Vaginette et Clitorine collectionnent les moules de neige et les pinces-à-fesse en bois. Leur appartement n'est pas chauffé, bien sûr, et c'est la salle de bains qui leur sert de tribunal. Les moules de neige ont parfois des accès de rage qui les conduisent à de sales extrémités, aussi Vaginette et Clitorine sont-elles très précautionneuses quand elles déplacent les objets qui se trouvent dans le couloir qui mène de la salle de bains à la cuisine.
Ce jour-là, Vade Mecum sonnait à la porte. Malgré son masque, ridicule, on le reconnaissait (par l'œilleton) à son éternelle lampe-torche dépassant de la poche droite de sa veste trop grande. Clitorine était d'avis de lui ouvrir la porte en grand, mais Vaginette semblait en désaccord radical avec sa colocataire. Elle exigeait que Vade Mecum commence par ôter son masque. Après, on verrait. Alors Vade Mecum, vexé et lassé, rebuté et désolé, tourna les talons, et même tout le reste de son corps qu'il dirigea vers l'escalier. Clitorine, voyant ça, poussa Vaginette d'un coup d'épaule, et ouvrit la porte de l'appartement. Un souffle d'air chaud s'engouffra dans l'entrée, et Vade Mecum fit demi-tour. Il ne se le fit pas dire deux fois, ni même une seule fois, et pénétra dans l'appartement d'un pas décidé, presque enthousiaste, au minimum enjoué. Vaginette, revenue à elle, lui arracha son masque d'un geste foudroyant. C'était bien Vade Mecum, le Sans-Dent haltérophile, dont la bouche exhala un peu de vapeur d'eau chargée de bactéries, en plus d'une haleine fétide — on ne pouvait plus douter de ce qu'on appelle "la réalité des choses". Ils étaient trois, dorénavant, à l'intérieur, car Clitorine avait déjà refermé la porte.
La valse de l'adieu résonne en sourdine au fond de l'appartement, ce qu'entendant, Vade Mecum se met à pleurer comme un enfant. Pour le consoler, Clitorine lui prend la main et la colle sur ses petits seins durs. Vaginette, elle, est déjà retournée au travail. Les moules de neige n'attendent pas et il sera bientôt l'heure de la visite d'Henri Michaux.
L'austère cataclysme que l'on voit se porter comme une ombre ajoutée à son lent paroxysme prévient de son soupir celle qui va florir. Allongée ici, tue sous la chair de ces phrases et comme on apprivoise un amant inconnu, le soleil est debout sur elle, et sur ce trône, le profane au rire effronté souffle gaiement des bulles rondes qui montent dans l'air rejoindre les mondes au fond de l'éther. Le globe lumineux et frêle prend un grand essor, crève et crache son âme grêle comme un songe d'or. J'entends le crâne à chaque bulle prier et gémir : Ce jeu féroce et ridicule, quand doit-il finir ? Car ce que ta bouche cruelle éparpille en l'air, monstre assassin, c'est ma cervelle, mon sang et ma chair !
Pendant ce temps-là, Vade Mecum inspectait l'appartement de Clitorine et Vaginette en sifflotant (mal, car siffloter sans dents est difficile) un air que personne ne connaissait, même pas lui. Il promenait sa lampe-torche dans les moindres recoins, à la recherche d'une pince-à-fesse égarée. Il arrivait qu'il en trouvât, et c'était à chaque fois un moment de liesse intense, durant lequel il faisait avec sa lampe-torche quelques signaux de morse, ce qui avait le don de mettre Clitorine en transe. Alors, joyeuse et tendre, elle appliquait les grandes mains calleuses de Vade Mecum sur ses petits seins durs en poussant de petits cris aigus. Vaginette, quant à elle, ne se laissait pas distraire par de pareilles fariboles. Tout à son labeur, qui consistait à épousseter les moules de neige avec son plumeau quantique, elle plissait les yeux, de l'air de celle qui ne s'en laisse pas compter et qui sait que le monde dépend de son application.
DRINGG ! DRINGG ! Henri Michaux, ponctuel comme un chef de gare, était à la porte, et il avait pris soin de retirer son masque, en entendant les pas précipités de Clitorine, qu'il n'arrivait jamais à distinguer de ceux de Vaginette, même en collant l'oreille à la porte.
« Nous nous sommes rencontrés dans l'escalier. Ressers-moi un verre, et baisse la musique. Sous leurs airs, donc ils sont partout, forcément, un verre de lait fraise, ils me remontent en rougissant non, non, oh sers-moi un verre. Crimes & désirs. Et les femmes, pareil. J'ai besoin de repos mais l'asphalte me brûle la plante des pieds. Où irais-je, sans vous, quand d'obscures boutiques me refusent une simple halte ? Après le delta, le paysage est plus doux, plus profond. Remonte-moi, remonte-moi, mon élastique pendouille. » (Extraits d'une conversation entre Henri Michaux et Clitorine, retranscrite par Vade Mecum qui avait placé des micros dans le boudoir de Clitorine)
Pendant ce temps, Vaginette ne chômait pas. Elle avait mis Weather Report sur la chaîne Hi-Fi et se donnait à fond. Ses moules de neige brillaient autant que des vérités scientifiques présentées à la télé. L'appartement lui appartenait. Elle se sentait investie d'une mission. Son corps était électrique. Quelle vie de rêve ! Mais rêver, précisément, elle n'en avait pas le temps. Les pinces-à-fesse en bois n'attendaient pas, et encore moins les moules de neige. Savoir cela tenait Vaginette en une euphorie (légèrement teintée d'angoisse, il faut le reconnaître) qui imprimait à son visage la marque…
— On ne sait pas toujours ce qu'on veut dire, vous savez. Terminer une phrase n'est pas toujours signe d'intelligence. C'est mon avis.
— Mais c'est par politesse, que nous terminons nos phrases.
— Politesse mon cul !