dimanche 31 décembre 2017

Bonheur



Il existe plusieurs sortes de bonheurs qui sont très loin de se valoir. On reconnaît le médiocre à ce qu'il se satisfait d'un médiocre bonheur et le bonheur médiocre à ce qu'il choisit un médiocre pour y reposer — à l'abri de lui-même.

Le médiocre est heureux de son bonheur car son bonheur est un tout qu'il épouse complètement, auquel il se confond. Il n'en sort pas, il ne va jamais voir de l'extérieur à quoi il ressemble, ce bonheur, il lui semble qu'il est incomparable, et il l'est, bien sûr, c'est même ce qui le rend médiocre. 

Le médiocre heureux vous dit toujours que vous ne pouvez pas savoir comme il est bon d'être heureux — heureux à sa manière bien sûr — car le savoir vous rendrait heureux comme lui (ce qui est sans doute et heureusement impossible), et il aurait reconnu en vous un frère. Le médiocre heureux aime se reconnaître en l'autre. Il aime que l'autre soit comme lui en tout, qu'il aime la même musique, les mêmes divertissements, les mêmes villas, il aime être à l'étranger comme chez lui, son bonheur est de se croiser lui-même à chaque instant et en chaque figure du monde. En cela, on peut dire que le médiocre heureux vit entouré de ses semblables, y compris quand ceux-là sont malheureux. Même ses souvenirs, il vous les prête, car il pense que vous ne pouvez pas en avoir d'autres. Même sa solitude éventuelle n'existe pas. 

La vérité du bonheur médiocre — ou du médiocre heureux, puisqu'il semble que les deux choses se recoupent presque parfaitement — se tient tout entière dans le signe égal. L'égalité est son nirvana, le même son idéal, et son imagination n'atteint son apogée que lorsqu'elle disparaît sous les coups de boutoir de son contraire et se met à ressembler à ce qu'il faut bien appeler une infirmité de l'esprit. 



J'allais écrire qu'un des bonheurs les plus bas est celui qui s'appuie sur le mensonge et l'ignorance, mais je me ravise. Nommer mensonge l'infirmité dont on parle plus haut me paraît lui faire beaucoup d'honneur. Ignorance, en revanche, paraît convenir, car ne pas savoir, ne pas voir, ne pas entendre, et, conséquemment, ne pas dire, est l'un des plus grands plaisirs de l'heureux médiocre. Tout se passe comme si son bonheur ne tenait qu'au fil qui lui sert à séparer la vie d'elle-même, à n'en laisser qu'une pantelante défroque, sans corps et sans âme, aussi impeccable qu'une motte de beurre. Dans le fond il est si ignorant de ce bonheur qu'il met en vitrine comme une péripatéticienne hollandaise qu'on a envie de le consoler d'être si heureux. 

jeudi 28 décembre 2017

La Boîte



C'est une boîte en bois de trente centimètres de long sur vingt centimètres de large environ, qui doit mesurer une quinzaine de centimètres de hauteur. Sur son dessus, un interrupteur métallique. Actionner cet interrupteur en le poussant vers le centre de la boîte a pour conséquence que le couvercle de la boîte se soulève, juste assez pour qu'un doigt en sorte et actionne l'interrupteur en sens inverse, ce qui referme la boîte. Quand le couvercle se soulève, l'intérieur de la boîte s'éclaire d'une lumière verte. Quand le couvercle se referme, la lumière passe au rouge. 

Ça ne sert rigoureusement à rien. 

Je connais une femme, comme ça. Elle est exactement comme cette boîte. Elle fait en sorte que l'envie d'actionner l'interrupteur soit irrésistible, mais actionner cet interrupteur provoque immédiatement et immanquablement la même réponse : elle sort un doigt de sa boîte et la referme. Rouge, vert, rouge, vert, rouge, vert. C'est la seule alternative. 



dimanche 24 décembre 2017

L'Impasse



Le matin de Noël, il était arrivé à la fin du chapitre vingt-cinq. Il se leva et prépara son petit déjeuner. Des œufs au jambon, un jus de pamplemousse, un morceau de fromage et des tartines au miel. Une fois son déjeuner terminé, il se mit au soleil, dans la véranda, bien installé dans le grand fauteuil de cuir jaune. Il resta un moment à regarder la mer en écoutant les Fantasiestücke de Schumann. La chienne ne bougeait pas. Il reprit son livre mais, au moment d'attaquer le chapitre vingt-six, il eut un doute sur ce qu'il avait lu quelques heures auparavant, et décida de reprendre un peu avant la fin du chapitre.  

À peine était-il plongé dans sa lecture que quelque chose la chiffonna. Il devait reprendre légèrement plus haut encore, afin de comprendre ce qu'il était en train de lire. Il jeta un regard sur la chienne, prit une grande inspiration, et se mit en devoir de se concentrer. Cette fois-ci il reprit au premier tiers du chapitre vingt-cinq car il avait la sensation que c'était à ce moment-là qu'il avait raté quelque chose. On entendait Warum ("langsam und zart") et la chienne qui, en train de rêver, sans doute, poussait de petits jappements étouffés. Il alla péniblement jusqu'à la fin du chapitre, mais il était mal à l'aise. Il posa le livre et regarda à nouveau la mer, tentant de rassembler ses esprits. 

Il resta un moment perdu dans ses pensées. Il était déjà onze heures, la pendule venait de sonner. Le livre était sur ses genoux et il passait machinalement ses doigts sur la couverture. Il le feuilleta, sans intention particulière, alla à la table des matières, mais sans lire un seul mot, puis porta le volume à son nez, pour en sentir l'odeur. Il se dit alors qu'il avait des choses urgentes à faire. Derrière les vitres de la véranda, la mer était désespérément vide, grise et muette. Sans savoir pourquoi il pensa à cette femme, si morne, si triste…

Alors il reprit sa lecture, mais cette fois-ci il recommença le chapitre vingt-cinq à son début, pour être bien certain de ne pas laisser quelque chose de côté. Il lui fallait absolument comprendre. Il était allé débrancher son téléphone pour être sûr de ne pas être interrompu. Rien ne devait rester dans l'ombre, s'il voulait pouvoir continuer ce roman passionnant. Il savait — et il le savait avec une certitude absolue — que quelque chose, là, devait être lu, devait être compris, devait être élucidé, s'il voulait pouvoir avancer dans l'histoire. Il lut lentement, avec une application exagérée et, dès qu'il eut lu le dernier mot du chapitre vingt-cinq, tourna la page rapidement et entama le chapitre vingt-six. 

Il n'avait pas terminé la cinquième phrase qu'il s'arrêta. Il lui fallait admettre l'évidence : il ne comprenait pas ce qu'il lisait ! Quelque chose empêchait les phrases d'arriver intactes jusqu'à son esprit, ou plutôt, elles lui parvenaient tellement intactes qu'elles n'avaient de rapport qu'avec elles-mêmes ; c'était des phrases pures, absolues. Ce qu'il lisait lui donnait l'impression d'être barré, de flotter dans un éther. Il reconnaissait les propositions, les mots, les lettres, mais ça ne lui apprenait rien, ni sur l'histoire qu'il était en train de lire, ni sur lui, ni sur le monde, et ces phrases semblaient ne pas appartenir au livre qu'il tenait entre les mains, elles paraissaient avoir été placées là uniquement dans le but de lui nuire, ou de le divertir de sa lecture.

