, qu'on rencontrait d'abord. Leurs yeux, leurs jambes, leurs voix, leurs gestes. Parfois leur réputation. L'émerveillement pouvait jouer à plein. Bien sûr, l'intelligence était là, immédiatement, mais comme voilée, habillée par cette divinité de chair. Ou plutôt, cet émerveillement était dès l'origine trouble, troublé par la parole, par les gestes qui agitaient vaguement le liquide dans lequel baignait la statue qui était en face de nous, la faisaient trembler imperceptiblement. Cet émerveillement était impur dès l'origine, et c'est précisément cette impureté qui m'avait fait tant aimer les femmes. 

Même quand je ne savais rien de celle qui, en face de moi dans le métro, par exemple, me faisait basculer dans un monde inconnu, celui de l'amour instantané, même quand je n'avais pas encore entendu sa voix, je sentais bien que cette femme magnifique avait aussi des pensées, des paroles, et des attitudes, qui entreraient en conflit avec cette peau, avec ces seins, avec cette bouche, avec ces mains que je touchais de l'esprit (l'amour n'est pas aveugle, pas du tout, il transperce l'épiderme et le temps, et s'attache aux organes qui barbotent dans la mémoire fumante qui nous observe depuis sa prison invisible), et ce conflit, ou cette contradiction, que je sentais confusément, était sans doute le ferment le plus actif d'un sentiment d'une puissance révoltante. Je l'aimerai quand-même.

L'homme qui s'éprend d'une femme inconnue (rencontrée dans la rue, ou dans le métro, par exemple) veut être à la fois innocent de ce désir et chasseur de femme, sauf si c'est un rhinocéros. Cette impossibilité structurelle a ruiné concrètement mes efforts visant à séduire la femme muette, la femme-corporelle, la passante, mais a construit à mon insu, petit à petit, une autre forme de séduction qui, elle, s'est incarnée dans les phrases. Il n'y a que l'écrit qui peut dire le désir de manière innocente, en le critiquant, et parfois en le niant, très sincèrement. Bien sûr, il n'y a en définitive aucune innocence là-dedans, mais le dédoublement qui s'opère fatalement dans l'esprit de celui qui séduit en écrivant a la même saveur que l'innocence, il le délivre du péché de prédation, ou il l'exonère de la force brute qui s'y attache. 

(…)

mardi 1 décembre 2020

Préambule (1)

Finalement, je me demande s'il ne serait pas mieux pour tout le monde de leur dire immédiatement, à toutes, comme un préambule plein de sympathie et de camaraderie, comme une sorte de postulat positif de départ, en somme, qui ne préjugerait en rien de l'avenir : « Mais tu n'as jamais envisagé que tu pouvais être complètement conne ? ».

mardi 24 novembre 2020

Ô Dulcinée…

C'est très simple, la vie. Par exemple, quand j'ai envie d'écouter de la musique, je vais voir ce qu'a déposé O sur Facebook, et j'écoute. C'est toujours parfait. Exactement ça. Mieux que ce que j'aurais pu désirer moi-même.

Que voulez-vous que je vous dise… L'intelligence et le goût, quand ils sont mariés, sont des cadeaux des dieux. On n'y touche pas. 

(C'est merveilleux, de rencontrer de tels êtres.)

dimanche 22 novembre 2020

Coco, éloge de la sodomie


« Chez lui, l'obsession presque morale du cul, du con. 
Sa fascination est là et c'est comme un éblouissement. 
Ses divagations, ses systèmes, sa philosophie y reviennent sans cesse,
comme à un centre de l'humanité, l'anneau où passe la succession des générations. » 
(Journal des Goncourt)

Coco est aux chiottes : « Viens là, Salaud ! » (J'étais en train d'écrire, en bas.) Je monte, la porte est ouverte. « Mets ta main là » dit-elle en l'attrapant et en la collant sur sa vulve. Avant même que je touche ses lèvres, je sens un jet chaud qui pointe sur ma paume, je vois le visage de Coco qui se détend, qui s'épanouit, elle est joyeuse. « T'aime ça, hein, mon salaud, ma pisse chaude ! » Ça fume un peu. La salope sait comment me faire bander. Dans la position qui est la mienne, il m'est facile d'enfoncer l'extrémité de mon majeur dans son cul. Cette fille me remplit le cerveau de foutre.

L'autre jour, elle me demande ce qu'elle doit faire de son doigt, quand elle a envie de le fourrer dans le cul d'un mec ! Qu'est-ce que tu veux que je réponde à ça, moi ! « Je me contente de le foutre dedans, mouillé, et de gratter un peu ou tourner », qu'elle me fait ! Coco, il ne s'agit pas de déboucher une bouteille de Kiravi ! Je ne sais même pas si elle se fout de moi ou pas. Travaux pratiques… C'était au soleil, au salon, et j'avais préparé un peu d'huile qui sent bon. Coco est arrivée toute guillerette, elle sortait de son bain, elle avait encore les cheveux mouillés. Elle a viré son peignoir et a grimpé sur la table en me mettant sa jolie foufoune sous le nez au passage, comme de la mousse confite qui sort du fournil. Il doit être à peu près midi. À peine allongée, elle me dit qu'elle a envie de baiser, mais moi je lui dis que non, on n'est pas là pour déconner, genre, retourne-toi sur le ventre. C'est une séance de travail ; faut pas tout mélanger. Alors là elle me demande : « Je peux péter, mon Chou ? » Coco, soyons sérieux deux minutes, tu pouvais pas péter avant ? Et la voilà qui module joliment un coup de trombone ténor — avec glissando — en pleine ascension du Vésuve, de l'air de l'enfant de chœur à grosses joues qui vient de s'enfiler deux choux à la crème en douce dans la sacristie. Je pouffe de rire, mais Coco, sérieuse comme un pape tibétain, installe son popotin en majesté, comme on installe les huiles des derniers instants près d'un mourant, à cinq dizaines de centimètres de mes yeux. Deux fesses adorables, bien blanches et moelleuses, bien rondes, avec une raie comme une muraille de Chine miniature mais à l'envers. Je vois qu'elles frémissent un peu mais je fais celui qui n'a rien vu. C'est pas le moment de se déconcentrer. L'office peut commencer. 

Pour commencer, je lui donne une bonne fessée. Coco aime les fessées. Elle a maintenant les fesses bien rouges. Je me suis appliqué, c'est rouge partout, uniformément. Alors, pour la consoler, et pour atténuer le feu, je la masse gentiment avec de l'huile. J'aime sentir ces fesses qui ont l'air de se trouver bien dans mes mains. Coco n'a pas un gros derrière, je peux avoir chaque moitié dans une main. Avec mon pouce, j'insiste sur les muscles, ça roule, ça s'échappe, je vois qu'elle aime ça, son petit cul commence à ressembler à de la pâte à bugnes, et de voir cette raie qui s'ouvre et se ferme à intervalles réguliers, comme les pages d'un livre, me dévoilant son petit trou qui finit par ressembler à un mot secret caché en une longue phrase nappée, ça me monte à la tête, j'ai chaud, j'ai les yeux qui pèsent dans leurs orbites et ma bite qui se raidit dans mon pantalon. Je ne peux pas résister très longtemps, je me penche vers Coco, j'approche mon visage, je respire fort, j'ouvre son cul en deux, et je lèche doucement son anus, d'abord autour, en cercle, puis, la langue bien à plat, je passe lentement dans toute la raie, jusqu'à ce qu'elle soit bien mouillée. À chaque fois que ma langue entre en contact avec son trou du cul, je sens comme une pointe au cœur et une vibration dans ma queue. Quand je sens qu'elle commence à en avoir envie, j'enfonce le bout de ma langue dans son anus chaud, je l'entends gémir doucement. « Mais tu avais dit le doigt ! » Oui, j'avais dit le doigt, mais on suit son désir, n'est-ce pas, et je trouve qu'il n'existe pas de caresse plus merveilleuse qu'une feuille de rose, quand on désire une femme. Pour la faire patienter, je déboutonne mon pantalon, qui tombe au sol, je change de côté, et je vais présenter ma queue à son visage. Elle commence par renifler, touche le bout de mon gland avec son nez, puis passe sa langue sous ma verge, en remontant des couilles vers le gland, tout en faisant glisser mon slip vers le bas. J'ai remplacé ma langue par mon doigt, que j'ai mouillé en le plongeant dans sa chatte, et je le pose juste sur son anus, sans le bouger. Elle a gémi. Je sens la chaleur de son cul, au bout de mon doigt. 37°, ce n'est pas rien. Coco me lèche le gland, je sens une pointe de glace qui me remonte le long de la colonne vertébrale, ça brûle paradoxalement. Elle tourne autour, puis s'arrête. Mon doigt commence à s'enfoncer dans son cul, je sens ses sphincters qui se serrent, puis se détendent, je vais plus loin, et elle me gobe le gland, puis toute la queue. « Ne t'arrête pas ! » Mon doigt est enfoncé jusqu' à la deuxième phalange. Je presse un peu les bords, vers le ventre, je me fais une place, je le ressors, Coco se contracte : « Pourquoi tu l'enlèves ? » Je fais comme toi avec tes commentaires. Elle rit et pousse ses fesses vers moi : « Mets-le moi, mets-le moi encore ! Encule-moi avec ton doigt ! » Et en disant ça, elle a saisit ma queue dans ma main, et me serre très fort. Je regarde cette petite main sur ma queue, ça me plaît , du fer chaud me coule dans les veines, et j'ai de la glace sous la plante des pieds, j'ai remis mon doigt, après l'avoir reniflé, dans son cul, et je pousse jusqu'à ce qu'il disparaisse, j'ai la paume de la main collée à sa fesse, Coco me branle, j'ai envie de l'enculer, d'y mettre mon sexe, mais elle me dit : « Vas-y, bouge ton doigt, fouille, ouvre-moi, prends mon cul ! » et elle prend toute ma queue dans sa bouche. Si elle continue comme ça, je vais tout lui envoyer au fond de la gorge. Coco est une adorable salope. 

