Tous les mondes qui ont existé jusqu'à présent ont donné celui dans lequel on vit. Ça ne veut pas dire que le nôtre est supérieur à ceux qui l'ont précédé, mais c'est ainsi, ils ont tous concouru à faire que notre monde soit ce qu'il est.
– Savez-vous qui vous êtes ?
– Je ne comprends pas la question. Mais je voudrais poursuivre. Notre monde a été façonné par des dizaines de milliers, de millions peut-être, d'autres mondes, antérieurement. Et des millions de mondes existent à côté du nôtre, que nous ne voyons pas.
– Est-ce que vous pensez que vous êtes réellement ici, avec nous ?
– Ne m'interrompez pas tout le temps, je vais finir par perdre le fil de mon exposé.
– Mais qui vous a demandé un exposé ?
– Personne. C'est la raison pour laquelle je me sens le devoir de vous faire cet exposé. Si vous me l'aviez demandé, je ne serais pas en train de le faire. Jamais vous ne me demanderez quelque chose d'utile.
– Vous ne voulez donc pas nous faire plaisir ?
– Il n'est question ni de plaisir, ni de demande, ni de réponse à une quelconque injonction, il est seulement question d'établir la vérité, comme toujours.
– Mais ne pensez-vous pas que la vérité est liée au plaisir ? Si vous savez qui vous êtes, si cette connaissance a pour vous la valeur de la vérité, n'en tirez-vous pas un certain plaisir ?
– Que vous me parliez de plaisir démontre que vous ne savez pas ce que c'est. Le plaisir est plus que le plaisir, mais beaucoup moins que ce que vous croyez. Je n'ai plaisir qu'à l'ignorer, le plaisir dont vous parlez, parce qu'il est celui qui empêche la vérité.
– Vous ne nous aimez pas, c'est ça.
– Et pourquoi vous aimerais-je ? Qu'avez-vous fait pour être aimés ? Avez-vous fait le monde ? Êtes-vous à l'origine de la beauté ? Avez-vous composé une œuvre grandiose ? Avez-vous pleuré la mort du Christ ? M'avez-vous protégé quand on m'attaquait ? Avez-vous levé le petit doigt quand on me traînait dans la boue ? Tenez, avez-vous seulement pris la défense de Céline ?
– Céline ? Mais que vient-il faire là, celui-là ? C'est un salaud. Et puis alors le rapprochement… Pardon mais vous avez les chevilles qui enflent.
– Céline est mille fois moins salaud que vous, et c'est d'accepter de discuter avec vous qui fait de moi un saint. Je vous parle des mondes qui sont là, que vous ne voyez pas, et vous venez m'emmerder avec mon identité.
– Parce qu'elle est problématique.
– C'est la vôtre qui est problématique : il suffit que j'arrête de taper sur ce clavier pour que vous n'existiez plus.
– Ah, vous admettez donc être l'auteur…
– Taisez-vous. Vous ne savez pas de quoi vous parlez. Il n'y a pas d'auteur ici. Je ne suis pas un révolutionnaire, ni un acharné dément, ni un artiste, ni un personnage, ni un héros, je ne suis que quelques phrases que personne ne lit. Alors ne me dites surtout pas que je ne sais pas qui je suis. Ce que je suis, je le sais mieux que quiconque, puisque ce que je suis est écrit ici, noir sur blanc. Il n'y a rien au-delà de ces phrases. Sauf la musique, bien sûr. Mais vous ne pouvez pas comprendre.
– Mais bien sûr que si, puisque nous sommes aussi vos phrases.
– Sans doute, mais puisque vous êtes mes phrases, vous êtes les phrases de mes phrases qui n'entendent rien à la musique. C'est comme ça. Ça ne se discute pas. Il y a en moi un moi qui est complètement sourdingue. Quand ils vont descendre de leurs collines pour nous massacrer, il ne sera plus question de musique.
– Quel rapport ???
– Ah, vous ne le voyez pas, le rapport, bien sûr ! Ça ne m'étonne pas. Vous êtes le La-can(al) + de la doxa. Il n'y a pas de rapports, il n'y a de rapports entre rien, il ne faut jamais rien comparer, il ne faut jamais placer des réalités différentes les unes à côté des autres, il ne faut jamais relier les choses entre elles, n'est-ce pas, il ne faut pas essayer de com-prendre, il ne faut pas généraliser, il ne faut pas sortir de soi-même, il ne faut pas… Mais moi j'en vois, des rapports, figurez-vous. Je ne vois même que ça. Ça fornique dans tous les sens, la réalité, et pas seulement dans les chambres, ça fornique à la cuisine, au bureau, dans la rue, dans les nuages, au cinéma, dans les sonates, dans les alpages et dans les romans, chaque atome du Lady Gaga fornique avec les atomes du Gulf Stream, les enzymes du Premier ministre s'enfilent avec les vitamines du chat noir de mon jardin, même les macchabées fricotent avec les fœtus, dans la moléculerie, c'est une partouze généralisée, la réalité, faut savoir. Si vous ne voyez pas le rapport, c'est justement parce que vous n'avez pas conscience des autres mondes. Ça grouille, ça se frotte, ça se retourne, ça fume et ça chuchote en permanence, faut avoir l'oreille, c'est tout. Colmatez-vous les oreilles à la cire, vous commencerez peut-être à entendre.