Il lui sembla évident que la raison en incombait à ce vingt-cinquième chapitre, qu'il avait sans doute mal lu, malgré ses efforts, qu'il n'avait pas suffisamment compris, et qui se vengeait en lui interdisant de poursuivre sa lecture. Il lui vint une autre idée, qui était que, peut-être, l'auteur avait volontairement placé là comme une faille de sens, un trou noir littéraire, quelque chose comme une anacoluthe géante, une cabale, une aporie de lecture. Et si après tout ce chapitre vingt-cinq était la vraie fin du livre ? D'accord, mais alors que faire du reste, des cinquante derniers chapitres ? Aurait-il fallu les lire avant ? L'auteur aurait quand-même dû nous prévenir ! Il lui semblait assez peu probable en tout cas qu'un écrivain passe du temps, beaucoup de temps, à écrire une cinquantaine de chapitres destinés à ne pas être lus, qu'il conçoive un livre dont les deux tiers seraient inutiles, ou peut-être pas inutiles, mais en tout cas destinés à rester lettre morte. Pourquoi ne pas tout simplement arrêter son livre au chapitre vingt-cinq ? Une raison éditoriale ? Un pari ? Un coup de génie littéraire ? Non, ça ne tenait pas debout. La faute ne pouvait en incomber qu'à lui, au lecteur qui ne savait pas lire ce vingt-cinquième chapitre, et dont il avait bien senti à sa lecture que quelque chose obscurément se refusait à lui. 

Il fallait trouver une issue. Il décida de faire une pause et de consulter Internet, à la recherche de locations à Phuket, en Thaïlande. Il avait besoin de soleil, de soleil et de repos. Oui, c'est ça. Un peu de repos, de détente, de joie-de-vivre, et ce chapitre vingt-cinq ne serait plus qu'un mauvais souvenir. Aucun livre ne résiste à un lit de soleil, à l'air marin et à une boisson fraîche, à 31°, au pays du Sourire. Lucien et Marinette lui avaient souvent dit qu'il ferait bien de venir les rejoindre dans ce qui est pour eux le paradis sur terre. Quinze jours au paradis ne pourraient que lui faire du bien. Il passa une heure à éplucher les propositions de vacances — il avait posé le livre sur la table basse du salon —, puis il alla faire caca et prendre sa douche. 

Que signifie bien lire, se demanda-t-il, en sortant de la salle de bains, après s'être lavé les dents. Il savait bien qu'il ne partirait pas à Phuket avant d'avoir achevé le livre. Il lui semblait de toute façon impossible de rester sur cet échec humiliant. Il rouvrit Marelle, de Cortazar, pour voir si une idée ne lui viendrait pas, mais il se sentit comme un nageur sans eau. Il fit quelques notes dans sa trompette, alluma la télé, puis alla courir sur la plage avec la chienne. En courant, il pensait à Isabelle, à Christine, à Sarah, à Céline, à Anne, à Raphaële, à Catherine, à Véronique, à Ettie, à Sophie, à Elisabeth, à Sylvie, à Pauline, à France, à Maya, à Malika, à Barbara, à Brigitte, à Pascale, à Valérie, à Lakshmi, à Juliette, à Mathilde, à Edwige, et toutes ces femmes qui lui revenaient en effluves, en feuilletés, en surimpressions, le désespérèrent sans qu'il sût pourquoi. Essoufflé, en nage, il s'assit sur le sable et se mit à pleurer à chaudes larmes. La chienne vint lui lécher le visage et ses pleurs redoublèrent. 

De retour à la maison, il entra dans une fureur folle. Il avait envie de tout casser, de brûler tous ses livres. Il eut l'idée de taper "chapitre vingt-cinq" sur Google, pour voir si par hasard ce problème était connu, si d'autres avant lui avaient buté sur ce même chapitre, mais sa recherche ne donna rien. Il but deux verres d'alcool de poire coup sur coup, et s'affala dans le canapé. Après être resté prostré durant une bonne heure, le souffle rauque, le regard vague, il finit par s'endormir. Dans son rêve, il était sujet à une panne sexuelle, face à la femme aimée, et celle-là riait à gorge déployée, mais l'étrange est que son sexe était énorme, et c'est cela qui  provoquait le rire de la femme, qui avait l'air d'une poupée fatale et qui n'avait pas de bras.

C'est la chienne qui le réveilla en lui léchant les mains. La nuit tombait déjà. Il avait faim, et la chienne aussi. Tous les deux, ils se sustentèrent, côte à côte, à la cuisine. Le livre n'avait pas bougé, il était toujours sur la table basse du salon. Le téléphone sonna, mais il ne répondit pas. Il entendit ensuite que quelqu'un lui envoyait un mail. Il n'alla pas non plus le lire. 

Pris d'un léger vertige et le cœur battant, il retourna au salon, attrapa le livre sans le regarder, et alla s'installer dans la véranda. Il régla la lumière de telle manière à ce qu'il n'eut aucune difficulté de lecture. Le vent se levait. Il rouvrit le volume, alla au chapitre vingt-cinq, attendit quelques instants, puis se mit à lire, avec une ardeur soutenue. Parvenu au terme du chapitre, il comprit enfin ce qui n'allait pas. C'était pourtant simple ! Il n'avait pas compris le chapitre vingt-quatre.

samedi 23 décembre 2017

Au labo



« Oui, une vague de douleur s’éleva, déferla, se maintint… puis retomba, et l’on commença à regagner sa table, et – furtivement d’abord, puis ouvertement – on but un petit coup de vodka et on mangea un morceau. Allait-on, en effet, laisser perdre des croquettes de foie de volailles ? En quoi pouvons-nous aider Mikhaïl Alexandrovitch ? En restant affamés ? Car enfin, nous, nous sommes vivants ! » 

Robert Wilhelm Bunsen, contemporain de Robert Schumann, est un chimiste né le 30 mars 1811 à Göttingen en Allemagne, qui découvre l'oxyde de fer hydraté, antidote encore utilisé contre l'empoisonnement à l'arsenic. Il a contribué à identifier le césium et le rubidium. La poudre de lycopode est très inflammable, et produit une sorte d'explosion, quand on y met le feu. Est-ce la raison pour laquelle on l'appelle le souffre végétal ? Dans le laboratoire, je tordais les tubes de verre sur les becs Bunsen, pour en faire des sculptures. Il y avait deux alambics, un ancien et un moderne. 

Juste après les Quatre-Chemins… La 504 était bien amochée, et l'autre voiture, je crois que c'était une dauphine. Ils étaient tous morts, là-dedans, toute une famille. Sur cette même portion de route, quelques semaines plus tôt, j'avais été pris en stop par un jeune type qui conduisait une Alpine, en revenant de mon BEPC. Il roulait très vite — je me souviens que dans la descente, on était à 160 km/h — et il avait visiblement du mal à maitriser son petit bolide bleu. Le type n'en menait pas large, et moi non plus.

Sans Noël, beaucoup ne connaîtraient pas le vrai désespoir. Maman aimait énormément les fougères. J'aime beaucoup le mot "alcaloïde". Car enfin, nous sommes vivants ! Je suis vivant, encore. Encore un peu.

Il faisait beau, ce jour de juin, nous étions dans le jardin, et Dominique est venu nous chercher. Nous nous sommes précipités sur le lieu de l'accident, il n'arrêtait pas de dire : « Papa saigne, c'est donc qu'il est vivant. »

La douleur me réveille. Et aussitôt elle m'isole. C'est elle qui m'éveille, à deux heures du matin. C'est extrêmement précis, un point à gauche, dans le bas-ventre, je peux mettre le doigt dessus, c'est rare une douleur aussi localisée, elle n'est pas plus grosse que la surface de mon pouce. Elle vient, dure trois ou quatre ou cinq secondes, c'est fulgurant, à crier, puis disparaît pendant trente secondes, ou vingt-cinq, et revient, exactement semblable. Dans mon ventre le verre se tord. Ça dure un quart d'heure, puis ça disparaît. J'attends car je pense que ça va revenir, mais ça ne revient pas. Le bec me mord. Je vois la pie dans le jardin, qui prend un morceau de jambon, puis un deuxième, puis un troisième, et s'envole. La poudre s'enflamme, avec un petit bruit, un "pop", et quelques étincelles. J'aurais aimé savoir : ça fait mal, de mourir ? Oui, sûrement. Ces coups qu'on reçoit dans le visage, dont on sent bien qu'ils abîment quelque chose en nous, tout au fond, qui créent une onde de choc. Ça craque. Trauma. Traum. Je clique sur la vocalisation et j'entends : « Traum », puis je clique sur la traduction, et j'entends : « rêve ». Et si je me levais pour aller manger ? Pendant que je suis encore vivant. Qu'y a-t-il au-delà de la douleur ?