Coco me demande « Pourquoi êtes-vous si obsédés par l'enculage, vous, les hommes ? » C'est une question intéressante ! J'aime que Coco se la pose. Pourquoi le cul ? Pourquoi le trou du cul, alors qu'il y a tout ce qu'il faut juste à côté ? « Derrière d'abord ! », comme disait l'autre… Voilà une jolie dissertation à écrire. Non, elle a raison, Coco, cette question est fondamentale, et mérite qu'on ne la laisse pas aux journaux féminins. C'est une question littéraire avant tout. Commençons par bien séparer les choses. L'enculage hétéro n'a rien à voir avec l'enculage homo. Les pauvres homos n'ont que ce trou-là à se mettre sous la bite. Le fait qu'une femme en ait deux, de trous, et côte à côte, encore, est miraculeux. L'hétéro est libre ! De baiser ou de sodomiser. L'homo n'a pas le choix. Voilà ce que je commence par dire. 

« La poésie est le chant du signifié. » écrit Jean Cohen. L'anus est au vagin ce que la poésie est à la prose. J'aime la prose, hein, ne croyez pas que je la déprécie, en écrivant cela. Mais enfin, il me paraît évident qu'enculer une femme est sexuellement un acte du second degré. L'homme qui sodomise est d'abord excité par l'écart, par la déviation, par l'anamorphose, c'est pourquoi ceux qui prétendent qu'on aime ça parce que le rectum est plus étroit que le vagin sont des crétins. On pourrait aussi bien se mettre la bite dans un étau en considérant que c'est bien supérieur au coït… Plus on se représente les actions sexuelles plus elles ont de puissance érotique, c'est bien évident. Plus on « lit » les actes sexuels, plus on les ralentit en esprit (ou en fait), plus ils procurent de plaisir. Une sodomie est une repénétration, c'est comme si l'on y revenait, comme si l'on redoublait l'acte sexuel. «Tu en veux encore ? » C'est le encore qui fait sens. Le vagin, la bouche, l'anus. On bouche tous les trous. On est partout. Toutes les femmes ont ce fantasme, à un moment ou un autre, de leur vie sexuelle : « être prises de partout ». Être comblées, au sens premier. Bon, il est possible que je sois un traumatisé du « encore ! ». Mais ce mot me semble, depuis mes dix-sept ans, le mot par excellence de la jouissance sexuelle. (Ici, il faudrait que je raconte ma scène primitive du « encore ! », mais ce sera pour une autre fois.) 

Revenons à l'homme qui encule une femme. De la queue, on sait ce qu'il en sort : soit du sperme, soit de l'urine. Quand on écrit, on ne sait jamais ce qui va en sortir. De l'or ou de la merde, de la poésie ou de la prose, du lourd ou du léger, du sombre ou du clair, des phrases longues et fluides ou des propositions sèches et raides. Le vagin est très riche, dans ce qu'il propose, en terme de fluides, de manifestations de toute sorte, il a à sa disposition une palette d'expressions énorme. La mouille, l'urine, les odeurs, les formes changeantes, et, on le sait depuis peu, l'éjaculat, à quoi il faudrait ajouter, pour être complet, les sécrétions normales et pathologiques. La vulve est un monde, si on la considère dans sa globalité : vagin, grandes lèvres, petites lèvres, méat urinaire, utérus, replis des parois, pubis, poils, clitoris, on n'en finirait pas d'observer et de décrire tous ses coins et recoins fascinants. L'anus, lui, est beaucoup plus simple, voire aride. C'est le nouveau roman, comparé à Chateaubriand. Il est austère, quand la chatte est généreuse et baroque, ou romantique. Mais c'est précisément cette austérité, ce côté presque rebutant, qui le rend si désirable. On a tellement chanté les louanges du sexe féminin, de cette figue, de cette mandorle, de cet instrument divin et lyrique, on en a tellement fait un acteur incontournable du désir et de la jouissance qu'il a fini par prendre l'aspect de ces dames de la Cour, au XVIIIe siècle, de leurs robes trop chatoyantes, trop riches, trop compliquées, absurdement sophistiquées, le passage de la foufoune au trou de balle, c'est le passage de Strauss ou Bruckner à Webern. Il fallait dégraisser ; mais on aime les deux musiques.

L'homme qui encule une femme jouit doublement. Il jouit de la pénétration, et il jouit du cul, il jouit de la femme qui donne son cul, de la femme qui a surmonté sa peur de la sodomie, qui peut faire mal, qui peut engendrer des désordres et des désagréments, qui peut l'humilier. La femme qui donne son cul donne son cul, mais elle fait beaucoup plus que ça. Elle donne aussi une partie d'elle qui peut la blesser, qui peut la gêner, qui peut la ridiculiser, même. Il faut avoir envie d'être à la merci de l'autre, il faut supporter son regard. C'est extrêmement touchant, et même bouleversant. La femme qui se fait enculer n'est plus une femme en majesté. L'homme le sait, et le fait qu'il le sache redouble encore dans l'esprit de la femme la qualité de son don. C'est la qualité de ce don qui donne tout son prix à l'anus. Ce n'est pas un hasard si, en français, on dit qu'on parle « de cul » quand on parle de sexe. Le cul d'une femme, c'est tout à la fois ses hanches, ses fesses, son sexe, son pubis ; et au fond de cette constellation, se cache l'astre noir, l'anus — il en fait partie, mais il est comme un élément étranger au système : un trou noir. « Toi qui entre ici… » Quand on dit « cul », en français, on ne sait jamais de quoi on parle exactement. Et c'est cette ambiguïté qui confère à ce mot une puissance poético-érotique de premier plan. C'est pourquoi je disais en commençant que l'enculage est un plaisir littéraire. 

Étrangement, quand j'avais vingt ans, la sodomie me dégoutait. Ce goût m'est venu sur le tard. Je crois que je devais avoir vingt-cinq ans, quand j'ai enculé une femme pour la première fois. J'ai encore la voix de celle-ci dans l'oreille, me disant : « Tu aimes ça, être dans mon cul, hein ! » Je ne sais plus ce qui m'a décidé à tenter l'aventure, mais je me rappelle encore la fascination qui était la mienne quand je voyais, à la dérobée, son anus brun étoilé dépasser de la culotte de coton blanc. Autant je passais du temps à observer amoureusement sa chatte, autant je ne m'attardais jamais, avant ça, sur son trou du cul. Mais j'avais fini par mettre à cet endroit précis tout mon désir de jeune mâle amoureux. Il y a eu un déport, un déplacement. Et puis il y eut ce : « Tu aimes ça, être dans mon cul, hein ! » qui a tout changé. Oh, oui, j'aimais ça, et je pouvais enfin y être, et lui avouer. Il est indéniable que ma sexualité a changé, à ce moment-là. Je ne me le disais pas ainsi, mais je pouvais enfin faire l'amour à cette femme d'une manière complète, sans avoir peur d'une part d'elle, ou sans l'ignorer. On envisage les femmes très différemment, lorsqu'on s'y enfonce de pile et de face. Et puis, n'oublions pas que l'anus est l'extrémité reliée à la bouche, alors que le vagin, lui, ne communique avec rien d'autre que lui-même. L'anus est donc relié à la parole, et donc au discours, on l'oublie. 

Je ne peux pas passer sous silence la question de l'odeur. L'odeur est très importante, ici aussi. Je me rappelle qu'au début de ce siècle, à Rumilly, R. m'avait dit, après que nous avions passé une merveilleuse après-midi au lit : « Ça sent le cul, mon amour ! » Et moi de comprendre bêtement que ça sentait le sexe, ce qui me semblait normal puisque nous venions de longuement faire l'amour. Non, ce n'est pas ce qu'elle voulait dire, je l'ai compris après : c'est bien le cul, que ça sentait — elle n'employait pas une métonymie, comme je l'avais cru. L'odeur de cul se distingue-t-elle de l'odeur de sexe ? Cette question n'est pas simple, mais je crois qu'on peut tout de même y répondre affirmativement. Les odeurs de sexe et les odeurs de cul sont le plus souvent tellement liées qu'on a du mal à les distinguer. Alors comment ça sent, le cul ? C'est justement parce que c'est difficile à décrire qu'on doit essayer. La première idée qui vient à l'esprit, bien sûr, étant donnée la fonction excrémentielle, est que ça sent la merde. Ce n'est pas le cas, fort heureusement. Si la digestion est normale et si l'intestin est en bonne santé, le rectum est propre. L'odeur d'un cul peut être agréable. Mélange de pâte crue, de sueur, de chair chauffée, de terre sucrée, de café brûlé, parfois de cacao, et d'X. Je ne sais pas quelle est cette odeur que j'appelle X. Je sais seulement qu'elle est là, et qu'elle est l'odeur la plus intime de la femme (ou de l'homme) en question, l'odeur la plus irréductible et singulière, celle qui fait qu'il se reconnaît lui-même, et peut-être même qu'il se supporte. Un être humain normalement constitué aime l'odeur de son propre cul. N'oublions pas pour autant qu'étant donnée la proximité des organes génitaux, et le dogme moderne de la culotte, qui réunit en son sein les deux parties, les y fait macérer toute la journée, les odeurs sexuelles et les odeurs de cul ont un territoire commun, sans doute indiscernable. Et cette impossibilité de discerner aisément les deux familles d'odeur leur confère indéniablement un charme particulier. On n'est pas sûr… On est sur une frontière… L'une est la métaphore de l'autre, peut-être… 

