On aime la musique de Bach pour beaucoup de raisons. L'une d'elles, pourtant, et sans doute une des plus effectives, me semble rarement évoquée : la noblesse de sa tristesse. Il existe bien des sortes de tristesses. Celle de Bach n'est jamais geignarde, jamais hypocrite, jamais exaspérée, jamais sentimentale. Elle est digne, décente, apaisée, pourrait-on dire ; il n'y a pas trace d'obscénité en elle. C'est une tristesse qui nous porte à l'introspection et à la solitude, pas aux larmes, ni aux cris. C'est une tristesse qui fait du bien, une tristesse qui apaise et qui réconforte, en nous renvoyant à la part la plus haute de nous-mêmes, celle qui ne transige ni ne pose. La tristesse de la musique de Bach est simplement la tristesse de l'homme, que la joie n'épuise pas, celle qui fût là dès la Chute, celle qui nous retient sous les feuilles d'or de la Forêt éternelle. Cette tristesse, qui est l'une des grandes parts de la musique de Bach, est peut-être ce que je préfère chez lui, car elle crée un désir insatiable de retraite, de silence et d'hiver. Elle contrebalance la science, le secret, la complexité, et la puissance et la grandeur. Elle adoucit la lumière aveuglante qui pourrait sans elle nous abattre, nous rejeter à l'extérieur d'elle, et nous accueille, avec une fidélité intemporelle et une douceur ineffable.