Tu peux bien aller au bout du monde, tu peux bien te tapir sous tes couvertures, te faire aussi petite que tu peux, tu peux bien te laisser fondre au soleil sur la plage, tu peux bien te confier à ta coiffeuse ou à ta manucure, tu seras toujours avec cet encombrant toi-même que tu ne veux pas reconnaître, avec ce corps, cette voix et cette langue qui eux n'ignorent rien de toi et qui sont extrêmement bavards. Ce qui s'écoule de toi, c'est la vie qui fuit. Le temps, qui est la vraie révélation (la musique sert à se mettre sous la seule lumière qui nous accorde au temps), efface à la fois la peine et le mensonge. Personne ne peut tromper durablement son monde. Cette vie qui fuit te revient en miroir comme un reproche sensible qui sera de plus en plus acide et corrosif, au fur et à mesure que les voiles dont tu recouvres ton âme se donneront pour ce qu'ils sont et perdront leurs pouvoirs.

« Elle se tut alors et parut concentrée dans une de ces jouissances infinies qui récompensent ces pauvres créatures de tous leurs chagrins passés, de leurs malheurs, et qui développent dans leur âme une poésie inconnue aux autres femmes à qui ces violents contrastes manquent, heureusement. » 

Ce n'est pas parce qu'il est mort qu'on doit se laisser mourir ! Quand elle crie, au moment de la jouissance, son cri est tellement puissant que j'ai les tympans qui sifflent. Elle crie parce qu'elle s'appelle. Se cherche. Veut vérifier qu'elle est là. 

Quand une douleur intense, brutale, inconnue, nous réveille en pleine nuit, sans s'être annoncée, elle nous isole d'une manière terrifiante. La vie s'enfuit, d'un seul coup, ça tombe, et en même temps cette douleur nous rend si vivants, si cruellement et si bêtement vivants, vivants comme des bêtes dont la cruauté consiste à vouloir continuer à vivre, à tout prix, à tout prix c'est-à-dire que vivre ça signifie prendre la vie des autres, passer par-dessus leur vie, sans vergogne. Il y a toujours cette pointe, cette flamme qui sort du bec : on est unique au monde et pour préserver cette unicité-là on passe par-dessus tout, même la mort des autres. Croquettes de volaille et vodka pour tous ! Les autres, c'est du verre qu'on tord sur la flamme. La cruauté mon petit c'est la vie. « Pop ! » Quelques étincelles, un feu de joie, et c'est déjà fini. Reste la poésie, mais ce reste est en-deça du pire. 

Bunsen, ça me fait bien sûr penser aux Davidsbündlertänze, de Schumann. Schumann, c'est la douleur, et c'est le père, et c'est le risque de la folie. C'est le Rhin, la nuit, la tentation de se jeter à l'eau. Une vague de douleur s'éleva, sortit de son lit, et nous emporta dans la nuit. Dans ces moments-là, il y a ceux qui sont emportés, et ceux, les spectateurs, qui sont au spectacle et qui vont ensuite souper, tranquillement, parce qu'il faut bien continuer à vivre malgré tout. Il y a ceux qui boivent la tasse jusqu'à la suffocation et ceux qui balancent les comprimés sous le lit en mettant la Nuit transfigurée sur le tourne-disque. Les spectateurs et les acteurs, rien entre.

Mais qu'est-ce qu'elle comprend à la poésie ? On devrait toujours demander à une femme qu'on veut aimer si elle est capable de diriger du Schumann, là, tout de suite, avec sa main droite (le "nicht schnell", la septième pièce). Et puis, tu as mal ? Où ça ? Montre-moi. La plainte. Il faut que la plainte soit séduisante. Montre-moi. Il y a des compositeurs qui sont incontournables. Tu n'aimes pas Schumann, tu n'aimes pas les sonates pour violon et piano de Mozart ? Au-revoir. On le sait, pourtant ! Elles nous poussent dans le Rhin, ces salopes, elles ne veulent pas se mouiller.

Pousse-toi, laisse-moi vivre, à ta place !

jeudi 21 décembre 2017

Facebook


Facebook est un instrument que j'adore. Plus je le connais plus je l'aime. Il permet de voir, très rapidement — d'un seul coup d'œil et transversalement, pourrait-on dire — la bêtise dans ce qu'elle a de plus banal, de plus ordinaire. Celle-là, par exemple, qui ne cesse de se contredire d'un commentaire à l'autre sans jamais s'en rendre compte. Celui-ci qui ne comprend pas ce qu'il écrit lui-même (ou devrait-on dire qui ne comprend pas lui-même ce qu'il écrit ?). Cette autre encore qui étale en couches épaisses son contentement de vieille petite fille gâtée qui pense abuser le monde. Les experts (politiques, artistiques, météorologues), les philosophes, et bien sûr les sages… 

Tout le monde se plaint de Facebook. Moi je m'en régale. Nulle part ailleurs je n'aurais accès à la société dans son ensemble, à toutes les classes sociales, à tous les genres, à tous les âges, à tous les types humains, à toutes les fantaisies et à toutes les pathologies mentales. Pour quelqu'un comme moi qui ne met jamais le nez dehors, c'est irremplaçable. Les premiers-degrés, les seconds-degrés, les troisièmes-degrés, les spiraleux du sous-texte, les citationneurs compulsifs, les "Pauvre-France", les perroquets éventrés, les ventriloques aphasiques, les aboyeurs à cholestérol, les filandreux, les pies-voleuses, les mussoliniens sans guillemets, les guévaristes à tampons, les extatiques à séquence, les esseulées du clitoris, les hystériques à turbo, les salonardes bio, les moralistes des cavernes, les étriqués du béret, les sociologues fidjiens, les "la terre-est-ronde-et-je-vous-le-prouve", les artistes en surcharge pondérale, les mamans restées fifilles, les fifilles puputes, les strip-teaseuses au rabais, les alanguies coriaces qui se mettent en vitrine, les raidis du poireau, les alarmes-à-l'œil, les très-ralentis, les patriotes numériques, les revenues-de-la-messe, les incontinents du ressenti, les déchiffreurs du grand-livre, les notoirement notoires, les mémoriels immatures, les jaloux éternuants, tout ce peuple fantomatique et trop réel qui vient froufrouter en concertos ou en chambre des ventes privées me fascine et m'instruit. Tout est écrit, inscrit, il suffit de lire, il suffit de regarder, il suffit d'écouter. 

Le XIXe siècle avait les Galeries de bois, nous avons Facebook. 

Quelle marée ! Quelle vitrine ! Je suis le professeur faisant sa visite au CHU, avec les externes sur ses basques. Personne ne moufte. Le professeur a de la température. Il s'ennuie mais il a remarqué dans la petite troupe une jeune femme dont les avantages se sont imprimés dans son dos, par deux fois qu'il se reculait d'un malade, horrifié de s'y reconnaître. Il a senti deux éponges tièdes lui chauffer les omoplates. Cette frénésie silencieuse et molle perturbe légèrement les échanges gazeux alvéolo-capillaires du mandarin écartelé. Sa température grimpe encore. Il confond les noms. Nadine, Isabelle, Berthe, Laura ? On s'en tape, il like. ❤️❤️❤️❤️


mardi 5 décembre 2017

Froid



Couvert de deux couettes superposées, je dors avec des chaussettes, deux t-shirts enfilés l'un sur l'autre, un pantalon de pyjama, et un bonnet, et pourtant j'ai encore froid. 

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J'ai reçu une très belle lettre de "Joseph Valet". Une lettre qui m'a fait monter les larmes aux yeux. C'est le retour, quarante ans après, du Jeu des perles de verre… ce roman qui aura décidé de ma vie. 