Mais je sais bien que je ne réponds pas vraiment à la question de Coco. Elle, elle voudrait savoir ce que ça fait. Ce qu'on sent, quand on enfonce sa queue, ou son doigt, dans le cul d'une femme. Ce qu'elle n'a pas l'air de comprendre, Coco, ou ce qu'elle fait semblant de ne pas comprendre, c'est qu'on sent ce qu'on désire. Si l'on sentait ce qu'on sent, on n'aurait aucun plaisir. L'enculage, c'est la fulminance du désir. Mais la voici qui est en train de lire par-dessus mon épaule. Je te prête mon cul, Coco, je le te prête bien volontiers, si tu veux y faire des expériences. Tu peux rire, tu peux pouffer, tu peux même fermer les yeux, mais moi je n'ai qu'une envie, ici et maintenant, c'est de t'enculer, de la langue, du doigt et de la queue, de sentir mon membre plongé en tes ténèbres, rougi par le feu de ton cul, porté à incandescence par ton rectum, alors que je mordrai ta nuque et te dirai de l'ordure fulminée. J'aime t'enculer, Coco, à cause du mot enculer, j'aime t'enculer parce que je sais que toi aussi tu entends la sonorité de ce mot, enculer, qui perfore la tripe mentale. L'anus et la bouche sont liés par un pacte biologique qui a fait son nid très profondément en notre esprit. L'enculage, c'est d'abord un verbe, une phrase, une idée, une pensée, que les femmes portent à leur fondement comme les hommes leur bandaison. 


lundi 16 novembre 2020

Le Portail

J'avais douze ans, ce matin-là, quand André Carlioz est venu nous dire, très énervé : « Bon, vous entrez ou vous sortez ? » Mais nous n'avions pas à sortir, puisque nous étions dehors. 

Je l'ai revu, trente-cinq ans après, dans une chambre d'hôpital, qui chantait le Salve Regina à l'oreille d'une mourante.

Complotée de tweets

Sur mon arbre à bavette d'aloyau, des oiseaux à pointes sèches se sont posés, l'air renfrogné. Ils n'avaient pas l'air d'aimer ce qu'ils y trouvaient. 

Qu'y puis-je, moi, si ces animaux écoutent la propagande des gauchistes à sang rose ? Les oiseaux sont presque aussi cons qu'ils en ont l'air.

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Tous ceux qui ont vu tout de suite que le film "Hold-Up" était un peu olé-olé sont des cons.

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Les fuseaux horaires sont des poissons que les dieux se lancent d'un continent à l'autre pour passer le temps.

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Si le Complot n'existait pas, les choses seraient vraiment très inquiétantes.

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Si j'étais certain que tout ce que j'écris est faux, mon sommeil serait de meilleure qualité.

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Éjaculation mystique à chaque fois qu'on écrit un tweet dont le nombre de caractères est exactement 280.

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En regardant attentivement le visage de quelqu'un, on devrait pouvoir dire quelle réserve de vie il a en lui.

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Si j'étais président de la République, je me coucherais chaque soir en me demandant : « Que pourrais-je bien interdire, demain matin ? » Et je m'endormirais heureux et je ferais de jolis rêves.

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Je ne suis pas un compositeur altruiste. Je ne suis pas une belle personne.

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La mauvaise foi de ceux qui sont de bonne foi est invincible.

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L'accusation de "complotisme" est tellement ridiculisée par ceux qui l'emploient qu'on a presque envie de les morigéner à la manière de Bernanos : Qu'ils cessent de déshonorer le complotisme ! 

Le complotisme n'a rien à voir avec les comploteurs. Ne désespérons pas le Complot, nous pourrions en avoir besoin bientôt.

dimanche 15 novembre 2020

L'Apostrophe

Tout est mal écrit, mal dit, décousu, débraillé, ébréché, et pour tout dire (ou dire les choses simplement) incompréhensible. Tout est jeté là comme on jette son manteau sur une chaise en rentrant à la maison. Tout est contradictoire, emberlificoté, long quand ça devrait être court, trop court quand il faudrait développer, avec des mots incomplets, déchiquetés, cul par dessus tête, pas à leur place, une ponctuation absente ou délirante, des caractères manquants, des apocopes systématiques, des erreurs, des oublis, des répétitions, des incohérences, des impasses logiques, des sauts de côté, et des emplâtres syntaxiques. 

On a beau lui dire gentiment, le plus gentiment possible, elle s'en fout, n'en fait qu'à sa tête, qu'elle croit bien faite, et même s'en vante, car elle pense que la spontanéité fait office de liant, ou de style, ou de couleurs, alors que son discours est gris comme un trottoir sale. Qui se vante d'écrire en mouvement et sans jamais se relire s'expose à très vite lasser ses correspondants, en tout cas ceux qui prennent les autres au sérieux. « Écrire en mouvement »… Faut-il être prétentieux pour se croire capable d'une telle prouesse ! Ils écrivent en mouvement, ils lisent debout dans une librairie, ils écoutent de la musique en faisant leurs courses, ils font quatre choses à la fois, seize fois plus mal, donc, et ils vous jettent ça à la figure comme si nous devions nous incliner admirativement devant cette danse de Saint-Guy verbale ? Qui s'étonnera ensuite de la solitude et de la mutité tragique dont parle Houellebecq ? Elle fait partie de ces gens qui croient que malgré tout le fond est là, de toute éternité, parce qu'ils le valent bien. Elle prend son arrogance bébête pour du courage, et son autisme pour de l'originalité. Elle n'assume rien, et efface copieusement ses interventions, sans aucun égard pour les autres, même quand ceux-ci ont passé du temps à lui répondre. Cette incapacité à comprendre que ce qui est proféré devant autrui ne peut être déproféré sans renier tout le pacte inhérent à la conversation me glace. Ce qui est dit est dit, ce qui est écrit est écrit, une fois pour toutes. Rien n'empêche d'y revenir, de se corriger, de pondérer ce qu'on a écrit, et même de se contredire, pourquoi pas, mais effacer est la marque des faibles et des "inverbants" (ceux qui ne disent rien), ceux pour qui la Parole ne compte pas, et qui ne croient pas à ce qu'ils disent. Comment pourrait-on dès lors leur accorder quelque confiance ? Ils deviennent arrogants à force de complexes. Qu'on ait des complexes quand on s'expose est tout à fait normal, et chacun devrait connaître cette gêne qui sous-tend la civilité, mais qu'on retourne ces complexes en arrogance qui autorise tout est la marque d'une incroyable immaturité. 

Et toujours cet argument ridicule du « on est sur Facebook, merde ! » qui tient lieu de sauf-conduit puéril ! Qu'ils soient sur Facebook ou ailleurs ne change évidemment rien à leur langue, tout le monde le sait sauf eux. Quand on ne sait ni lire ni écrire, le lieu compte pour rien. Et c'est cela qu'ils révèlent à leur corps défendant : qu'ils ne savent pas lire, ce qui les rend très pénibles à supporter, car qui ne sait pas lire fait perdre un temps fou à son interlocuteur. C'est malentendu sur malentendu, quiproquo sur quiproquo, explications à n'en plus finir, approximations et contresens. La vie a d'autres ambitions !

On en revient toujours à la politesse — la politesse qu'on doit aux autres. La politesse est une forme d'humilité, quand le soi-mêmisme n'est que vanité et inconscience : on considère l'autre, on lui accorde des droits sur nous-même, et en tout premier celui de ne pas être importuné par nos maladresses et notre laideur. Une langue soignée est à l'évidence la première de toutes les politesses, car la langue est par excellence le lieu du Lien vivant, organique, fondamental . La politesse a ceci de particulier qu'elle ne peut pas se singulariser. Si chacun a sa propre politesse, personne n'en jouit. La politesse est un langage. 

Ce qu'elle appelle "chipoter", c'est donner à l'autre de son temps pour qu'il n'ait pas d'efforts inutiles à faire. Prendre le temps de mettre une apostrophe n'est pas un "détail" qu'on peut négliger, au prétexte que « ça prend du temps » ou que « ça demande un effort », puisque c'est justement le temps que ça prend, et l'effort qu'on fait, qui a du sens. Rien n'est gratuit. Tous les signes du langage réclament un effort au scripteur — il faut les connaître, savoir les utiliser à bon escient, et les former — mais leur emploi ne peut pas être fonction de cet effort. Les relations humaines sont d'abord faites du temps qu'on offre à l'autre, et de l'effort qu'on fait pour que l'autre en fasse moins. Ce qu'elle appelle "chipoter", c'est également le fait de vouloir que les choses qu'on écrit aient un sens véritable, que ce ne soit pas du bavardage, du bruit. Personne n'est obligé de supporter le bavardage des autres, les niaiseries, les affirmations qui ne reposent sur rien de solide, les clichés qui ne servent qu'à remplir le vide de l'âme et de l'esprit, le charabia. Ce n'est pas "chipoter" que de vouloir que la parole soit vraie, c'est seulement être vivant. On aime l'humour, on aime la fantaisie, mais précisément, l'humour et la fantaisie sont bien trop précieux pour être sacrifiés à la banalité et à l'approximation, au prétexte qu'on "improvise". L'improvisation n'a jamais empêché quiconque de se relire avant d'appuyer sur la touche envoi. Le mal-écrire me donne toujours l'impression de me trouver face à un postillonneur décomplexé. 

