On se plaint de douleurs de toutes sortes mais on mange de la charcuterie, de la viande et du fromage en abondance. On se plaint de problèmes de circulation et de difficultés respiratoires mais on s'est fait vacciner à répétition contre le Covid, et on mange beaucoup de pâtes, de pizzas et de desserts industriels.
Je comprends parfaitement qu'on ait envie de se régaler de charcuterie et de fromage car j'en suis très friand, mais on ne peut alors se plaindre des conséquences de sa gourmandise. À force de se taper sur le doigt avec un marteau, on finit par avoir un peu mal, tout de même. À force de se bourrer de sucreries et de féculents, on finit par grossir. À force de conduire à contre-sens sur l'autoroute, on finit par avoir des accidents. Ça prend parfois du temps, selon le terrain et la force vitale, mais ça finit toujours par arriver, d'une manière ou d'une autre.
On n'est bien sûr pas un cas isolé, c'est même pour cette raison que j'en parle : son attitude est chez nous considérée comme normale. Toute la médecine occidentale depuis près d'un siècle consiste presque exclusivement à tenter d'empêcher des choses inévitables d'arriver. Quand on tente d'empêcher l'inévitable, non seulement on perd son temps, mais surtout on crée d'autres maux, souvent plus graves que ceux qu'on essaie d'esquiver. La prétendue "recherche contre le cancer", dont les budgets explosent, alors que les résultats sont maigres, pour ne pas dire inexistants, est une illustration caricaturale de l'échec patent de cette médecine-là. (Enfin, quand je dis que les résultats sont maigres, je ne parle évidemment pas des sommes faramineuses engrangées par certains…)
Les gens sont étonnants. Ils font absolument tout ce qu'ils peuvent pour tomber malade, et après ils se demandent avec le plus grand sérieux ce qui a bien pu se passer. Comment pourrait-on les raisonner ? Cela semble impossible. On ne peut rien pour quelqu'un qui se suicide lentement (rares sont ceux qui osent se tirer une balle dans la bouche, mais infiniment nombreux sont ceux qui se tuent à petit feu). Si l'on utilisait le centième de l'énergie qu'on dépense pour "se soigner" à favoriser la santé, ou au moins à ne pas trop l'entraver, les résultats seraient tellement spectaculaires qu'il faudrait un demi-siècle pour qu'on réalise ce qui se passe.
Il est difficile de comprendre cela quand on a vingt ans, ou trente ans, ou même quarante, car le corps semble alors en mesure de résister à tout. Et il ne faut pas non plus sous-estimer la fascination que le suicide lent exerce sur de jeunes âmes qui n'ont avec la mort et la douleur qu'un rapport assez lâche. Il est facile d'être courageux quand on ne sait pas vraiment ce qu'on va perdre. Il est facile d'envisager sereinement la déchéance quand elle paraît se situer dans un avenir dont on n'aperçoit aucune manifestation. L'inconscience est une sucrerie, mais passé un certain âge, elle gâte plus l'intelligence que les dents.
La Covidiase aura été une apocalypse, au sens propre : un grand moment de dévoilement du sens. Tout un pan de la réalité s'est soudain révélé à nous, dans une lumière si crue qu'elle en a aveuglé beaucoup (nous n'avions pas l'habitude de regarder le soleil en face). On n'a pas fini d'ouvrir des yeux comme des soucoupes, à la vue de tout ce qui est en train de remonter des profondeurs. C'est une sarabande énorme, poisseuse et tonitruante qui sort des abysses. C'est le grand avantage des périodes de crise : à côté du désespoir (et peut-être grâce à lui) une lucidité aiguë peut enfin trouver sa place parmi nous. Pourtant, à côté de cette apocalypse, ou en son centre, nous les voyons aller, hagards et tremblants, les yeux grands fermés et le museau filtré en l'air, comme sonnés par la mauvaise rumeur, vérifiant à chaque pas que le collier n'a pas relâché son emprise, que la laisse tient bon, et entonnant en chœur le refrain sacré : « Ô Virus, Ta vertu est grande et ta grandeur est virale, en Toi nous croyons, par Toi nous serons sauvés, quand tu auras éradiqué les méchants et les incroyants, et la mort même qui les prendra. Avec Toi nous chevaucherons la Grande Seringue et par Toi nous seront conduits là où tout est blanc, là où tout est sain, sur les rives apaisées du Pays Stérile. Délivre nous du vif ! Nous sommes tes obéissants soldats et tes hérauts reconnaissants, Ô saint Virus ! Grâces et louanges te soient rendues ! Nous te chanterons pour les siècles des siècles, dans la ferveur et la soumission ! »