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Au tour de James Levine, maintenant… À quand le mien ? 

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Le froid m'a toujours fait souffrir. Enfant, je détestais le ski à cause de ça. Avoir froid aux doigts, aux pieds, était une souffrance insupportable. Je détestais tous les sports qui se pratiquent en hiver, dehors. Je rêvais d'avoir des gants et des chaussures qui m'épargnent une fois pour toutes cette souffrance. Cette douleur me paraissait une punition terrible et terriblement injuste. C'est pourquoi me fascine ce que je n'ai appris que récemment : mourir de froid est sans doute l'une des manières de mourir les plus douces qui soient. Je pense à ce SDF mort il y a quelques jours, ici, dans le Gard, juste devant le local du Samu social. Déjà, il y a quarante ans, j'avais eu froid, dans le Gard. Pas de chauffage dans la maison, à Valliguières, pas d'eau chaude. Mais il y avait une grande cheminée dans la cuisine. 

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Pourtant je ne rêve que de pays froids, de neige, de glace, d'obscurité. Le grand nord me fait rêver, pas du tout les îles du Pacifique. Allemagne, Suisse, Autriche, Russie, Finlande, Canada, Hongrie, pays de l'est… Aller finir sa vie dans les Alpes suisses, à mille mètres d'altitude.

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Le froid est lié à cette répugnante odeur de jambon blanc enveloppé de matière plastique, mélangée à celle de la mandarine, au fond d'un car, et rehaussée de vomi. Les sièges de l'autocar, les tournants, le froid, et la journée en perpective, sur les pistes, un dimanche de cauchemar. Pourquoi cette torture ? 

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Une des premières fois que j'ai couché avec elle, c'était dans la maison de la grand-mère, à Planay. Comme elle était inhabitée et que nous étions en hiver, il faisait un froid de canard à l'intérieur de la bicoque, dans ce village où les températures atteignaient régulièrement les moins vingt degrés. Elle avait demandé à y dormir, comme ça je pouvais la rejoindre et passer la nuit avec elle. Sa famille, à cinquante mètres de là, ne se doutait de rien. Anne était notre Brangäne et venait nous réveiller le matin pour que je ne sois pas bêtement surpris en compagnie de la jeune fille.

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(Il est des hommes qu'on assassine pour d'autres méfaits que ceux qu'ils ont commis, et qu'on tabasse pour des idées qu'ils n'ont jamais professées.)

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Jean d'Ormesson est mort en écrivant « Je suis encore vivant ». Je suis vivant en écrivant que je suis déjà mort. Le froid conserve. Le Perreux-sur-Marne, la ravissante Suzy et son mari Jean, tout ça c'est du passé…

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Alors, bande de salopes ! Quand venez-vous me chercher pour me porter au bûcher ? J'ai froid. Si j'étais un démon, je serais heureux comme tout. J'ai des flèches dans la tête, c'est l'amour qui me dévoie. J'ai froid et je brûle. Je prends ses pieds entre mes mains, comme deux inestimables trésors, et, par la fenêtre, je vois l'horizon qui s'enflamme.

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Et le rugby alors ? Parlons-en, du rugby. Le rouge de la peau, la vapeur qui sort des groins, les coups dans les tibias, la boue. De toute manière on ne connaissait même pas les règles de ce jeu de brutes et on portait un short "prince-de-Galles". Mais le pire est encore de se tenir au bord du stade et de piétiner dans le froid durant une heure et demie.

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« Ses mots, ses jets de pensée ont une saveur inouïe. Il est éloquent et sait aimer, mais avec ses caprices, qu'il porte dans les sentiments comme dans son faire. »

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On pourrait se réchauffer en tuant. Mais tuer quoi, qui ? Pourquoi ? Avec quelle arme ? Au moins si je me branle, j'ai chaud durant cinq minutes ; mais je pourrais aussi faire du sport ? Non, quand-même, on a des principes. 

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Cette corde ne vibre plus — ou bien elle n'a jamais vibré, je ne sais pas. 

samedi 2 décembre 2017

Brahms et Schumann



Il est un peu vain de vouloir établir une hiérarchie entre deux compositeurs de génie — dans l'absolu, en tout cas. Mais rien n'interdit de comparer, en soi, l'effet que deux artistes immenses produisent sur nous. Dans le cas de Brahms et de Schumann, la comparaison est tentante, et pas seulement parce que ces deux-là se connaissaient bien et entretenaient des rapports passionnants à maints égards, elle l'est aussi parce ce que leur musique se situe à une hauteur comparable. 

J'ai toujours aimé Brahms. Depuis que je fais de la musique, et même avant que je le joue au piano — enfant, j'adorais la troisième symphonie —, je m'en sentais proche, et ses œuvres ont toujours provoqué une immense vague de tendresse et de nostalgie en moi. Mon rapport à Schumann est plus complexe, plus difficile, plus ambivalent. J'ai mis du temps à l'aimer, à le comprendre, il m'a fallu passer par des seuils multiples pour arriver jusqu'à lui, et, bien entendu, sa pratique très régulière a été déterminante, notamment dans le domaine de la musique de chambre. Il y a dans la musique de Schumann quelque chose qui m'en rend proche et qui m'en éloigne à la fois. Peut-être que la proximité est souvent trop grande pour être supportable, et qu'elle crée d'elle-même un besoin d'éloignement, mais je crois aussi qu'il s'agit plus d'une musique de musiciens que celle de Brahms. Brahms est beaucoup plus classique. Chez lui, les formes sont presque toujours heureuses, il ne semble pas devoir lutter contre la matière musicale pour produire l'œuvre, il trouve naturellement la voie où déployer ses voix. Rien de tout cela, chez Schumann, qui paraît à chaque fois contraint de construire à neuf un habitat particulier pour y faire entendre l'œuvre. Même quand elle est minuscule, elle réclame sa forme propre. 

Et puis, surtout, il y a tant et tant de choses qu'on ne comprend pas, chez Schumann ! Qui heurtent. Qui sont comme des échardes. Des rayures. Des défauts. Des incongruités. Des choses qui semblent se trouver là presque par hasard. Qui sont comme jetées dans la matière sonore, comme des grumeaux, qui n'ont pas le même degré de cuisson que le reste de la pâte. Des angles morts, des perspectives abandonnées, des fenêtres obstruées. Tout cela devrait normalement gêner, produire un malaise, dérouter, et c'est bien le cas. Cela crée un déplacement perpétuel de ce qui en nous écoute, ou se sent concerné par l'histoire racontée. L'habit nous paraît malséant, la position inconfortable, la vue malaisée. Tout devrait nous éloigner de la musique de Schumann, et c'est par là qu'elle nous attrape au plus profond, et qu'elle nous étreint jusqu'à la suffocation. Elle ne parle pas une langue maternelle, elle parle une langue paternelle, une langue qui nous fait sortir de nous-même dans le même temps qu'elle nous y enfonce jusqu'à l'asphyxie, elle s'adresse à nous depuis quelque chose qui en nous est absent mais dont l'absence crie et brûle et mord. Il y a un froid glacial dans la musique de Schumann. L'inconnaissable s'adresse à nous directement depuis nos nerfs. 

J'ai passé trois jours avec les Études symphoniques, et avec les Davidsbündlertänze, mais je pense bien sûr aux Kreisleriana, aux Novelettes, aux Fantasiestücke, aux Scènes de la forêt, aux Bunte Blätter, aux Chants de l'aube, et à tant d'autres chefs-d'œuvre. Ce qui me frappe est que cette musique, inspirée au dernier degré, dépasse le discours, qu'elle sort d'elle-même, comme quelque chose d'inanalysable. Je pense entre autre à cette onzième étude (variation 9) des Études symphoniques (1837) qui me bouleverse. Les voix sortent d'une tourbe effrayante, semblant planer au-dessus de ces vapeurs et se poursuivre l'une l'autre, sans paraître avoir le moindre rapport avec ce qui pourtant les a produites, dans une apesanteur rythmique affolante. Au-dessous d'elles, les harmonies tourbillonnent dans un halo qui fait perdre tout repaire et tout espoir. Bien entendu, on reconnaît le thème, mais il a subi de telles métamorphoses qu'on peut à peine parler de variations. Comment cette musique arrive-t-elle jusqu'à nous ? Je n'en ai pas la moindre idée. 

