mardi 31 décembre 2019

Notes éparses du 31 décembre 2019



La corrida est insupportable à Homo Festivus, mais la meute lancée aux trousses d'un vieillard pauvre de 83 ans atteint d'un cancer, il like à donf. Faites du mal à un chaton, sur Internet, et vous serez pourchassé par 15000 internautes prêts à vous faire la peau, mais hurlez "à mort !" avec la meute, contre un homme seul jugé médiatiquement, et vous serez sauvé.

Les quelques jours qui viennent de s'écouler auront été extrêmement éprouvants. La bêtise à front de taureau sort de son terrier, dès lors qu'il y a une odeur de sang dans l'air, et c'est le cas avec "l'affaire Matzneff". En France, il en faut peu pour que les milices reprennent du poil de la bête. Nous avons en quelque sorte des "milices dormantes", comme il y a des virus dormants. Au signal, elles se dressent, fraîches comme au premier jour. La Milice aime la purge car elle s'en nourrit. C'est pourquoi elle reprend des couleurs dès qu'une victime expiatoire lui est proposée : le sang afflue à nouveau dans ses membres turgescents.

Chaque époque a ses totems et ses furoncles. Dans les années 80, je me rappelle qu'il suffisait de faire mention du chef des chrétiens pour qu'aussitôt tous les cabris sautillent sur place, pris d'une frénétique danse de Saint-Guy. Aujourd'hui, c'est le mot "pédophilie" qui déclenche des orgasmes mauvais. Peu importe ce qu'on met sous ce vocable, les adorateurs de bûchers symboliques ne sont pas très regardants : ils sont trop pressés pour faire la fine bouche. À cheval donné on ne regarde pas les dents. Se sauver aux yeux du monde est un impératif parégorique. 

Le trauma se porte à la boutonnière. Si vous n'avez pas le vôtre, il existe des souks où l'on en vend, sous le manteau. Bien sûr, ce sont des contrefaçons, mais ça n'a aucune importance. Personne n'ira vérifier. Ne sortez pas sans votre trauma, vous seriez vite repéré par la Milice. À chaque fois qu'on m'explique que tel ou telle a gardé en son esprit les marques laissées par un traumatisme psychique, je bénis le Ciel d'être un traumatisé, moi aussi. Les troubles psychiques… ne sont rien d'autre que la vie normale d'un esprit confronté à un Réel qui ne se laisse pas attendrir par les désirs de ceux qui essaient de le traverser. Un être qui ne serait pas troublé par ce qui lui arrive ne serait pas un être, mais une chose. Un psychisme est par définition quelque chose de trouble et de non-indemne. Un psychisme complètement transparent ou complètement opaque est le contraire d'un psychisme. Nous ne sommes ni des dieux ni des objets. De manière confuse et indescriptible, nous arrêtons un peu de la lumière qui nous traverse et nous en laissons passer une part. 

Mais que veulent-ils, à la fin ? Être gardés dans un cocon stérile, à l'abri des bactéries et des coups, dans un coma tiède ?

Oui, la sexualité est par définition trouble, troublée, troublante, souvent négative, souvent violente, ambiguë, toujours problématique et complexe — ce qui ne l'empêche pas d'être lumineuse et solaire, à l'occasion. Leur consentement est parfaitement ridicule et, paradoxalement, va favoriser les violeurs et les sadiques, qui, eux, se fichent pas mal du plaisir et du bien-être de l'autre. Quant à l'emprise, j'aimerais beaucoup qu'on me présente des couples d'amoureux qui n'ont pas connu cette forme de domination. J'ai entendu des féministes militantes expliquer que quand une femme dit oui, c'est oui, et quand une femme dit non, c'est non. Mais de quelle abstraction sinistre sortent ces gens-là ? Tout le jeu de la séduction, ou presque, se concentre justement dans le merveilleux indécidable qui se situe entre le oui et le non, dans cette zone grise et trouble qui peut basculer du pour au contre en un battement de paupières. Cet instant où l'on ne sait pas si la femme consent, désire, attend, redoute, ou proteste, est le plus précieux de tous. On ne sait pas… S'il faut lui faire signer un certificat de consentement préalable (et aussi un contrat (sur ce qu'on peut faire et ne pas faire) et une assurance (pour les risques éventuels liés aux suites d'un rapport sexuel et amoureux)), avant d'embrasser une femme sur la bouche, l'onanisme et la procréation artificielle ont de beaux jours devant eux. 