Il faut toujours croire à son premier mouvement. Quand on se trouve face à quelqu'un d'approximatif, il le restera. Quand on se trouve face à quelqu'un de mal élevé, il le restera. Quand on se trouve face à quelqu'un de bête, sa bêtise trouvera des accommodements, mais ne disparaîtra jamais. Elle reviendra même plus forte encore d'avoir pu trouver en vous un écho favorable. Les postillonneurs restent éternellement des postillonneurs, quel que soit le charme qu'ils aient par ailleurs. Tout cela se lit dans la première phrase. L'approximation se retrouve partout, et dans les phrases et dans la pensée, et même dans les affects. La grossièreté, c'est pareil. Rien n'est caché, dans les êtres. Ils montrent tout, tout de suite. Mais nous avons tellement peur de voir, nous avons tellement peur de la vérité…

samedi 7 novembre 2020

L'angoisse et la cécité

C'est à la fois la grande force et le talon d'Achille du Numérique de nous laisser croire que l'œil peut se substituer à la main. Ce qu'on voit on ne le touche pas. 

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La disparition des visages, et singulièrement sur ce réseau qui s'appelle le Livre des Visages, nous induit en erreur. L'égalité n'existe pas plus ici qu'ailleurs. 

Que notre interlocuteur soit visible ou invisible, il est caractérisé. Il a un âge, par exemple. Les générations, ça existe. On ne s'adresse pas de la même manière à quelqu'un qui a notre âge et à quelqu'un qui a vingt ou trente ans de plus que nous, ce qui allait de soi, autrefois, quand la conversation était en pratique indissociable du visage (et de la voix). Le Numérique a brisé cette liaison, comme il a défait d'autres frontières et presque toutes les hiérarchies. Il n'est pas rare, désormais, qu'une jeune personne de trente ans ou moins s'adresse à moi comme si elle avait mon âge. Elle considère que c'est tout à fait normal. Il n'y a pour elle aucune frontière entre nous. Nous sommes désormais des égaux, de purs individus autonomes et déliés de leurs déterminants. 

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Dans neuf cas sur dix, l'information des citoyens est illusoire. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, car on constate chaque jour sur Facebook qu'ils ne savent pas lire. Quand on ne sait pas lire, on ne sait pas non plus écouter et on ne sait pas non plus voir. 

Qu'on soit à l'heure numérique ou pas ne change rien à l'affaire. Sans le savoir-lire, il n'existe pas de possibilité de s'informer. On pourra multiplier autant qu'on le veut les canaux et les moyens d'information, cela ne changera rien au résultat. Cela ne fera qu'accroître ce sentiment d'irréalité qui déjà nous étreint tous. D'un côté, une masse d'information(s) colossale, et de l'autre, des gens qui ne savent pas quoi en faire. Entre les deux, l'angoisse et la cécité.

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Elle a une bouche mais elle ne parle pas, elle a des mots mais ils ne disent rien.

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La logique de l'hypermarché est cohérente avec la logique de l'ordinateur. Tout est disponible. Chacune de ces manières de vivre nous propose des objets de désir. À 8h13 nous désirerons ceci, et à 14h25 nous désirerons cela, selon le rayon devant lequel nous nous arrêterons. La volonté n'est qu'un mot parmi d'autres mots. L'art n'est qu'une offre parmi d'autres offres. L'amour, un passe-temps. Seul le tube digestif, pour l'instant, est inébranlable.

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Les questions abouchées à leurs réponses n'ont aucun intérêt. C'est comme si la bouche et l'oreille n'étaient qu'un seul et même organe. C'est de leur séparation que naît le désir. 

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Le viol (le viol tel que banalement il se pratique aujourd'hui en France, par exemple) est aussi une conséquence de cette illusion de la disponibilité générale. Quand tout est mis à disposition, il est difficile d'admettre que le corps des femmes fasse exception. 

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Si elle a une bouche qui ne parle pas, si elle a des mots qui ne disent rien, c'est que cette bouche et ces mots ont été déportés. D'autres bouches parlent, d'autres mots disent, hors d'elle. L'utérus suivra. La division du travail a fait beaucoup de progrès. 

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Je ne connais rien de plus angoissant que l'impossibilité de la conversation. 

jeudi 5 novembre 2020

Contemporains



Ce requin a 393 ans. Il a été le contemporain de Louis XIV. J'écoute l'Oiseau prophète de Schumann, joué par Richter. Ces trois faits existent dans ce monde-ci, le mien. Entendant ces arpèges-fusées, je songe à elle, qui les a entendus comme moi. Comme moi ! Pas avec moi, mais comme moi. Ça dure 2'42". C'est très court. Elle aussi, elle existe dans ce monde-ci. La grande question, presque la seule, pour moi, est celle du Désir. Il n'y a guère plus que ça qui m'intéresse. Le requin a été aussi le contemporain de Schumann, de Richter, et de Lénine. Ce requin a été le contemporain des carrosses et des Bugatti qui roulent à cinq cents kilomètres à l'heure. À mon avis, il se moque pas mal de l'élection de Joe Biden. Est-elle devant son piano, là, au moment où j'écris ces phrases ? Est-elle en train de travailler Einsame Blumen ? Ce n'est pas impossible. Camille m'a fait remarquer que j'utilisais trop de points de suspension. Elle a raison. La pièce n'est pas trop difficile, mais elle est infiniment délicate, avec ses deux voix qui se répondent, s'enroulent l'une autour de l'autre, et se rencontrent parfois à l'angle de dissonances acides. Les arpèges-fusées, elle doit les travailler un peu, ce n'est pas si facile. Elle va aller écouter Cortot, sûrement. Je ne peux même pas l'appeler au téléphone. Je ne connais pas son numéro, et même si je le connaissais, je sais qu'elle ne décrocherait pas. Le requin en a vu d'autres ! Hier matin, elle est apparue, puis a disparu aussitôt. Venue à la surface du monde, elle a pris un peu d'air, et a replongé dans la nuit. Je l'imagine, en Russie, au temps de Lénine, marchant dans la boue et le froid. Désir, ou pas désir ? Aller, ou ne pas aller ? Écouter, ou se boucher les oreilles ? Il fait bon. J'ai ouvert la fenêtre, le soleil réchauffe la maison. Il fait bon. Elle est infiniment délicate, et elle est mon contemporain, ou ma contemporaine, je ne sais. C'est très court. Les voix se rencontrent parfois, se touchent, battent l'air, et produisent des dissonances, comme des étincelles, ou comme les gouttes qui s'échappent du fruit dans lequel on mord. Je n'ai même pas eu 2'42" de plaisir avec elle. J'ai eu des points de suspension. Sa voix, l'air du temps. J'ai un peu de soleil, aujourd'hui, pour me réchauffer le cœur. Je ne suis pas Louis XIV, moi. 

mercredi 4 novembre 2020

Où ?

 Mais où es-tu, toi, la seule qui me sauverait, où es-tu ? Pourquoi me laisses-tu pourrir avec le monde ? 



C'est un être à éclipse. 

Il apparaît ; il disparaît. 

Entre deux de ses traits

C'est une apocalypse.


(La reine de l'ellipse

Et de la parenthèse.)


Je vais reprendre des chips. 

mercredi 28 octobre 2020

Chanson patriotique

Quand je tripote le pic

J'entends les ors frénétiques 

De mon oreille mystique

Qui jouent la danse cubique


La polémique est névrotique

Me disait très souvent Monique

Il vaut mieux être schématique

Ou alors apocalyptique


Ceci n'est pas une pique

Même pas microscopique

C'est un air patriotique

Qui nous sert de diurétique


J'ai perdu mes barbituriques

À moi le karma talmudique

De ce moment hyper lubrique

Qui pourrait devenir chronique


Elle roule des mécaniques

Elle s'appelle Coranique

C'est une femme volcanique 

Qui serait plutôt tyrannique 

vendredi 16 octobre 2020

Bouillon de culture


 


J'ai la solution, pour les artistes couvre-feutés.

Il s'agit d'un spectacle citoyen et féministe, performance écolo-responsable et équitable, qui demande très peu de moyens. De quoi faire revenir les familles à l'art et à la culture.

Matériel :  Une femme. Une chaise. Un ruban. Un masque. Un pot de chambre. 

1er acte (Adèle Haenel, assise.) Elle est habillée, masquée, mais son pantalon est coupé à l'endroit de son entrejambe. Elle tire sur un ruban qui sort de son vagin, et commence à lire le texte qui est inscrit sur le ruban. Le texte consiste en une suite d'instructions destinées à promouvoir les gestes-barrière. Au fur et à mesure qu'elle lit le texte, elle l'avale (symbole).

2e acte (La même femme, quelques heures plus tard, mais cette fois accroupie.) Elle défèque. Elle relit le même texte après digestion. Il en manque des bouts mais on parvient à comprendre (pédagogie).

