— Mais la mort, tu y penses ?
— Bien sûr que j'y pense. Souvent, oui.
— Tu as peur de mourir ?
— Oui, j'ai peur de mourir.
— C'est obligatoire. Tu vas mourir forcément.
— Je le tais… je le sais ! Et toi, tu y penses aussi ?
— Non, pas trop. J'ai le temps.
— Ce n'est pas une question de temps, tu sais.
— Mais si, elle est plus proche pour toi que pour moi.
— Comment le sais-tu ?
— Tu es plus vieux !
— Plus vieux que quoi ?
— Que moi !
— Ça c'est vrai mais on peut mourir à tout âge. Certains ont une longue vie, d'autres une vie courte.
— C'est peut-être pour ça que je suis pressée ?
— Non, ça n'a rien à voir, c'est ton caractère, c'est tout.
— On ne s'ennuie pas, avec toi !
— Oh si, la plupart des gens s'ennuient avec moi.
— Pas moi en tout cas. Tu sais que parfois j'ai des vertiges ?
— Comment ça, des vertiges ?
— Je suis assise à l'école, ou à la maison, et tout d'un coup, vlan, ça tourne ! Et je ne sais plus où je suis.
— Tu as des absences ?
— Comment ça des absences ?
— Tu n'es plus là, tu disparais…
— Ah oui, c'est ça, oui, je ne suis plus là où je suis.
— Où te trouves-tu alors ?
— Je ne sais pas, justement. Ça se peut, d'être nulle part ?
— Oui, ça se peut. Ça arrive.
— L'autre jour c'était au réveil. Tu connais André Malraux ?
— Quel rapport ?
— C'est mon père qui en a parlé à la maison, le matin où j'ai eu mes vertiges. Il en parlait avec ma mère.
— Tu t'intéresses à André Malraux ?
— Non, mais la première chose que j'ai entendue, après que les vertiges se sont arrêtés, c'est mon père qui imitait André Malraux, à la cuisine. Et ma mère riait.
— …
— Quand je suis entrée ils ont vu que j'étais bizarre, alors ils se sont arrêtés net. Et Jean-Paul Sartre, tu le connais ?
— Oui, je le connais aussi.
— Mon père l'imite aussi.
— C'est un marrant, ton père.
— Et tu manges quoi, au petit déjeuner ?
— Je ne mange pas. Je bois du café.
— J'en étais sûre. Comme mon père. Mon père il aime bien me dire des trucs bizarres.
— Bizarre comme quoi ?
— Ce matin, par exemple, il m'a dit : « Je feins d'être chat chez Mallarmé. » Tu comprends ?
— Il t'a dit ça ?
— Oui, il m'a dit ça ce matin, c'est un jeu entre nous.
— C'est un phénomène, ton père ! Et tu comprends ?
— Non. Mais c'est pas important. Ça m'amuse.
— Tu aimerais changer la couleur d'une ville ?
— Oh oui ! Paris jaune ! Lyon vert. Marseille rouge.
— Pourquoi rouge ?
— Rouge comme la mort des chats.
— Encore la mort… Tu vois que tu y penses !
— Je dis ça pour te faire plaisir.
— …
— Tu as l'air d'un vieux chat qui songe à la mort.
(…)