samedi 6 juillet 2024

Insomnie (2)

 

Se lever le matin donne l'illusion que quelque chose commence, ou au moins recommence. Ceux qui la nuit ne dorment pas, ou qui seulement refusent de se lever le matin, sont donc confrontés, qu'ils le veuillent ou non, à la ligne droite du Temps-pour-la-mort. On ne peut pas leur en vouloir d'être sombres ou désespérés. 

Vivre demande une naïveté liée aux cycles. Dès qu'on pense, c'est-à-dire dès qu'on ouvre les yeux, les cycles se dévoilent comme tours de prestidigitation, ou comme l'imposition d'une volonté (“naturelle”) à la réalité. 

Vivre n'est pas différent de mourir, mais on met du temps à le comprendre, et encore plus de temps à l'admettre. Seule la souffrance ou la maladie peut nous contraindre à penser, à nous tirer du sommeil : c'est le « non » brutal que notre corps fait entendre qui nous éveille. 

Le paradoxe est que nous sommes tout autant “la nature” que nous sommes son exact contraire. Nous en faisons partie et nous ne cessons de nous rebeller contre elle, jusqu'à la martyriser, même quand elle se trouve à l'intérieur de nous. 

Les idées se heurtent à la biologie, et même si elles réussissent parfois à nous exalter, elles n'auront jamais le dernier mot. À la fin la vie se débarrasse de nous car nous entravons le processus qu'elle a mis en route en nous. 

Le repos est un repas. La vie se nourrit et se reconstitue, dès lors que nous lâchons les rennes, dès que nous cessons de produire des idées, quand nous arrêtons de vouloir donner un sens à ce qui advient. 

Dans la grande fièvre de l'infini, on entend ce crépitement : La vie se nourrit de notre mort. Vivre, c'est donc vouloir mourir