Je ne trouve rien qui s'approche de cela chez Brahms, malgré toutes les qualités de sa musique.

Sociologie



Balzac, sociologue ? Mais oui. Seulement c'est de la vraie sociologie, qu'il fait, pas de la socio des facs, qui reste là où on lui dit de rester, qui traite des sujets dont on lui dit qu'ils sont de vrais sujets, qui ignore ce qu'il faut ignorer, et qui surtout fait taire ceux qui voient ce qu'ils voient. Balzac est l'inventeur sans descendance de la sociologie. Il a dû les terroriser, ceux qui sont venus après lui, qui font sous eux comme les déférents agents d'entretien du pouvoir qu'ils sont, bien que leur production démontre plutôt qu'ils sont des constipés au long cours. Balzac dans la langue officielle de 2017, ce serait une fanfare dans le confessionnal ou un rocher dans la pantoufle. 

jeudi 30 novembre 2017

Doigtés



Toute la nuit — c'est du moins mon impression ce matin — j'ai rêvé de ce trait, pour la main droite, sur lequel mes doigts revenaient et revenaient encore. Et un trait, c'est encore trop dire. C'était seulement quelques notes, très ramassées sur elles-mêmes, formant monticule, dont j'ai gardé l'empreinte au creux de la main. Quelques notes blanches, et quelques notes noires, disposées de telle manière que mes doigts inlassablement le creusent, ce monticule. Mais les doigtés…

J'y revenais, j'y revenais sans cesse. J'étais sûr, j'étais complètement sûr que mon doigté était le bon,  qu'il était celui qu'il me fallait, je n'en démordais pas, et je repassais sans cesse dans les mêmes ornières, ornières, pourquoi dis-je ornières ? Parce que malgré mes centaines de répétitions, il m'était impossible de mémoriser ce trait. Plus j'y revenais, plus j'étais sûr de moi, sûr à en mettre mes doigts à couper, sûr que ce doigté était le bon, plus ce même doigté m'empêchait de retenir ce que je jouais. Les notes me fuyaient…

Quand j'étais enfant, à l'adolescence, je reprochais à mes pauvres parents de ne pas savoir écouter ! Quel atroce remords j'en éprouve aujourd'hui… Comme si ce que j'avais à dire alors méritait qu'on l'écoute avec l'attention absolue que j'exigeais ! Un jour que je faisais ce reproche d'enfant gâté à mon père qui s'était accroché avec ma mère, il me proposa, pour me changer les idées, de m'emmener avec lui acheter un nouveau réfrigérateur, objet de consommation qu'il désirait offrir à ma mère pour expier ses péchés, sans doute. Et moi de monter sur mes grands chevaux ! Quoi, c'était donc ça, l'amour paternel, emmener son fils dans un magasin d'électroménager, l'après-midi, alors que la vie, alors que… Et pourquoi pas au bordel, pendant qu'il y était, le père ! J'en ai fait des tonnes. Ma pauvre mère a dû subir les pénibles et lourdes remontrances d'un fils qui se croyait alors le centre du monde. Humilié par un frigidaire, le petit…

Comment retenir les choses et les êtres qui fuient ? Il y a ce mot qui m'obsède : le regard, si proche de garder. Le regard commence par un préfixe qui signifie le retour, la deuxième tentative, la reprise, ce qui le rend proche du remords — et comment ne pas voir que celui qui re-garde veut re-tenir ; sinon, pourquoi regarder ? Tout regard est un retour sur le visage, celui qui éternellement fuit et qu'on désire retenir en nous. Voir un visage ne suffit pas, ne peut pas suffire. Il faut le revoir, il faut passer les doigts à sa surface pour le voir encore, il faut du doigté et de l'attention ; mais ça ne suffit pas encore. Il faut encore de l'encore. Il faut le garder, il faut le veiller. Ne pas dormir.

Ce trait qui m'échappe, qui ne cesse de m'échapper, ce trait que j'ai au creux de la paume et qui pourtant fuit mon regard, il s'enfonce en moi comme un doigt qui montre l'inapercevable, ce qui exigerait une attention (ou une intelligence) dont je suis incapable. J'ai un trou de mémoire. Je ne sais plus entendre ce qu'on me dit, ce qu'on me répète, toute la nuit. Je ne fais que passer mes doigts sur le visage de l'invisible, de ce que je n'ai pas su garder, mon doigté n'est pas le bon, bien que ce soit le seul que je connaisse. Ça ne remonte pas à la surface. Mon souvenir est comme un fils que je ne reconnaîtrais pas, atteint par les ravages de l'âge. Je le connais mais je ne le reconnais pas. Je ne peux pas revenir. Ce petit monticule, ce petit tas de notes perdues, que je caresse sans cesse, ne chantent plus. Elles préfèrent me fuir, ou chanter sous d'autres doigts. L'attention absolue que je réclamais comme un dément quand j'avais quinze ans, je n'en suis pas plus capable que mon père. 

Heureusement, il y a la musique. Heureusement, il y a Schumann, il y a cette musique-là. Là, je peux retrouver, presque à volonté, et l'amour, et la peine, et les visages. Je peux voir avec les yeux de mon père. Je peux entendre à travers lui, comme si son corps défait était un tympan qui vibre pour moi éternellement, le regard par où voir la vie qui a fui, je peux me tenir sur le seuil et laisser passer le vent à travers moi, je peux me tenir dans le brouillard suave de l'amour qui revient, encore

mercredi 29 novembre 2017

Brouille



Je venais de lire, dans les Illusions perdues : « Si quelqu’un venait le voir, il se laissait surprendre brouillant des papiers, cherchant une note égarée ou taillant sa plume ». Je ne sais pas pourquoi j'ai éprouvé le besoin d'aller regarder dans le dictionnaire ; je sais pourtant ce que signifie le verbe "brouiller". 

Quand j'ai cliqué sur « brouillant », dans la liseuse, celle-ci m'a proposé une définition que précisément je ne connais que trop : superposer à un signal un autre signal qui vient perturber le premier, le rendre sinon inaudible du moins difficile à entendre.

L'autre jour, un dimanche, je reçois un appel téléphonique sur mon portable. Je décroche. Immédiatement j'entends une affreuse cacophonie de voix, très puissante, dans le fortissimo. À travers les diverses voix j'en repère une, féminine, qui a l'air de s'adresser à moi. J'entends les mots "carte", "cours", "piano", "guitare" ; j'en déduis que l'appel concerne mes leçons de piano. Je dis à la personne que j'ai au bout du fil que je l'entends très mal. Celle-ci me répond quelque chose comme : « Oui, il y a des voix autour de moi. » Il n'y a pas « des voix autour d'elle », il y a trois ou quatre voix beaucoup plus puissantes que celle de mon interlocutrice, et celle-ci, qui arrive à peine à se frayer un chemin vers la surface de l'entendement, par instants. J'aurais dû raccrocher immédiatement. Cette personne m'appelle un dimanche, ce qui est déjà extrêmement impoli, quand on n'est pas un intime de celui qu'on appelle. Elle fait son appel au milieu d'une réunion d'amis, sans prendre la peine de s'en éloigner un peu par égard pour moi, et pour finir, l'objet de son appel est de me demander si je donne des cours de guitare, alors que bien entendu il est spécifié clairement sur mes cartes que l'instrument en question est le piano. 