Un 3e acte est envisageable (selon l'état du ruban)…


dimanche 11 octobre 2020

Le vrai sujet, c'est moi



O. Ce n'est pas parce qu'on a un clavier d'ordinateur sous la main qu'on est obligé d'appuyer sur toutes les touches. (Poursuis la “purge” de mon “bureau” virtuel extraordinairement encombré, d’où les ennuis informatiques quotidiens. Ent(re parenth)èses, les m(ots se)mbl(e)nt m(ieux) armé(s pou)r a(ff)ronte(r le(s i(dée)s, car (les idées) sont (un acid)e pour (les mot)s. N’oubliez pas que je suis en très bons termes avec le procureur de la République de Bordeaux. P. Ma haine n'est jamais au niveau de mon dégoût. C'est ce qui me rend si triste. On est révolté par la bêtise qui se dresse sur ses pattes de derrière et vient renifler les quelques denrées qu'on avait préparées pour ne pas mourir de faim ou de désespoir. Ne pas se reconnaître, mais que les autres nous reconnaissent. H. Quelle malédiction de ne pas savoir parler fort ! La majorité des phrases qu'on écrit, on peut les effacer sans dommage, et même on le doit. Comme on se sent faible et en danger, face à la laideur qui ne prend même pas la peine de se déguiser. Quentin passant son “examen de conduite” auprès de Pierre, pour savoir s’il peut utiliser les voitures (il a son permis depuis un mois). Un Beethoven qui aurait su qu'il composait de la musique classique aurait écrit beaucoup moins de bêtises ! Il écrit de très longues dédicaces sur les pages de garde des livres qu'il n'écrit pas. Ces dédicaces sont si longues qu'elles tiennent lieu de texte pour les livres qui n'en ont pas. Nous avons tous un diable, dans notre vie, un démon particulier qui s'est attaché à nous. É. (Le carnet de Georges Dumézil tombe de sa poche, sur la plateforme de l'omnibus à cheval Panthéon-Courcelles. Dans ce carnet, il avait rédigé des notices sur les Incas célèbres en "latin de Tacite".) Je ne sais s'il est possible de s'en débarrasser. De Retour dans la neige, de Robert Walser, je ne me rappelle rien, sauf la chambre (rose) dans laquelle j'ai lu ce livre. Il a planté ses crocs si profondément dans notre esprit qu'à certains moments il semble faire partie de nous. L. En général, il survient dans une vie en son milieu ; il a pris son temps pour nous étudier. Il ne faut pas le décrire, car il lit par-dessus notre épaule. Dormi énormément et plutôt bien, malgré la prostate, de onze heures du soir à sept heures vingt. I. Quand je suis pris d’une crise de mégalomanie, j’ai besoin de la laisser s’épanouir. Les religions s’installent et travaillent sans effort dans le 8eme, avec une éducation meurtrière et d'évitement en conscience payante ?, une sorte de flambeau d’immunité de loge Se relire sans éjaculer, c'est difficile, mais avec beaucoup d'entraînement… Même dans mes rêves, je cherche mes mots. Plusieurs conversations téléphoniques avec Crédipar (Peugeot) et M. Guizelin de Skoda, à Agen, à propos du prélèvement Peugeot simultané au chèque Skoda, ce qui est contraire aux engagements guizeliniens (pas de chevauchement des prélèvements — je n’ai guère les moyens de payer les deux voitures à la fois… ). Pourquoi ne trouve-t-on pas l'histoire des Girondins en Pléiade ? J'espère qu'elle a formé de bons ingénieurs au Mali avant sa captivité. Mais il faut d'abord les écrire pour savoir qu'elles sont effaçables. E. Ce n'est qu'une fois écrites que leur inutilité nous apparaît.) C'est dans l'agenda de Renaud Camus que j'apprends la séparation de Quentin et de Camille. 

Il faudrait réduire ça à deux phrases.


vendredi 18 septembre 2020

À l'échelle 1, le Delta ou l'anti-récit



Pour rendre compte de ce qui nous paraît insupportable, vraiment insupportable, chez un être, il faudrait avoir le courage de noter un ensemble de traits et de faits, qui, très vite, seraient aussi importants (en quantité) et foisonnants que la vie même. C'est l'histoire de la carte et du territoire. Comme c'est impossible, on croit s'en tirer en montrant certains épisodes qui, presque toujours, paraissent dérisoires et sans importance aux autres. Ils ne peuvent pas comprendre ce que nous ressentons, non seulement parce qu'ils ne sont pas nous, mais aussi parce qu'il leur manque l'essentiel du récit, qui ne comporte pas que les faits saillants (ceux que l'on peut raconter), mais ce qui les relie entre eux, et qui fait que justement, ces traits saillants, on les remarque — et qu'ils font partie d'un ensemble. Sans tout le reste, le décor (le dé-corps), le fond, la trame, le tissu, ce à quoi on ne prête pas vraiment attention, ces traits semblent faire partie de n'importe quelle vie, dans ce qu'elle a de banal et de médiocre, ou, au contraire, semblent incompréhensibles, insensés, car le sens, ils ne le tiennent que de l'accumulation et de la répétition, mais aussi de la variation. 

Et ce que je dis là est bien entendu vrai aussi, à l'inverse, pour l'attachement. Comment peut-on être amoureux d'un être dont seulement quelques traits saillants sont vus, ou montrés, perçus, et qui semblent si ordinaires, si médiocres, au sens propre ? 

Raconter à l'échelle 1, c'est le fantasme de tout écrivain. Mais il faudrait pour cela écrire autant qu'on vit. Il faudrait avoir, non pas le double de vie, mais une vie double, redoublée, deux vies exactement parallèles. La plupart de ceux qui écrivent le font pour cette raison. Ils ne se contentent pas de leur vie non écrite. 

D'un autre côté, on tombe sur ce qu'écrivait Musset à Alfred Tattet, en 1835 : « Retenez ceci ; il n’y a de bon, de vrai, de gai, de triste, d’aimable, de variable, de désirable, de potable, de chantable, de célébrable, d’idolâtrable, que le delta qui existe depuis la ceinture d’une femme jusqu’à ses jarretières. La motte est faite en triangle, il est clair que c’est le symbole de la divinité. »  Le Delta suffirait donc, nous n'aurions pas besoin de parler du reste. C'est aussi le grand fantasme. Magnifier une partie, une petite partie, de la femme qu'on aime, se concentrer exclusivement sur ce point nodal d'où semblent partir toutes les lignes de force qui nous la font désirer, s'en tenir là, surtout, célébrer son sexe, le trou par lequel elle disparaît à elle-même, et faire fi même de son visage, puisqu'aussi bien il nous paraît s'y résumer. 

Et entre ces deux fantasmes, qui ne sont pas du tout des fantasmes mais des choix fondamentaux de vie et d'art, on ne peut pas choisir, bien sûr… Il faut le corps et le dé-corps, à celui qui veut vivre pleinement, mais Dieu ne nous a pas donné la faculté de nous dédoubler. Ceux qui plongent tout entier dans le Delta ne connaissaient pas la jungle. Mais Dieu connaît-il la jungle ? Il l'a créée, c'est bien suffisant.

Quand je dis qu'il manque toujours "l'essentiel du récit", cela ne signifie pas grand chose, puisqu'un récit, justement, c'est déjà le prélèvement qu'on fait dans la vie, dans une vie, de ce qui nous semble racontable. Il faudrait imaginer un récit inracontable, donc, un anti-récit — un récit écrit depuis le vagin de la femme qu'on aime, juste avant de la détester. 

J'aurai tout essayé. Dire la vérité, ça ne marche pas. Mentir non plus. Ne reste plus qu'à oublier. Mais c'est impossible. Ça doit être les poils… 

jeudi 17 septembre 2020

Deux poèmes de Vincent Castagno


Tu rugissais alors qu'éternuait la vague

matou dépenaillé qui au gin des tonics

as soigné ta jeunesse


À Nice et Saint-Jean-Cap-Ferrat

où derrière une crique je garais ma Peugeot

les palmiers tendaient leurs cous de girafe

et tu allais cul nul te baigner dans la mer


Je me souviens de tout


Les essaims de soleil dans le bleu des trompettes d'août


derrière la barricade des genoux

tes cuisses

deux faons sous le coton blanc de la jupe

(venez, petits !)

et que le vent repeigne


et vous ces tétons malicieux

donnant les directions contraires


Je me souviens

Et je coule en cette eau rouillée



***



Nous n'allons pas vivre et tout est foutu.

C'est pourquoi l'après-midi nous allons cueillir des coquelicots sur les pelouses,

nous achetons des plats surgelés

ou nous montons parfois,

quand le Soleil s'épanouit,

sur le toit des autobus et des maisons

pour nous suicider.


Nous n'allons pas vivre,

mais nous avons de beaux souliers que nous savons lacer.

Ils nous font les pieds jolis

quand nous marchons au milieu des vélos

qu'un camion va renverser.


Nous mangeons de gros gâteaux,

mais nous n'allons pas vivre

— il est trop tard, il est tôt.


Les mamans et les oiseaux vont beaucoup pleurer

car nous n'allons pas vivre.

La police vient nous chercher.

Il est trop tôt, il est trop tard.



lundi 7 septembre 2020

Paroles


Mentir est impossible. Les mensonges finissent par devenir vrais, avec le temps.

Il vaut mieux en être conscient : toutes les phrases qu'on a écrites ou prononcées depuis notre naissance finissent un jour par se rejoindre.  Il est inutile d'avoir de la mémoire, c'est la langue qui en a pour nous. 

Au moment où l'on affirme quelque chose, cette chose a déjà cessé d'être vraie, alors imaginez les problèmes de temporalité, avec un autre que soi ! Les rythmes du sens se repoussent les uns les autres, sauf miracle. 

C'est toujours par le langage qu'on est plongé dans l'angoisse et qu'on se retrouve dans une impasse. C'est toujours le langage qui nous sépare de l'autre. 

Beaucoup s'imaginent que ce qu'on dit n'a de conséquence que dans une sorte de vie parallèle qui flotte à côté de notre vie réelle, l'accompagne, sans jamais la rencontrer vraiment. Ils ne voient pas que ces deux vies se croisent sans cesse et s'échangent des morceaux de réalité à l'abri de notre mémoire. Les mensonges de l'une fécondent les vérités de l'autre, les engrossent, et enfantent les monstres que nous prenons pour des fées. 

Les phrases ratées sont des fantômes qui reviennent nous hanter, longtemps après, quand nous croyons les avoir oubliées. La seule manière de s'en défaire est de les parfaire, mais c'est impossible.

