(…)
Est-ce que c'est le tonnerre ? Oui, c'est le tonnerre. C'est l'orage, et tes dix doigts ne peuvent rien contre l'orage qui tout à coup éclate dans le ciel. Ni ton médius, ni ton index, ni même ton pouce ne peuvent rien contre l'orage qui se déchaîne dans ton cœur. Tu peux faire tourner l'alliance autour de ton annulaire, tu n'empêcheras pas le ciel de gronder et les regrets de te hanter. Tu peux lever la main au-dessus de ta tête, tu peux la tendre vers le Crucifié qui se trouve au-dessus du lit, la paume ouverte, tu n'arrêteras pas les images qui éclatent dans la nuit – la nuit qui est entrée dans la gorge de ceux que tu aimais au-delà de tout comme un pieu sans origine. Tous nous avons agi à tort, tous, nous avons laissé la vie nous prendre à revers, nous faire le coup du lapin, et nous tuer à petit feu. Les orages n'ont rien changé à cette mort inexorable qui s'insinue en nous par tous les orifices, dès que nous commençons à respirer, dès que notre mère nous nourrit. Les mots, cette avalanche de mots, cette lave hurlante de mots, ce vomi vocal formidable qui parfois remonte des profondeurs, les mots sacrés et orduriers eux-mêmes lancés comme des crochets en direction des autres, ne peuvent rien. L'histoire d'une vie – ce vide à la fois bavard et silencieux, tragique et ridicule, ce qui importe et ce qui n'importe pas – va être balayée comme un rien par l'orage qui vient, et personne n'aura la moindre idée de ce cataclysme. Celle-là continuera à dire les stupidités dont elle est coutumière, celle-là à mentir, celui-ci à trembler, celui-ci à hurler, chacun d'eux croyant tenir le fil de son histoire et faire tourner le monde autour de soi. Qui les avertira, qui nous avertira, quand le temps sera échu ? Chacun dit, dès qu'il se regarde, "mon" histoire, "ma" vie, "mon" temps, et ces adjectifs possessifs sont extravagants. Rien n'est à nous mais personne ne nous prévient. Nous traversons la vie en propriétaires. Propriétaires d'une galerie de cadavres, que nous accrochons puis décrochons des murs, au grand amusement des autres, qui pensent qu'ils voient tout, qu'ils comprennent. Ils font semblant de nous suivre à la trace mais ils n'ont aucun odorat et prennent des vessies pour des lanternes. Ils ont leurs propres cadavres, mais ne veulent pas s'en encombrer. « Je savais où tu étais, et c'était l'essentiel. » « Tu es fantastique, ma chérie. » On parle, on se tient la main. On se rassure comme on peut. Puis la nuit dans les draps. Elle parle dans la salle de bains. Son petit doigt est fragile, il se démet tout seul. On entend une sirène de police, au loin. Elle dit : « Je t'aime ; tu le sais. » Elle l'entoure de ses bras et colle son ventre contre son dos. Il sent ses cheveux dans son cou. Elle frotte son pied contre sa cheville, elle le sait, pourtant, que c'est douloureux. Mon histoire est pleine d'idiots et de fous, et je suis leur chef. « Quoi qu'il arrive, notre esprit survivra. » Ah ah ah ! Violons toutes les règles, avant qu'il ne soit trop tard. « Est-ce que je te branle bien ? » Elle boit une coupe de champagne et s'esclaffe devant un aphorisme qui a l'air d'être intelligent. Mais regardez-moi ce visage ! Maintenant que le temps a passé… Regardez comme la moiteur du soir lui remonte entre les jambes, dans ce salon où les conversations et les sourires roulent les uns sur les autres, comme ça lui fait un socle terrible et banal. Une femme parmi d'autres, en somme, qu'on regarde du coin de l'œil, une musique dévaluée, qui s'abîme de ne pas être observée avec l'attention qu'il faudrait, mais tout va si vite, quand la peine n'est pas comprise.
Est-ce que c'est le tonnerre ? Oui, c'est le tonnerre. C'est l'orage, et tes dix doigts ne peuvent rien contre l'orage qui tout à coup éclate dans le ciel. Ni ton médius, ni ton index, ni même ton pouce ne peuvent rien contre l'orage qui se déchaîne dans ton cœur. Tu peux faire tourner l'alliance autour de ton annulaire, tu n'empêcheras pas le ciel de gronder et les regrets de te hanter. Tu peux lever la main au-dessus de ta tête, tu peux la tendre vers le Crucifié qui se trouve au-dessus du lit, la paume ouverte, tu n'arrêteras pas les images qui éclatent dans la nuit – la nuit qui est entrée dans la gorge de ceux que tu aimais au-delà de tout comme un pieu sans origine. Tous nous avons agi à tort, tous, nous avons laissé la vie nous prendre à revers, nous faire le coup du lapin, et nous tuer à petit feu. Les orages n'ont rien changé à cette mort inexorable qui s'insinue en nous par tous les orifices, dès que nous commençons à respirer, dès que notre mère nous nourrit. Les mots, cette avalanche de mots, cette lave hurlante de mots, ce vomi vocal formidable qui parfois remonte des profondeurs, les mots sacrés et orduriers eux-mêmes lancés comme des crochets en direction des autres, ne peuvent rien. L'histoire d'une vie – ce vide à la fois bavard et silencieux, tragique et ridicule, ce qui importe et ce qui n'importe pas – va être balayée comme un rien par l'orage qui vient, et personne n'aura la moindre idée de ce cataclysme. Celle-là continuera à dire les stupidités dont elle est coutumière, celle-là à mentir, celui-ci à trembler, celui-ci à hurler, chacun d'eux croyant tenir le fil de son histoire et faire tourner le monde autour de soi. Qui les avertira, qui