Cet appel est vraiment un parfait exemple de toute la brutale stupidité de l'époque. Grossièreté, impolitesse, manque de savoir vivre, bêtise, vulgarité, tout y est, jusqu'au « bonne continuation musicale ! » que j'entends juste avant de raccrocher. Et bien sûr, et c'est sans doute le plus important, le son, la forme sonore de cet échange téléphonique, le ce qui est donné à entendre. L'appel a été très bref, peut-être une minute en tout et pour tout, mais il m'a ébranlé. J'aurais aimé comprendre… Comprendre comment on peut faire ça. Comment on peut oser faire ça, sans être poursuivi le reste de la journée par un sentiment de honte très profond, comment on peut déranger quelqu'un, un dimanche, pour lui infliger ça, une agression sonore de ce type. J'aurais aimé lui demander, à cette femme, comment elle pouvait imaginer prendre des cours de piano (ou de guitare, ou de cymbalum) avec moi, en étant qui elle est, en produisant ce type d'échange, comment elle pouvait imaginer faire de la musique en ayant en même temps ce type de comportements. Qu'on soit capable de l'envisager montre en quel mépris la musique est tenue, et comme personne ne sait plus du tout de quoi il s'agit. 

La voix de cette femme était brouillée. Elle était physiquement brouillée par les voix qui la recouvraient presque complètement. D'un autre côté, le brouillage en lui-même disait tout ce qu'il y avait à savoir de la personne qui avait cette voix. En ce sens, il n'était pas brouillage, mais modulation, comme on dit en acoustique qu'un son peut en moduler un autre. La synthèse FM (par modulation de fréquence) procède ainsi : un son en module un deuxième, pour en produire un troisième, beaucoup plus riche. Cette forme de synthèse sonore a été popularisée par le synthétiseur DX7 de marque Yamaha, dans les années 80 du XXe siècle. La modulation de fréquence fait interagir des porteurs et des modulateurs pour produire des sons très complexes, des sons inharmoniques (comme le sont les sons de cloches, par exemple). Les sons inharmoniques sont des sons qu'on pourrait qualifier de brouillés, s'opposant aux sons harmoniques par des harmoniques dont les fréquences n'ont pas de rapports numériques simples entre elles. 

La plupart des conversations que nous avons avec nos contemporains sont brouillées. Nous sommes avec eux dans un rapport inharmonique. Il y a des degrés dans la brouille, bien sûr. Sur une échelle de 1 à 7, je me situe malheureusement le plus souvent aux niveaux 5, 6, ou 7, très rarement aux niveaux 3 et 4, et quasiment jamais au niveau 2. Quant au niveau 1, je n'en parle même pas, car il appartient seulement au rêve et aux miracles — ou alors au malentendu. 

Perdre ses illusions est une entreprise de très longue haleine qui a commencé bien avant nous, mais ce n'est pas une raison pour ne pas continuer le travail.

Il y a cette scène extraordinaire, dans OSS 117, où Jean Dujardin dit au porte-parole du gouvernement égyptien, devant une fontaine : « J'aime le bruit blanc de l'eau » et paraît étonné lui-même de cette formule, si plate et si géniale à la fois, dont on ne sait si elle est extrêmement profonde ou extrêmement bête, comme s'il ne savait pas quoi en penser, dans le très long silence qui y fait suite. Le bruit blanc est un concentré de brouillage (là il n'est même plus question de sons inharmoniques, la complexité a franchi un nouveau seuil, puisqu'elle entend englober la totalité du sonore), puisqu'il contient toutes les fréquences du spectre sonore, mais, très paradoxalement, ce concentré de brouillage est lisse, neutre, et comme insipide, ce qui démontre que, passé un certain seuil, le complexe (re)devient simple. On connaît bien ça, dans la musique contemporaine. Trop de complexité tue la complexité, tout simplement parce que nous ne sommes pas capables d'appréhender cette complexité, ou ce désordre — et heureusement ! Passé un certain empilement de couleurs, c'est le blanc, ou le noir, ou pire, le maronnasse, qui advient. Ce « j'aime le bruit blanc de l'eau » est décidément une phrase merveilleuse car sa platitude ramasse en huit petits mots une somme immense de sens. Le silence mouillé qui la suit est une idée de génie. Que dire après qu'on a tout dit ? Surtout quand ce tout n'est rien de plus que l'évidence : il n'y a rien à dire. Laissons couler l'eau, c'est mieux…

Le brouillage politique du sens a atteint au troisième millénaire un stade qui s'approche de la perfection. On avait voulu interdire de parler (dictature), on avait voulu forcer à parler (fascisme), mais ces systèmes sentaient trop leur moyen-âge, et surtout il y avait toujours des entorses, des fuites, des dissidences, des cailloux dans la chaussure. Désormais, on brouille. C'est-à-dire que vous pouvez faire absolument ce que vous voulez. Vous voulez parler ? Vous le pouvez. Vous voulez vous taire ? Vous le pouvez aussi. Le Pouvoir est devenu plus intelligent, beaucoup plus intelligent, plus global. Il ne vous interdit rien, il ne vous force à rien, il se contente de superposer un autre signal à celui que vous émettez, une autre parole, une autre information, une autre histoire, une autre mémoire, une autre voix. Vous faites du bruit ? Ça ne le dérange pas du tout. Il superpose un autre bruit à votre bruit. Vous ne pouvez plus rien prouver. Votre preuve sera noyée dans un océan de preuves. Elle ne sera plus qu'une preuve parmi d'autres. C'est la raison pour laquelle la littérature est si attaquée, si dévalorisée, si désenseignée. L'information s'oppose absolument et très violemment à la littérature. Grâce à la littérature, on avait accès à un savoir autre, débarrassé du sens officiel (ou contre-officiel, ce qui est la même chose). Maintenant que plus personne ne sait de quoi il s'agit, il ne reste plus que l'information, les informations, les preuves et les contre-preuves, les discours et les contre-discours, les chiffres et les contre-chiffres, les statistiques, la sociologie, et les journalistes, qui sont les ennemis jurés de la littérature. Prenez la télévision, par exemple. Tous les imbéciles vous diront qu'il ne faut pas regarder la télévision, qu'elle ment, qu'elle fait de la propagande. Ils n'ont rien compris, ces idiots. La propagande s'est délocalisée, elle s'est diversifiée, elle s'est dissoute dans toutes les formes de parole, de discours, d'enseignement, de divertissement, d'art, de culture. La télévision est un épouvantail qui ne sert qu'à masquer cette formidable réussite. C'est un totem. Il est à peu près vide, mais il fascine. Il capte les regards des crétins qui vont répétant ce qu'on leur demande de répéter. Leur seule forme de liberté consiste à ventriloquer le pouvoir, et c'est précisément en cela que la machine fonctionne mieux que jamais, puisqu'elle s'auto-alimente. Ils ont inventé le mouvement idéologique perpétuel. Se soumettre n'était pas suffisant, ça c'était bon pour les totalitarismes à la papa, il faut encore que le peuple pense sincèrement qu'il aime son joug — et qu'il fasse même plus que le penser, qu'il l'aime réellement —, qu'il se reconnaisse complètement en lui et en redemande toujours plus, qu'il exige d'être débarrassé enfin de tout libre arbitre. 