Ce n'est pas la bouche, qui parle, c'est le ventre qui est remonté, ce sont vos pieds qui marchent entre vos dents. Quand vous écrivez une phrase, demandez-vous par quel instrument elle est proférée. Un trombone, un piccolo, ou un bandonéon, un violon, un hautbois ou cor ? 

dimanche 6 septembre 2020

En marche arrière


Si les gens sourient, c'est qu'ils n'ont personne à qui adresser ce sourire. S'ils ne jugeaient pas des choses en fonction de celui qui les leur adresse, ou de qui les signe, ils seraient si perdus qu'on les verrait soudain pris d'une mortelle angoisse, comme ces enfants abandonnés qui espèrent leur mère à l'accueil des grands magasins. Il n'y a que très peu de choses indispensables, dans une journée : Dormir, s'alimenter, chier et pisser. Il est possible de faire autre chose en même temps que trois de ces actions ; il n'y a que dormir, qui nous requiert complètement, qui nous oblige à arrêter tout le reste. Pourquoi appelle-t-on "propositions" les parties d'une phrase ? « Souris ! », nous disait-on, quand on se faisait prendre en photo. Sourire, oui, mais à qui ? Ce personnage qui aime être à l'unisson, et donc veut sourire au monde, est en nous ; certains sont en lui. Les réseaux sociaux ont remplacé le sourire que nous donnions à l'objectif par la grimace sociale. Elle se promène dans la rue, et, de temps à autre, soulève son pull pour montrer ses seins (qui sont fort beaux). Elle marche en regardant l'écran de son smartphone. Elle a remplacé le sourire par le dévoilement des seins. Le brillant oiseau voltigeant sur les horreurs d'un gouffre. Cette jeune fille devrait dormir plus. Si j'écris ici, c'est que je peux pas lui écrire. 

vendredi 4 septembre 2020

La Fugitive



Quand elle a disparu, j'ai su tout de suite qu'elle allait me manquer, beaucoup, mais j'ignorais que le manque allait prendre cette forme-là. Que fait-on, généralement, avec une femme ? On baise, on parle, on dort, on mange, on s'ennuie, on s'engueule, on se rate. De tout cela, j'avais plus ou moins l'habitude. Ce n'est pas par là que sa disparition a creusé en moi ce gouffre horrible. Avec elle, c'est la musique qui a disparu. Il suffisait que je mentionne une œuvre, un compositeur, un interprète, et immédiatement se produisait cette chose incroyable : nous entendions la musique ensemble. Si je déposais de la musique sur Facebook, sans même la prévenir, je savais, sans l'ombre d'un doute, qu'elle était en train de l'écouter avec moi — et non seulement qu'elle l'écoutait en même temps que moi, mais qu'elle l'entendait de la même manière. Depuis qu'elle a disparu, je ne peux plus rien écouter. Une simple valse de Chopin m'est devenue intolérable. 

L'autre jour, un peu par hasard (mais il n'y a bien sûr aucun hasard), je suis tombé sur une mélodie de Gounod qui m'a semblé extraordinaire. Je l'ai déposé sur Facebook, sans commentaire, comme je le faisais d'habitude, pour elle. Je savais qu'elle l'écouterait, parce que je l'avais envoyée simultanément par mail et je savais aussi que comme moi elle en serait bouleversée. Je n'avais pas le moindre doute à ce sujet. Je pensais aussi que cette mélodie allait la faire revenir… et cela n'a pas eu lieu. Je n'ai pas réussi à la tirer des enfers, mon Eurydice. Je ne me suis pourtant pas retourné sur moi-même, mais quand je suis arrivé dans les faubourgs de la vie, j'étais seul.

Il existe toutes sortes de manques. Je croyais les connaître tous, ou du moins les plus courants, et j'en découvre un nouveau. Sa cruauté est inouïe, c'est le cas de l'écrire.

***

En rédigeant ces quelques lignes, j'essaie de récouter la troisième ballade de Chopin, qu'elle aime tant. La douleur qui me transperce me fait du bien. 

lundi 24 août 2020

Et l'amour ?


Je viens de comprendre (grâce à une aimable correspondante) que les illusions pouvaient avoir elles-mêmes des illusions. Et ça change tout !

En effet, si les illusions ont des illusions, les illusions que nous avons peuvent être des illusions au carré, des sortes de super-illusions. Mais la question que je me pose est la suivante : est-ce qu'une super-illusion n'est pas en définitive une non-illusion ? Et donc, si une illusion nôtre est elle-même une illusion (ou a l'illusion d'être une illusion), est-ce que cela ne signifie pas qu'en réalité nous n'avons aucune illusion ?

Si nous n'avons aucune illusion, à quoi attribuer ce besoin de penser que nous avons des illusions qui sont susceptibles de cesser d'en être ? Comment une chose qui n'est pas pourrait elle disparaître ?
Pensons à l'amour, par exemple, mais aussi à la mort…

La mort est seulement le contraire de la vie : quand la vie cesse, on parle de la mort, parce que c'est plus pratique, mais on parle d'une chose qui n'existe pas. Quand la vie cesse, rien ne commence, puisque ce qui commence, c'est le rien. C'est la raison pour laquelle la mort ne pourra jamais disparaître, alors que la vie, elle, pourra être anéantie.

Le silence, c'est la même chose. Pour faire disparaître le silence, vous pouvez faire du bruit (son inverse), vous pouvez le masquer, mais vous n'arrêterez pas le silence. Le silence continue, en même temps que le bruit : c'est seulement que vous ne pouvez plus l'entendre à cause du bruit. En revanche, le bruit, lui, vous pouvez l'arrêtez.

Et l'amour, me direz-vous ? Eh bien quoi, l'amour ? Vous pensiez que j'allais vous expliquer l'amour, et sa disparition impossible ? Vous êtes plein d'illusions, à ce que je vois ; ce qui est une excellente chose.

Repassez donc un autre jour, on verra ce qu'on peut faire.


— O —


C'est moi. C'est tout.

Elle ne dit rien.
Elle n'exprime rien.
Elle se tient devant l'Objectif, sans aucune intentiOn, ni tensiOn.
Elle ne pOse pas.
Elle ne se dépOse pas sur vOus qui la regardez. Elle reste en elle.
Elle est là, là Où l'Objectif l'a fixée.
Et cette présence n'implique rien, n'indique rien. Cette présence reste présence, ne sOrt pas d'elle-même, ne s'agrippe pas au regardeur.

Ophélie disparaît dans l'O de son prénOm.

Elle Ouvre la bOuche pour dire "je", mais le rOnd de sa bOuche Ouverte est un gOuffre sans fOnd qui absOrbe le temps et l'espace, et le mOi et le vOus.

Oh, pliée… Ô le temps stupéfié, pétrifié, défié ! Qui va là ?

Qui n'est pas là ?

PersOnne pour le dire.

Seulement une image. 

L'objectif est Objectif. Ophélie aussi. 

On a l'impressiOn d'une nature mOrte. Qui mOntre un visage comme une nature mOrte ?

Ophélie se laisse vOir, mais ne participe pas à l'acte de phOtOgraphie, à sa cérémOnie. Elle n'entretient aucune relatiOn avec celui qui regarde. Elle sait qu'il est là, derrière l'Objectif, c'est tOut. 

Elle est enclOse. Vous la vOyez, mais vOus restez à l'extérieur du cercle

dimanche 23 août 2020

Sans visage


C'est donc maintenant. Le pire n'a pas de visage et ils sont heureux du pire. La guerre, la famine, la peste, les catastrophes avaient un visage, notre époque n'en a plus. C'est arrivé doucement, sans annonce et sans cris. Les médecins ont un temps pris le pouvoir, et puis l'ont laissé à ceux qui en voulaient. Tous ont poussé un soupir de soulagement. Ils ne voulaient pas mourir.

Les visages n'avaient plus aucune utilité, on ne les regardait plus, les gens marchaient la tête baissée, les yeux rivés aux larges trottoirs, personne ne regardait personne, ni les hommes les femmes, ni les femmes les hommes, ni les jeunes les vieux, ni les vieux les jeunes, les yeux ne servaient plus qu'à voir les objets, les oreilles qu'à entendre les consignes, très simples, toujours les mêmes, on avait supprimé tous les obstacles, tous les monuments, statues, édifices qui n'avaient pas une utilité pratique. Il n'y avait plus qu'un seul prénom masculin, et un seul prénom féminin, tout ce qui aurait pu distinguer un individu d'un autre individu avait été soigneusement effacé, ou caché, il n'y avait plus ni étrangers ni différences, à part, très atténuées, celles de l'âge et du sexe, la disparition du visage ayant beaucoup facilité les choses, tout le monde avait la même couleur de peau, et il ne restait qu'une seule langue. Personne ne mourait plus, et l'on s'arrêtait de vieillir aux alentours de la cinquantaine. Bien entendu, il n'y avait plus de naissances, pour maintenir stable la population. Les interactions entre les individus étaient réduites au stricte nécessaire, la sexualité était interdite, la parole de divertissement aussi. Le plus étonnant était qu'il n'y avait aucune puissance gouvernementale et coercitive à l'origine de ces changements, les choses s'étaient faites toutes seules, c'est le peuple lui-même qui avait organisé la vie nouvelle de cette manière, et chacun semblait trouver qu'il n'en existait pas de meilleure.

(…)

samedi 22 août 2020

Voulez-vous désactiver votre compte ?


Je ne suis pas fait pour le bonheur. C'est une évidence. J'avais rencontré une étoile. Elle m'a filé entre les doigts. Je ne sais même pas pourquoi j'insiste, ni pourquoi j'ai cru avoir le droit de la contempler quelques courts instants. La vie et ses plaisirs ne veulent pas de moi. Ils me l'ont signifié tant de fois que je m'étonne d'être encore là, bouche et mains ouvertes, mendiant auquel on se heurte en sortant de la messe. J'aurai tout connu, du côté sombre de l'existence, et très peu de son côté lumineux. Ce qui étonne, quand on me connaît un peu, c'est ma naïveté. Je crois à ce qu'on me dit, comme si une femme avait déjà dit la vérité, une seule fois, depuis que le monde est monde. 