Je devais être un féministe en herbe, quand j'avais seize ans, puisque je me rappelle très bien ce moment gênant où une femme m'a dit : « Mais arrête un peu de toujours demander (si tu peux). Vas-y ! » J'étais trop poli, dans mes demandes sexuelles. J'étais trop bien élevé. J'étais trop "respectueux". Quoi qu'on pense de cela, un homme doit "y aller". C'est lui qui pénètre la femme, pas le contraire. Il y a une certaine violence, dans la pénétration, oui, les féministes ont raison de le faire remarquer. Mais elles se trompent en voulant éradiquer toute violence de la sexualité. L'amour ce n'est pas l'amitié ; l'amour, ce n'est pas (seulement) le soin, l'attention, la tendresse, la sympathie ; l'amour, c'est aussi ce besoin (cet élan) d'y être, à l'intérieur de l'autre, d'y creuser des galeries.

Dans toute détermination morale, la question de la posture est première. La morale est d'abord ce qu'on met en œuvre pour peser sur le regard d'autrui. Prendre une posture morale, c'est avant tout se donner une place vis à vis de l'autre, lui signifier quelque chose (soit séparation, soit affiliation). Je ne dis pas que c'est mal, mais on ne peut pas ignorer ce premier mouvement qui est souvent déterminant. 

La petite danseuse de Degas a quatorze ans. Un artiste vient en parler à France-Culture, et je l'entends, à plusieurs reprises, prononcer les mots de « préadolescente », « préadolescence ». Donc, pour le Quidam de 2019, l'adolescence n'a pas encore commencé à quatorze ans ! Savent-ils encore, ces gens-là, que l'adolescence est l'âge auquel apparaît la puberté (en tout cas qu'elle commence à cet âge-là, puisque sa durée dépend plus de critères sociaux et culturels que de critères physiologiques) ? La puberté, elle, est ce moment du développement humain qui voit les organes reproducteurs atteindre leur maturité. Je sais bien que la nature est un concept qui ne nous dit plus grand-chose aujourd'hui, mais tout de même : si l'être humain peut procréer à la puberté, c'est bien qu'il a atteint ce qu'ailleurs on nomme le début de l'âge adulte. Et pourtant, des gens invités à la radio parle d'une jeune fille de quatorze ans comme d'une PRÉ-adolescente… Marie Courtemanche, historienne, me fait remarquer avec raison que l'âge de la puberté a changé. Celle-là intervient plus tôt aujourd'hui. Cependant, je ne crois pas que cet artiste, en l'occurrence, fasse référence à la puberté au XIXe siècle. Quand il parle de "pré-adolescence" (à 14 ans), il pense évidemment aux jeunes filles de notre époque. L'adolescence est déjà une invention éminemment culturelle, et récente, mais si en plus on la fait précéder de la "pré-adolescence"…

D'un côté on crie au diable, quand un homme mûr a des rapports sexuels avec une "préhadeau" (on a vu plus haut ce qu'il en était de cette chose), et de l'autre, on invente l'épilation intégrale, qui fait ressembler la vulve d'une femme de quarante ans à celle d'une enfant… Qu'est-ce qu'une mode dont la principale manifestation est de faire disparaître les signes les plus visibles du passage de la puberté sur le corps de la femme, c'est-à-dire de gommer les transformations qui signalent qu'une fille est devenue une femme ? Je suis très étonné que personne ne s'intéresse sérieusement à cet aspect des choses. 

Lisant des psychothérapeutes qui ne savent pas faire une phrase en bon français (et ils sont majoritaires, au XXIe siècle), on est en droit de s'inquiéter. Quelle compétence réelle peut avoir quelqu'un qui visiblement ne comprend pas comment s'ordonne la langue, qui est au psychisme ce que la main est à l'outil. Par exemple, l'absence de point à la fin des phrases, quand celles-là terminent un paragraphe, me semble particulièrement révélatrice. L'absence totale de virgules à l'intérieur d'une phrase comportant plusieurs subordonnées est aussi quelque chose qui m'effraie.