À droite, en France, aujourd'hui, on fait semblant de ne pas comprendre. Les gens de gauche sont plus sincères : ils savent bien, eux, qu'il est tout à fait normal de désirer éliminer une bonne moitié de la population, si l'on est fidèle à ses propres convictions. Les monstres ne sont pas ceux qui s'en donnent l'allure, mais ceux qui font semblant de ne pas en être.
La situation actuelle nous permet au moins de constater que le régime normal de la politique implique nécessairement la monstruosité. Ce sont les autres temps, qui sont exceptionnels. La radicalité peut être mise sous le boisseau durant un demi-siècle, dans un pays comme la France, guère plus.
Bien sûr, on m'objectera que la situation est exceptionnelle, que Macron, que le Grand Remplacement, que les convulsions de l'empire américain, que l'Europe, que l'hybris technologique, que ceci, que cela… Je n'en crois rien. Ou plutôt si, la situation est bien exceptionnelle, à l'échelle d'une existence, mais cette exceptionnalité ne fait pas exception, dans l'histoire de France. J'ai tout de même un peu de mémoire, et je me rappelle ma jeunesse. Nous n'avions pas peur de penser ainsi. Nous aurions même eu honte de ne pas nous trouver de ce côté-ci de la radicalité. Tout plutôt que d'être des cadavres… C'est drôle, tout de même, comme notre époque est à la fois ultra-violente et timorée ! (Je m'avise que c'est ça, le sympa…) On a peur de penser ce qu'on pense, on tremble de mettre des mots sur les choses, mais en revanche, on en vient très vite au mains (au minimum) : époque de puceaux et de brutes, et ce sont très souvent les mêmes.
Je suis tombé hier sur une phrase de Cioran, dans Histoire et utopie, qui me semble à la fois prémonitoire et intemporelle (et sans doute n'est-elle prémonitoire que parce qu'elle est intemporelle) : « Si par le caprice d'une puissance maléfique nous perdions l'usage de la parole, plus personne ne serait en sécurité. » Je pense que nous en sommes là. Nous avons bel et bien perdu l'usage de la parole et sommes en train de vérifier que le corollaire de cette situation est tragique, c'est-à-dire historique. Dans l'Histoire, personne n'est en sécurité.
Ridiculiser les utopies et ne croire qu'en une démocratie molle, vide et sans saveur devait fatalement provoquer une résurgence de la radicalité dans ce qu'elle a de plus bruyant et désinhibé.