Je ne suis pas fait pour le bonheur. C'est une évidence. J'avais rencontré une étoile. Elle m'a filé entre les doigts. Je ne sais même pas pourquoi j'insiste, ni pourquoi j'ai cru avoir le droit de la contempler quelques courts instants. La vie et ses plaisirs ne veulent pas de moi. Ils me l'ont signifié tant de fois que je m'étonne d'être encore là, bouche et mains ouvertes, mendiant auquel on se heurte en sortant de la messe. J'aurai tout connu, du côté sombre de l'existence, et très peu de son côté lumineux. Ce qui étonne, quand on me connaît un peu, c'est ma naïveté. Je crois à ce qu'on me dit, comme si une femme avait déjà dit la vérité, une seule fois, depuis que le monde est monde.
Comme à chaque fois que le destin me maltraite sans raison, je me répète que c’est mieux ainsi, que de cette façon j’évite tous les désagréments et les douleurs qui sont indéfectiblement liés à l’amour. J’arrive même à m’en convaincre, à certaines heures de la journée, car il faut bien rester à sa place, et l’aimer, celle que la Tristesse éternelle a imaginée pour moi dans sa grande mansuétude.
Ce n’est pas grave, me dis-je. En effet, ce n’est pas grave. Qu’est-ce qui est grave, en somme ? Ce qui aurait été grave est que je ne sache pas jouer de piano, que ma mère et mon père ne m’aiment pas, que la chienne avec laquelle j’ai partagé dix années de ma vie ait été malheureuse avec moi, et que je n’aie jamais entendu l’Art de la Fugue.