« Si quelqu’un venait le voir, il se laissait surprendre brouillant des papiers, cherchant une note égarée ou taillant sa plume »… Tous nous brouillons nos petits papiers, cherchons nos notes égarées, et taillons notre plume. Le Numérique a achevé de brouiller les cartes, les pistes, et les esprits, et nous nous devons d'être dans ses petits papiers si nous voulons avoir un semblant d'existence. Nous sommes tous comme Astolphe de Saintot, remorqués par La Femme, celle qui a pris les rênes de nos existences, nous lisons longuement le journal, nous sculptons des bouchons avec notre canif, nous traçons des dessins fantastiques sur nos iPad, et nous feuilletons Cicéron pour y prendre à la volée une phrase ou des passages dont le sens pourrait s’appliquer aux événements du jour et nous permettre de briller en société. Si au moins nous étions capables d'écrire des articles sur le sucre et sur l'eau-de-vie dans un dictionnaire d'agriculture… 

Le XXIe siècle est le siècle du brouillage. Entre la brouille, le brouillage et la souillure, il y a étymologiquement assez peu. La désunion est par là-dessous, ça se défait, ça s'altère, ça s'abîme. Les infos modulent les infos, et ça crée un boucan infâme, un ramdam terrible. Les seuls morceaux solides qui surnagent pour un temps dans cette soupe ignoble sont les mots ramadan, islam, prophète, minaret, djihad, sourates, charia, respect, pudeur, femme. Autant dire que l'indigestion est dépassée depuis longtemps. Comme Lucien Chardon chez la Bargeton, nous sommes « le giaour dans la casba » et nous avons le teint brouillé. 

mardi 28 novembre 2017

Amour (2)



Il y a ce moment étrange où l'amour qu'on porte à une femme noircit, où le sentiment vient appuyer sur une partie inconnue de lui-même. Ce n'est pas qu'il se nie, ce n'est pas qu'il se renverse, non, ce serait trop simple, et ce serait un soulagement, c'est qu'il vient buter contre l'évidence, cet or changé en plomb. Il s'agit d'une réaction, d'une réaction chimique brutale, immédiate — immédiate au sens propre, en ce qu'elle n'offre aucune possibilité de médiation : elle parle une langue singulière, inconnue et intraduisible qui la rend impropre à la consommation, sans bénéfice d'aucune sorte. 

L'affreux vide qu'on trouve au fond de l'amour se tient là, comme une statue terrible et immobile, qui appuie en la signalant sur une région inconnue de nous, et cette place glacée en nous nous terrifie. Elle apparaît au plus profond de ce qui nous lie à celle qu'on aime mais son message est à tout jamais silencieux. On ignorait cette plaie béante que l'amour révèle. 

Cette opacité insondable provient je crois de la beauté — d'une forme particulière de beauté, d'une beauté arrêtée dans sa course. Le genre de femmes qui possèdent cette beauté ne la transmettent pas à leurs filles. Non seulement elles ne la transmettent pas, mais elles empêchent absolument qu'elle leur survive. 

dimanche 26 novembre 2017

Chutes



Du (et dans le) rapide, le "p" est tombé, vite.

Reste raide.

Il y a des escarpements bénéfiques à la langue.

Les tombeurs se jettent à l'eau, enfreignent les règles, et trouvent la sortie. Dire encore une marche, et notre rapide aura une ride, s'il n'est pas en rade. 

Le risque d'être compris


Il nous arrive de lire des statuts Facebook (par exemple) auxquels on ne comprend rien, mais quand je dis rien c'est rien, zéro, nada, rien de rien, absolument 0%. Alors on se sent libéré des attaches humaines, sociales, historiques, et la folie douce qui nous habite alors est comme un baume sur les plaies toujours à vif causées par le monde qui nous enserre dans sa gangue et dans sa langue.

J'aimerais, si j'en étais capable, écrire des choses que personne, absolument personne, ne risque de comprendre.


— Mais rassure-toi, mon grand, c'est ce que tu fais toute la journée, toute la semaine, toute l'année !

samedi 25 novembre 2017

XVIIe chambre (1)



L'autre jour, on m'a traité de Blanc, d'hétérosexuel et de catholique !

J'ai immédiatement porté plainte contre ces terribles accusations, qui sont à l'évidence d'ignobles calomnies. J'ai bon espoir d'être indemnisé (mon médecin a signé un arrêt de travail de six mois) et de voir mon persécuteur lourdement condamné.

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La Chambre ne désemplit pas. On s'y bouscule. Le tout Paris est là. Son enthousiasme fait plaisir à voir. Il assiste aux délibérés avec la gourmandise du peuple moral, celui qui envoie à l'échafaud pour un mot de travers, pour une tranche de jambon mal assorti aux nouvelles mœurs. Le mœursal, il s'en régale alors même qu'il déclare en aimer toutes les singularités.

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Yann Moix insiste pour plus de sévérité dans les condamnations. Il veut que la Chambre soit déménagée à la Concorde. On l'applaudit. On le porte en triomphe.

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Un artiste en vogue propose deux œuvres. Un Clitoris géant, sous lequel les sentences seraient rendues, et un méga Utérus, dans lequel se tiendrait le Procureur.

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M. Albert Trouducu est amené, entre deux gardes à l'allure sévère. Il tremble. Il bredouille. Il prétend ne pas comprendre. Un filet de bave coule de ses lèvres minces. Les hurlements de la salle couvrent sa voix. Le Président, calme et goguenard, lui intime d'un geste l'ordre de se taire. Le Procureur hausse les épaules, il n'a pas besoin de lire ses notes. Il se rasseoit, confiant-dans-la-justice-de-son-pays. Au suivant.

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Désormais, les procès se tiennent la nuit. Il y avait trop de monde aux audiences. Il faut payer pour assister aux plaidoiries. Les places se revendent au marché noir. Pour certains accusés, les prix dépassent largement ceux de Roland Garros, dans les meilleures années.

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Certains reviennent régulièrement. C'est le cas d'Arno Muscat. Il était là si souvent qu'il a pris une location, dans le quartier. Il fait maintenant partie des VIP de la XVIIe. Ses avocats sont célèbres. On les invite au 20 heures. Ils ont une table chez Lipp.

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Paul Éluard et Nabilla Leona Benattia, main dans la main, assistent à presque toutes les séances. Comme il est émouvant de voir la jeune femme se pencher vers le vieil homme quand elle ne comprend pas une formule ou un terme de procédure !

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Paul Trouvier, le Président, trouve que sa carrière avance bien. Il est en effet pressenti pour un poste de ministre de la Morale impeccable dans le gouvernement de Toufik Acerola.


(à suivre…)

mardi 21 novembre 2017

Déremboursé toi-même !


Le sourire un rien méprisant de la préparatrice en pharmacie, quand je refuse un médicament au prétexte qu'il n'est pas remboursé…

« C'est cinq euros, en même temps ! »

Quand on entend ce genre de réflexion, on ne sent exclu du cercle des vivants. Oh, ça ne dure pas, évidemment. Pas de quoi en faire une maladie. Mais tout de même. On ne vit pas dans la même humanité que quelqu'un pour qui cinq euros ce n'est rien — quand on ne les a pas. C'est aussi simple que ça. On voit immédiatement qu'avec lui, il n'y a pas moyen de s'entendre. Il ne nous croit tout simplement pas. Il ne nous prend pas au sérieux. Ce n'est pas mauvaise volonté de sa part, c'est seulement une impossibilité radicale à comprendre, et même à entendre ce que nous disons. Il ne peut pas entendre qu'on n'a pas ces foutus cinq euros. Ça ne lui entre pas dans le ciboulot, c'est simple ! Manque d'imagination, manque d'empathie, manque d'intelligence, un peu tout ça, j'imagine.

Et puis, l'humiliation, chaque fois, qu'il y a à seulement poser la question : « Il est remboursé, ce médicament ? » Elle vous regarde par en-dessous. Vous êtes malade, ou pas ? Sous-entendu : quand on est malade, on se fout de savoir si la potion est remboursée ou non. On n'est pas dans la prescription plaisir, là, on va dire. Je l'entends penser, ma préparatrice en pharmacie.

Je me suis emporté contre Raphaële, qui n'y est pour rien, bien sûr. La pauvre ne peut pas savoir quels sont les médicaments remboursés et ceux qui ne le sont pas, ça change tout le temps, et surtout ça change d'une caisse à l'autre. N'empêche, sur deux médicaments, pas un n'est remboursé à cent pour cent. On paie pourtant des cotisations, non ? Font chier, ces médecins ! Non seulement ils sont incapables de nous soigner, mais il ne savent même pas ce qui est remboursé et ce qui ne l'est pas. Je sais, c'est un raisonnement de beauf, et c'est injuste. Mais il y a des jours où je pense comme ça. J'ai pas envie d'être intelligent, posé, sage, circonspect, j'ai pas envie de comprendre, j'ai pas envie d'avoir de l'imagination, moi non plus. J'ai juste envie de gueuler. Merde !