Comme à chaque fois que le destin me maltraite sans raison, je me répète que c’est mieux ainsi, que de cette façon j’évite tous les désagréments et les douleurs qui sont indéfectiblement liés à l’amour. J’arrive même à m’en convaincre, à certaines heures de la journée, car il faut bien rester à sa place, et l’aimer, celle que la Tristesse éternelle a imaginée pour moi dans sa grande mansuétude. 

Ce n’est pas grave, me dis-je. En effet, ce n’est pas grave. Qu’est-ce qui est grave, en somme ? Ce qui aurait été grave est que je ne sache pas jouer de piano, que ma mère et mon père ne m’aiment pas, que la chienne avec laquelle j’ai partagé dix années de ma vie ait été malheureuse avec moi, et que je n’aie jamais entendu l’Art de la Fugue


mercredi 19 août 2020

De la morale et des gros seins en rapport avec la musique

Ici et là, on me demande de justifier ce que j'ai écrit concernant les femmes chefs d'orchestre. Et puis quoi, encore ? C'est bien plutôt ceux qui acceptent cet état de fait sans broncher, à qui l'on devrait demander de se justifier !

Ça me fait penser à un coup de téléphone assez récent que j'ai eu, avec une vieille amie. Sa froideur, et même sa disparition, depuis quelque temps, m'étonnaient un peu, car nous avions été très proches. Mais j'ai bien vite compris. Après quelques amabilités ordinaires, elle m'a demandé des nouvelles de « [m]on ami Renaud Camus ». Et j'ai senti dans sa voix, car elle n'osait pas trop me chatouiller directement là-dessus, un profond reproche moral. Au lieu de l'engueuler vertement, j'ai essayé de me justifier et de justifier les positions de Renaud Camus ! Après avoir raccroché l'appareil, je m'en suis voulu énormément. C'est moi, qui aurais dû logiquement lui faire une leçon de morale, et certainement pas elle. Ce sont ceux qui font semblant de ne pas voir, ou de ne pas comprendre, qui sont coupables d'une faute morale grave. 

Au moins un point positif. Avec les femmes chefs d'orchestre, et à cause de leur poitrine, les ostéopathes gagneront mieux leur vie. En effet, une femme chef d'orchestre est obligée, si elle a de gros seins, d'étendre les bras plus loin de son corps qu'un homme. Non seulement elle sera plus fatiguée à la fin du concert, mais il est probable qu'elle souffrira vite des épaules et du dos. 

Nous nous justifions facilement des fautes que nous n'avons pas commises, mais jamais de celles que nous commettons. Il y a presque toujours maldonne sur la faute. Je me demande si cela n'a pas quelque chose à voir avec la disparition du Péché originel. 

Normalement, le visage du chef n'est visible que des musiciens, car c'est à eux qu'il s'adresse. La caméra qui, désormais, filme systématiquement le chef de face, devait fatalement amener celui-ci à devenir un histrion. Je me demande si les chefs d'orchestre ne vont pas finir, quand il n'y aura plus que des femmes, ou des trans, par diriger face au public, en tournant le dos à l'orchestre. 

Normalement, personne ne nous voit en train de faire l'amour, ou de déféquer. Comme cet état de fait est largement derrière nous, je me demande s'il y aura des histrions de la défécation, comme il existe déjà des stars du X. Il est possible que cela existe déjà et que je ne sois pas au courant. 

mardi 18 août 2020

U/Y


Parlez français !

Ne dites pas "cluster", mais dites clystère !

lundi 17 août 2020

La pataphysique à la portée des mouches à merde (notes)


Le corniste du Royal Concertgebouw Orchestra va aux répétitions en shorts ! En shorts !!!

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Facebook m'interdit de publier et de commenter (et même de "laïker", comme l'écrit Vincent Castagno) pendant une semaine, au motif que j'avais écrit : « Il faut interdire absolument aux femmes de diriger des orchestres. » C'est merveilleux. On n'a plus le droit d'émettre une opinion sur un sujet qu'on connaît un million de fois mieux que les gens qui nous empêchent de l'exprimer. Mahomet a vaincu Voltaire, comme on l'apprend aujourd'hui, et des ignares dopés au silicium, au fin fond de je ne sais où, me tapent sur les doigts parce que je pense que les femmes chefs d'orchestre annoncent inéluctablement la mort prochaine de la musique. Voilà qui donne une idée de la merveilleuse cocotte dans laquelle nous mijotons : une opinion que les censeurs ne sont pas à même, je ne dis même pas de comprendre, mais d'entendre, d'évaluer, de classer, est caviardée parce que, dans leur sale petite langue égalitaire et renfrognée, j'ai "discriminé une minorité", les femmes (les minorités sont toutes sacrées, mais parmi elles, une minorité est plus sacrée que les autres, les femmes ; c'est en quelque sorte la minorité-étalon). Une lumière s'est allumée sur le tableau de bord de la réponse immunitaire du Planétarium équitable et inclusif, et, aussitôt, les gommes numériques se sont mises en action. J'avais pourtant pris soin de mettre la phrase entre guillemets, lui donnant ainsi la valeur d'une opinion parmi d'autres. Mais ils ne connaissent pas les degrés du discours, ni ses subtilités. Seuls les mots comptent, et leur implication idéologique — et même ce mot d'idéologie est encore bien trop vaste. Si la pensée autrefois avait été aussi fruste, pour ne pas dire autre chose, des Mahler et des Strauss n'auraient jamais vu le jour, et Proust aurait écrit sa Recherche en deux cents pages.

D'un côté je m'en fiche complètement, et je trouve ça merveilleux et cocasse, et d'un autre côté, c'est évidemment tragique. Mais je ne suis décidément pas d'humeur tragique, en ce moment. Que le monde sombre dans un cul de basse-fosse me paraît ce soir assez juste et mérité.

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Les cinq sens sont des filtres entre la réalité et nous. Une société absolument totalitaire voudra évidemment les supprimer. Nous serons directement branchés en permanence sur le Réel, sans aucune possibilité d'interprétation ni de recul.

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La manière dont chacun se fraie un chemin dans la jungle de l'information décentralisée et horizontalisée est en train de devenir un des enjeux principaux de nos sociétés.

Finalement, l'intelligence (logique et aptitude à discriminer), bafouée et méprisée, au même titre que la langue, revient d'une manière inattendue et spectaculaire.

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L'idéal du XXIe siècle en train de se faire, c'est un homme tronc, métisse absolu, ni homme ni femme, sans bouche, sans yeux, sans oreilles, sans sexe. On le mettra dans des boîtes à chaussure et on lui fera écouter (directement par le cerveau) les consignes du jour, qu'il ne pourra de toute façon ni contester ni approuver.

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Un monde dans lequel on peut vendre des bananes pelées et des tomates tranchées (sous vide) est un monde qui permet absolument tout, y compris la farce planétaire du coronavirus.

Nous n'aurons bientôt plus besoin de nos mains. Déjà, les yeux et les oreilles avaient cessé de servir, et le sexe a suivi…

Il nous reste encore une bouche, mais déjà on la couvre.

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Les antiracistes sont des criminels. Ils ont attrapé dans leur filets industriels de très nombreux individus qui, non seulement n'étaient pas racistes, mais qui avaient le racisme en horreur, et leur ont inoculé une saloperie de vaccin qui a déclenché l'orage cytokinique qui va les conduire inévitablement à un racisme de troisième niveau.

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L'antiracisme, c'est un vaccin obligatoire qu'on vous fait alors que vous n'aviez aucune chance d'attraper cette maladie, et qui va au contraire vous la coller pour de bon.

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Le tact est pour moi la qualité suprême. Mais le tact n'est pas seulement le tact.

"Tact" est sans aucun doute un des plus beaux mots de la langue, un des plus fins, un des plus riches et un des plus délicats, dans sa brièveté percussive. Il se trouve au point d'intersection du toucher (tâter), du goût (à la fois au sens psychologique et physiologique : taster) et du rythme (takt). Le tact est un mélange subtil de toutes ces qualité, il est une sorte d'intelligence plus subtile et plus immédiate que l'intelligence.

Donc le tact c'est la mesure, la mesure exacte, précise, la justesse, et peut-être aussi la justice.

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— Salut ça va ?

— Pas trop. Avec le masque, je me sens grave défactualisée… 

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— Tu fais la gueule ?

— Comment tu le sais ?

— T'as oublié de mettre ton masque.

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L'éphèbe d'Erevan, comme l'appelle drôlement Bruno Deluce, s'est surpassé. Il n'était pas assez ridicule comme ça, parmi ses bonnes femmes et ses "lives", il a fallu qu'il vienne s'étaler en public comme un goéland mazouté qui viendrait interrompre une représentation d'Aïda à Orange, parce qu'il a cru entendre une note qui lui déplaisait. Ce type est fabuleux. Il me reproche, si sa péroraison en langue insigne est passible de traduction, de vouloir être "original", alors qu'on le voit déployer des efforts absolument gigantesques pour se faire remarquer, à l'aide de mots et de concepts qu'il vient de pécher, un quart d'heure plus tôt , dans son dictionnaire des syntagmes ronflants. Il m'explique par exemple qu'il est atteint (atteint, ça, on avait remarqué) du "syndrome d'incompréhension compensatoire". Ça ne s'invente pas. Comme le dit le même Bruno Deluce, qui est souvent très drôle, on dirait une chanson parodique des Inconnus. Puisque j'en étais à me débarrasser (enfin !) de ce crétin de Marc Alpoppo, le "Philosophe" (qui s'est cru obligé de nous montrer ses diplômes !), j'en ai profité, au passage, pour dire à Michou Pectorian ce que tout le monde pense de lui sans oser lui dire. J'ai toujours trouvé grotesques et insupportables les gens qui pètent plus haut que leur cul. Quand on ne sait pas écrire en français, on écrit des phrases simples ; il n'y a pas de honte à ça, bien au contraire, et c'est même la seule façon d'apprendre à écrire et à penser. Ce n'est pas parce qu'on a un clavier d'ordinateur sous la main qu'on est obligé d'appuyer sur toutes les touches. C'est les singes, qui se comportent ainsi, ou les nouveaux nés. Pectorian, c'est la pataphysique à la portée des mouches à merde. Deluce a décidément un sens de la formule tout à fait réjouissant. À propos du bateleur endimanché, il parle "d'incontinence sémantique". L'image est très juste. Les phrases lui sortent du gosier (ou du clavier) comme un flot incontrôlable, en effet, c'est comme si l'on était témoin d'un affreux carambolage des mots qui semblent vouloir tous arriver à destination en même temps. Ceux-ci sont attrapés au vol, à la radio, ou je ne sais où, ceux-là extirpés de force du dictionnaire, où ils pionçaient paisiblement, et tous sont jetés sur l'écran comme des coquillettes dans la soupe. Ah oui, j'allais oublier : il me compare à Jean Carmet. Ça doit sûrement signifier quelque chose… Mais lui, en revanche, il se compare à… Louis Malle ! Ce type est un génie, c'est indiscutable !

