Ophélie Simonin a déposé sur Facebook les Myrthen Lieder de Schumann (offerts en cadeau de mariage à Clara, si j'ai bien compris). Le premier de ces Lieder est Widmung, Dédicace, sur un texte de Friedrich Rückert*…
Elle ne peut pas savoir à quel point cette musique me troue le cœur. Elle a déposé ça ce matin, dans l'interprétation de Fischer-Dieskau et Jorg Demus. J'ai écouté les Lieder en entier, puis, évidemment, j'en suis vite revenu à Widmung, perdant pied, plongeant dans la douleur à une vitesse monstrueuse. L'explosion de la fin, déchirante, comme un cœur ouvert à vif, et livré à des mains qu'on espère innocentes, m'arrache l'âme, me la fait sortir de la poitrine. Comment suis-je en état de supporter une telle émotion, je m'étonne moi-même ; je n'en aurais pas été capable il y a trente ans, et cette résistance m'inquiète.
Schumann est le musicien dangereux par excellence. On suffoque, devant de telles mélodies qui sont des maladies chantées. Et le plus étrange est que cette musique me bouleverse encore plus dans la transcription qu'en a donnée Liszt. Débarrassée de la vocalité et de ses affects, elle parvient au chant essentiel et impalpable, sublime : c'est à l'intérieur de nous que ça chante.
La musique ne devrait-elle pas consoler ?
(*) Du meine Seele, du mein Herz,
Du meine Wonn' mein Schmerz,
Du meine Welt, in der ich lebe,
Mein Himmel du, darin ich schwebe,
O du mein Grab, in das hinab
Ich ewig meinen Kummer gab!
Du bist die Ruh, du bist der Frieden,
Du bist der Himmel, mir beschieden.
Daß du mich liebst, macht mich mir wert,
Dein Blick hat mich vor mir verklärt,
Du hebst mich liebend über mich,
Mein guter Geist, mein beßres Ich !
Toi mon âme, toi mon coeur,
Toi ma joie de vivre, toi ma peine,
Toi mon monde, dans lequel je vis,
Mon ciel c'est toi, auquel je suis suspendu,
O toi mon tombeau, dans lequel
Je déposerai pour toujours mon chagrin.
Tu es la tranquillité, tu es la paix,
Tu es le ciel qui m'est échu.
Que tu m'aimes, me rend digne,
Ton regard est la lumière de mes yeux,
Ton amour m'élève au-dessus de moi-même,
Mon bon esprit, mon meilleur moi !