– Vous êtes vraiment perché sur votre colline !
– Je viens d'une ville entourée de collines. Et puis c'est toujours mieux que d'être sourd. Mais vraiment, vous n'entendez pas le boucan innommable que ça fait ? C'est à ce point-là, que vous êtes crevés ? Allez vous étendre dans le jardin, là, fermez les yeux, respirez à fond, et écoutez… Tiens, on a une nouvelle boulangerie, chez nous. La boulangère, on devrait lui faire écouter les lieder de Schumann, vous savez, l'Amour et la vie d'une femme. Ce que j'aime, c'est que la boulangerie en question ouvre à cinq heures et demie du matin. Parfois, comme ça, on a des bouffées de l'ancien monde qui reviennent, il faut écouter ça aussi. Vous connaissez la Septième de Mahler ?
– …
— Ah oui, pardon… j'avais oublié que je vous avais supprimés.
– Parce qu'elle est problématique.
– C'est la vôtre qui est problématique : il suffit que j'arrête de taper sur ce clavier pour que vous n'existiez plus.
– Ah, vous admettez donc être l'auteur…
– Taisez-vous. Vous ne savez pas de quoi vous parlez. Il n'y a pas d'auteur ici. Je ne suis pas un révolutionnaire, ni un acharné dément, ni un artiste, ni un personnage, ni un héros, je ne suis que quelques phrases que personne ne lit. Alors ne me dites surtout pas que je ne sais pas qui je suis. Ce que je suis, je le sais mieux que quiconque, puisque ce que je suis est écrit ici, noir sur blanc. Il n'y a rien au-delà de ces phrases. Sauf la musique, bien sûr. Mais vous ne pouvez pas comprendre.
– Mais bien sûr que si, puisque nous sommes aussi vos phrases.
– Sans doute, mais puisque vous êtes mes phrases, vous êtes les phrases de mes phrases qui n'entendent rien à la musique. C'est comme ça. Ça ne se discute pas. Il y a en moi un moi qui est complètement sourdingue. Quand ils vont descendre de leurs collines pour nous massacrer, il ne sera plus question de musique.
– Quel rapport ???
– Ah, vous ne le voyez pas, le rapport, bien sûr ! Ça ne m'étonne pas. Vous êtes le La-can(al) + de la doxa. Il n'y a pas de rapports, il n'y a de rapports entre rien, il ne faut jamais rien comparer, il ne faut jamais placer des réalités différentes les unes à côté des autres, il ne faut jamais relier les choses entre elles, n'est-ce pas, il ne faut pas essayer de com-prendre, il ne faut pas généraliser, il ne faut pas sortir de soi-même, il ne faut pas… Mais moi j'en vois, des rapports, figurez-vous. Je ne vois même que ça. Ça fornique dans tous les sens, la réalité, et pas seulement dans les chambres, ça fornique à la cuisine, au bureau, dans la rue, dans les nuages, au cinéma, dans les sonates, dans les alpages et dans les romans, chaque atome du Lady Gaga fornique avec les atomes du Gulf Stream, les enzymes du Premier ministre s'enfilent avec les vitamines du chat noir de mon jardin, même les macchabées fricotent avec les fœtus, dans la moléculerie, c'est une partouze généralisée, la réalité, faut savoir. Si vous ne voyez pas le rapport, c'est justement parce que vous n'avez pas conscience des autres mondes. Ça grouille, ça se frotte, ça se retourne, ça fume et ça chuchote en permanence, faut avoir l'oreille, c'est tout. Colmatez-vous les oreilles à la cire, vous commencerez peut-être à entendre.
– Vous êtes vraiment perché sur votre colline !
– Je viens d'une ville entourée de collines. Et puis c'est toujours mieux que d'être sourd. Mais vraiment, vous n'entendez pas le boucan innommable que ça fait ? C'est à ce point-là, que vous êtes crevés ? Allez vous étendre dans le jardin, là, fermez les yeux, respirez à fond, et écoutez… Tiens, on a une nouvelle boulangerie, chez nous. La boulangère, on devrait lui faire écouter les lieder de Schumann, vous savez, l'Amour et la vie d'une femme. Ce que j'aime, c'est que la boulangerie en question ouvre à cinq heures et demie du matin. Parfois, comme ça, on a des bouffées de l'ancien monde qui reviennent, il faut écouter ça aussi. Vous connaissez la Septième de Mahler ?
– …
— Ah oui, pardon… j'avais oublié que je vous avais supprimés.