Comme tous les médiocres complexés qui se trainaillent sur Facebook (Alpoppo, Azolay, Duhler et Cie) il croit me blesser en me disant que je suis bien au-dessous de Renaud Camus (ils n'osent pas tout à fait le nommer, car ils savent probablement que celui-ci m'a déjà défendu à plusieurs reprises contre ces andouilles patibulaires et névrosées qui ne cessent de lui lécher les bottes, avant de le vouer aux gémonies, quand ils ne sentent pas assez remerciés de leur servilité graillonneuse et postillonnante) — comme si j'avais la prétention et l'inconscience de me comparer à un Renaud Camus ! Mais, évidemment, comme ils ne savent pas lire, ils mélangent tout et ne feraient pas la différence entre un aphorisme de Cioran, de Camus (l'écrivain), ou de Cristóbal Neverlost.

Les imbéciles ne prennent au sérieux que les sérieux pathologiques, c'est en général à cela qu'on les reconnaît : ceux qui ont pris soin de se coller un tampon "sérieux" sur le front leur en imposent.  D'ailleurs, la récente affaire de la bite (celle de Camus, pas la mienne) l'a amplement démontré.

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Il est toujours extraordinairement difficile de discuter (ou même de s'engueuler) avec un imbécile, on le sait. L'imbécile s'autorise à peu près tout, quand on essaie de rester au plus près de la vérité. L'imbécile vous renvoie la balle dans les genoux, quand vous l'attendiez dans les yeux, et, surtout, il va vous retourner éternellement les compliments que vous lui faites, puisqu'ils n'en a pas en propre à sa disposition. Il va en outre essayer de vous blesser en inventant, alors que la seule manière de faire mal, il n'y en a pas d'autres, est de se contenter de ce qui est, sans en rajouter. L'imbécile n'a pas de règles, ni de références, en dehors des bricolages hallucinés qui n'ont de sens que pour lui, et qu'il est capable de remettre en question dans la minute, s'il pense que vous ne le voyez pas.

Parler, discuter, polémiquer avec un imbécile, c'est un peu comme de dresser un château de cartes sur une piste de danse très fréquentée.

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Ce que je dis des femmes chefs d'orchestre est évidemment à rapprocher de ce que j'ai constaté en regardant les passionnantes masterclasses de direction d'orchestre organisées par et avec le Royal Concertgebouw Orchestra, avec Daniele Gatti et Iván Fischer : la moyenne d'âge très basse des musiciens de l'orchestre et la féminisation outrancière de ses membres. Et tous les musiciens âgés du Concertgebouw, où sont-ils passés ? On les a mis à la porte ? Ils sont morts du Covid ? Qu'on ne me dise pas que cette féminisation et ce favoritisme accordé à la jeunesse ne sont pas une conséquence directe de l'idéologie qui ravage nos sociétés !

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L'explosion qui a eu lieu à Beyrouth, il y a quelques jours, retentit chez nous. Le Liban n'est pas seulement un pays du Moyen-Orient, il est aussi ici, à l'intérieur de nos frontières : il faudrait être fou pour ne pas le voir.

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Tous ces apprentis chefs d'orchestre ont en commun un défaut : ils en font trop. On a l'impression qu'ils ont travaillé leur gestuelle devant un miroir, et qu'ils sont très contents de leurs beaux gestes, et de l'énergie qu'ils dégagent. Les orchestres ne sont pas idiots. Ils ont l'habitude qu'on leur demande beaucoup, et la surenchère ne peut que les conduire à faire moins, surtout quand ils voient que le chef ne sait pas exactement ce qu'il désire entendre, et s'accroche désespérément à deux ou trois traits qu'il croit "personnels". Cette manie, de plus en plus répandue (qui vient de Bernstein ?), de laisser voir sur son visage ce qu'on ressent intérieurement, ou ce qu'exprime la musique, est insupportable.

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Certaines opinions (ou idées) sont tellement "impensables" pour nos pauvres contemporains, qu'ils suffoquent, dès qu'on ose les énoncer.

Il n'y a rien de plus jouissif, je trouve, que dire — en passant — quelque chose qui nous semble une évidence, quand on sait qu'on aura immédiatement tout le monde contre soi. L'exemple des femmes chefs d'orchestre est l'un des meilleurs qu'on puisse imaginer.

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Dans une répétition de la Cinquième de Beethoven qu'il est en train de diriger, Harnoncourt (l'Harnoncourt de la maturité, pas celui des débuts) explique à la flûtiste qu'il ne sait pas si le piccolo utilisé par Beethoven, à l'époque, était de telle sorte ou de telle autre sorte. Il joint le geste à la parole. Celle-ci (elle doit avoir trente ans), immédiatement, lui montre qu'il s'agit bien du piccolo dont elle joue

Extraordinaire arrogance, et combien ridicule, des jeunes gens, qui expliquent aux vieux des choses que ceux-là connaissent depuis trente ans. Je me suis fait expliquer la vie, l'amour, les femmes, la morale, l'autre jour, par une jeune femme de trente ans qui a en ces domaines autant d'expérience que moi dans celui de l'alpinisme.

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En shorts !!!

mercredi 12 août 2020

La Sérénade interrompue


Les hommes donnent leur sperme aux femmes qui donnent leur lait aux hommes qui donnent leur sperme aux femmes qui donnent leur lait…

Un certain temps que ça dure ! Ç'aurait pu continuer encore longtemps. On aurait pu croire le monde éternel, comme Dieu. 

Mais on a tué Dieu — son immortalité l'a protégé de la mort, pas de nous —, et comme Dieu était la garantie-or des mondes, le nôtre est en train de s'arrêter tout doucement aussi. Les hommes donnant leur sperme se sont lassés d'être ces hommes qui donnaient leur sperme aux femmes qui donnaient leur lait aux hommes…

On le sent bien. Les gens sont très différents, depuis quelques mois. Ils ont compris. La fin est proche, une certaine fin, en tout cas, qu'on ne sait pas très bien imaginer, mais qui est inéluctable. Il y a ceux qui choisissent d'avoir peur, de se calfeutrer, de se masquer, de se protéger, de se bourrer d'anxiolytiques, et de se brancher en continu sur la tétée médiatique, et ceux qui choisissent de jouir, en pensant que peut-être cette fois-là est la dernière. Des barrières tombent, des idées viennent, des liens improbables se créent, des désirs forclos ressurgissent…

Les sentiments filiaux des parricides sont paroxystiques, dès que survient l'éclipse verticale. Ceux-là ont décidé de briser le cercle des générations. On ne se protège jamais assez des créatures que nous avons nous-mêmes engendrées. Mais il n'était pas dans la nature des hommes de se méfier de leurs enfants, dont ils pensaient qu'ils étaient là d'abord pour prolonger les temps. 

lundi 10 août 2020

Leur morale n'est pas la nôtre


On a parfaitement le droit de penser et d'écrire qu'Aragon et Hugo sont des cons, naturellement. Ce peut même être l'occasion d'un beau morceau d'écriture. L'ennui, avec ce genre de règlements de compte post-mortem, c'est que tous les cons s'engouffrent comme un seul homme dans la brèche. Et les cons aiment ça, qu'on cherche des poux dans la tête des génies. Ils raffolent de ça. C'est tout de même assez pénible, de penser que des hommes nous sont tellement supérieurs. Il faut bien que l'égalité — l'ultime valeur — passe par là aussi. 

C'est bien un truc de profs, ça, d'aller vérifier que les écrivains sont des gens bien. Il ne faut pas s'étonner que l'école soit en ruine. J'imagine que dans un futur proche, des milices de l'égalité de principe entre les hommes seront chargées d'aller ratiboiser un peu quelques têtes qui dépassent trop, afin de nous confectionner un passé à la mesure de notre merveilleux présent. Ces gens-là n'aiment pas les dénivelés, ils vivent dans de grandes plaines où le même soleil darde la même lumière pour tous, et où il est éternellement midi. 

On connaît la chanson. Rousseau était un salaud, Proust était un peu sadique, Beethoven asocial, Céline antisémite, Mozart scato, Gould détestait les légumes, Albert Cohen était misogyne, Untel était raciste, l'autre pédophile, celui-là homophobe, la liste est longue comme les bras tendus des égalitaires. 

C'est toujours pour de bonnes raisons qu'on se sent pousser ces ailes de vertu qui nous consolent de notre propre médiocrité, et la vertu vengeresse est bien plus contagieuse que le coronavirus.