nous avertira, quand le temps sera échu ? Chacun dit, dès qu'il se regarde, "mon" histoire, "ma" vie, "mon" temps, et ces adjectifs possessifs sont extravagants. Rien n'est à nous mais personne ne nous prévient. Nous traversons la vie en propriétaires. Propriétaires d'une galerie de cadavres, que nous accrochons puis décrochons des murs, au grand amusement des autres, qui pensent qu'ils voient tout, qu'ils comprennent. Ils font semblant de nous suivre à la trace mais ils n'ont aucun odorat et prennent des vessies pour des lanternes. Ils ont leurs propres cadavres, mais ne veulent pas s'en encombrer. « Je savais où tu étais, et c'était l'essentiel. » « Tu es fantastique, ma chérie. » On parle, on se tient la main. On se rassure comme on peut. Puis la nuit dans les draps. Elle parle dans la salle de bains. Son petit doigt est fragile, il se démet tout seul. On entend une sirène de police, au loin. Elle dit : « Je t'aime ; tu le sais. » Elle l'entoure de ses bras et colle son ventre contre son dos. Il sent ses cheveux dans son cou. Elle frotte son pied contre sa cheville, elle le sait, pourtant, que c'est douloureux. Mon histoire est pleine d'idiots et de fous, et je suis leur chef. « Quoi qu'il arrive, notre esprit survivra. » Ah ah ah ! Violons toutes les règles, avant qu'il ne soit trop tard. « Est-ce que je te branle bien ? » Elle boit une coupe de champagne et s'esclaffe devant un aphorisme qui a l'air d'être intelligent. Mais regardez-moi ce visage ! Maintenant que le temps a passé… Regardez comme la moiteur du soir lui remonte entre les jambes, dans ce salon où les conversations et les sourires roulent les uns sur les autres, comme ça lui fait un socle terrible et banal. Une femme parmi d'autres, en somme, qu'on regarde du coin de l'œil, une musique dévaluée, qui s'abîme de ne pas être observée avec l'attention qu'il faudrait, mais tout va si vite, quand la peine n'est pas comprise.
Il y a trop de bruit. Je la veux dans le silence. Donne-moi ta main. Taisons-nous. Laisse-moi le temps de deviner ce que chacun de tes doigts peut ou ne peut pas. Tu n'auras pas d'autres armes, tu sais. Tu as dix coups à tirer et puis après, advienne que pourra. On invente des histoires et on pense aux filles. Et ce moment arrive toujours : elle fait ce qu'il faut, exactement ce qu'il faut, pour qu'il la haïsse bien profond. Elle s'applique ! Elle tape juste ! Alors on a envie de devenir mauvais, de cracher dans le champagne, de balancer ses petites culottes et ses parfums le plus loin possible. Il y a un chat dans l'appartement. Tout est bien rangé. Ils sont tous partis. Effraction. Il y a de la musique en sourdine, du jazz, un trio avec piano. Je ne comprends pas. Musset me regarde, du canapé où il est installé. Je reconnais son parfum. Je me dirige vers la chambre. Et l'instant d'après je vole en essayant d'éviter les fils électriques. Rentrer à la maison, le chemin me paraît de plus en plus long, je fatigue. Prenons un wagon-lit : on fera l'amour en traversant les Alpes. Ils sont tous les deux en voiture, dans un tunnel, l'éclairage jaune leur donne une allure de Rembrandt tremblotant, elle conduit, il fait chaud. Il fait chaud. La musique a changé, un sextuor à cordes, peut-être la Nuit transfigurée. « Tu as lu ce que j'ai écrit sur toi ? » Elle répond que oui mais je ne la crois pas. Elle en dit le moins possible. Elle est au bord du précipice, comme toujours, mais tranquille, hein, n'allez pas imaginer quelqu'un d'angoissé. J'ai envie de lui coller de la moutarde dans les narines. « Tu as changé ? » À ton avis, me répond-elle. Je n'ai pas d'avis, je ne comprends pas ce que je vois. Dès que mon regard se décolle d'elle, le non-sens de tout cela me saute aux yeux. Au moins ne fait-elle pas de yoga…
Quand elle est arrivée ici, le premier soir, est-ce que j'avais envie de coucher avec elle ? Même pas. J'étais au bord, au bord des choses, et au bord de la chose. Je m'aperçois qu'on n'a jamais parlé de Nabokov. En revanche on a parlé de cryolipolyse et de Goldman Sachs, d'un Grec qui achète des châteaux et des "HP complexes". Il me faudrait une traductrice.
On ne s'en sert guère. Non seulement, l'annulaire n'a pas de force, mais en plus il répugne à travailler seul. Blanche Gardin en parle très bien : à part l'alliance qu'il porte traditionnellement, on ne lui voit guère d'utilité, à ce pauvre quatrième. Ce n'est pas avec lui qu'on branle une femme, ce n'est pas avec lui qu'on se gratte l'oreille, ce n'est pas lui qui désigne un coupable, ce n'est pas grâce à lui qu'on fait le signe de la victoire, c'est une sorte d'index au rabais, sans consistance ni indépendance : à eux deux, ils entourent le médius, autrement remarquable, puisqu'il est le centre de la main, et le doigt le plus long. Le médius donne à la main une colonne vertébrale, une nervure, une perspective… Il justifie l'impair. L'annulaire, en général, ne sert qu'en couple avec le médius, qu'il renforce, qu'il double, qu'il seconde. Ou alors, pour savoir qu'on a un quatrième doigt, et même deux, il faut être pianiste. Et là, c'est douloureusement, qu'on le sait, car il n'a ni la force des trois premiers doigts, ni l'agilité des index et médius, ni l'utilité du cinquième doigt, en ce qui concerne les extensions.
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