Téléphoné à EDF (qui ne s'appelle plus EDF, qui porte un nom ridicule, mais on s'en branle). On me dit : appelle, ils font des prix pour les pecnauds comme toi. Moi j'appelle. La fille au téléphone me parle de deux machins (je lui fais répéter quatre fois, pour comprendre de quoi elle parle, tellement elle prononce mal, avec un accent à couper à la machette), la CMU et l'ACS, me demande mon nom, et comme par hasard me dit que je n'y ai pas droit. C'est quand-même marrant, je m'y attendais, j'ai droit à rien. Les aides c'est pas pour moi, les remboursements non plus. Demain je rappelle en disant que j'ai perdu mes papiers, que j'arrive du Mali, ou d'un désert quelconque, et que je suis hébergé par Georges de La Fuly. Ça caille, chez Georges ! Ça va pas du tout, la France ! En plus il me fait faire la vaisselle à l'eau froide ce salaud ! Georges de La Fuly, c'est bien un nom de salaud, ça ! Ouais M'dame, La Fuly y fait rien qu'à m'niquer ma race, c'est un gros raciste, il a des livres de Camus plein l'escalier, là, l'gros pédé qui fout sa merde dans le vivr'ensemble ! J'te jure !

Ma préparatrice, au début je la trouvais jolie. Enfin, pas vraiment jolie, mais bandante, avec un-je-ne-sais-quoi que je connais bien chez les femmes. Brune, peau mate, parlant peu, les chairs-mercure, comme j'aime, une rondeur du jarret, mais du chien, quelque chose d'arrêté, de ferme, d'espagnol. Et puis d'un coup, elle a changé de coupe de cheveux, elle a mis des lunettes, je sais pas, elle s'est fanée, comme ça d'un seul coup, paf, plus rien. Panne sèche, ça monte plus aux nichons. L'hiver de la femme… Et toujours ce quart de sourire quand elle me parle, comme si elle me regardait de l'arrière du crâne. Je vois bien que dès que j'entre dans la pharmacie, elle sait que je suis là. Alors évidemment, le coup du je prends pas votre truc, là, c'est trop cher pour moi, elle pige pas. Quels radins, ces artistes ! Tout fout le camp. Je vais me refaire des fumigations, bonsoir. 

lundi 20 novembre 2017

Corpographie



Il y a beaucoup de choses qu'on ne peut plus faire, et c'est malheureux. Mais il y a aussi, et c'est très heureux, des choses qu'on peut faire et qu'on n'aurait jamais pu faire avant. 

Je pense au corps de la femme. Depuis quelques années, j'ai en tête un film sur le corps de la femme, un film que je ne vois pas, que je n'ai jamais vu (mais bien sûr je ne connais pas tout), et ce qui me rassure, paradoxalement, c'est que personne ne comprend de quoi je parle, quand j'essaie — très rarement — de décrire ce que je voudrais faire. Si personne ne comprend de quoi je parle, c'est bien que ces images-là n'ont jamais été faites. La pornographie (mais aussi la publicité) a rendu possible, et même, a rendu nécessaire, ces images-là, celles que j'ai en tête. 

Quand on parle du corps, et du corps des femmes, tout particulièrement (parce qu'il est évident que les corps des hommes ne parlent pas de la même manière, n'ont pas la même histoire, ne relèvent pas de la même culture), les oreilles de nos interlocuteurs se bouchent immédiatement — leurs oreilles et leur imagination. Ils oscillent perpétuellement entre la pornographie et la peinture, entre l'académisme et la crudité, entre la mièvrerie et la sauvagerie, entre l'anatomie et la psychanalyse. 

Je ne crois pas que les images dont je parle soient envisageables comme photographies. Je suis presque certain que la seule manière de les obtenir serait de filmer, ou, du moins, de produire une image animée, ce qu'on appelle un film

Il y a, je crois, quelque chose comme un cantus firmus du corps de la femme qui peut se laisser voir dans le mouvement. Non pas figurer, ce serait trop, mais voir, ou apercevoir, entendre ce cantus firmus qui flotte entre les gestes des femmes et qui disparaît dans leurs harmonies, dans les accords verticaux qu'elles s'entendent à plaquer sur le réel simplifié de leur être-là. 

Beaucoup d'obstacles se dressent entre mon désir et la réalité. Et le premier d'entre eux est précisément que je suis incapable d'expliquer ce que je cherche, et qu'à chaque fois que j'ai essayé, j'ai dû battre en retraite, car mes interlocuteurs se rabattaient sur ce qu'ils ne connaissent que trop, et qui les empêchent absolument d'imaginer qu'il puisse exister autre chose dans le regard d'un homme que la concupiscence, la vénération, la religiosité désincarnée, le surmoi esthétisant, ou, plus bête encore, la sympathie, l'admiration, la gentillesse, ou, le pire, le conformisme idéologique, la pommade inclusive et égalitaire.

***

Ce serait un film où ne seraient (montrés) que des gestes. Des gestes et les pauses (et les transitions) qui existent entre les gestes. Le temps, donc, qui passe, sur (ou dans) un corps. Ou un corps qui se meut dans le temps, qui le fend, qui en écarte les portes, pour que l'espace d'un instant on entende la voix supérieure du corps enchanté d'une femme, son ciel, sa furtivité, la mort à l'œuvre 

dimanche 19 novembre 2017

La campagne d'hiver, à reculons



Aller vers elles dans un autre but que de donner quelque chose est déjà humiliant, mais quand elles nous répondent avec cet air de suspicion incompréhensible au premier abord, on a envie de rebrousser chemin.

Trop tard, on y est, ça y est, on a franchi le Rubicon, j'y suis, j'y reste. Ce sont deux femmes qui doivent avoir sensiblement mon âge, peut-être même sont elles un peu plus jeunes, mais leur mise et leur emploi les vieillit beaucoup. Pourquoi c'est jamais des minettes de vingt-cinq ans qui se tiennent devant les deux caddies bourrés à craquer de boites de conserves et de paquets de nouilles ? Autour de nous ça circule, c'est samedi soir, il y a un monde fou à Cora. Avec mon petit panier en osier, j'ai l'air d'un survivant… ce que je suis. Pour la première fois de ma vie, je m'adresse aux Restos du cœur. Tu me vois, de là-haut ? Les-Restos-du-cœur…

Je leur demande quelles sont les conditions pour bénéficier de ces fantastiques boîtes de petits pois et de thon qui s'entassent pêle-mêle dans les deux caddies dont elles assurent la garde comme deux cerbères dérisoires et patauds. « On ne peut pas le dire. » Ah ? C'est secret ? « Oui, c'est top-secret ! » me répond celle qui a l'air d'être la cheffe. Je ne sais d'abord pas si elle plaisante, mais je constate très vite que non, elle ne plaisante pas du tout. Veut-elle savoir d'abord si je suis sérieux ? Oui, ça doit être ça. Je n'ai peut-être pas encore tout à fait l'air d'un clodo. Ou alors je ne parle pas comme un clodo ? Ou bien j'ai l'air trop hésitant ? J'y vais à reculons ? Je ne sais pas. Mais dites-moi, il y a vraiment des gens qui arnaquent les Restos-du-Cœur ? Ça existe, ça ? Il y a vraiment des gens qui vont chercher de la bouffe, là, juste pour le fun ?

J'en ai parlé. Je faisais le malin, mais jusqu'à présent, je n'avais pas osé. Eh bien voilà, je comprends que ce soir, le 18 novembre 2017, à six heures du soir, j'ai passé un cap. Jusqu'à présent, être pauvre, c'était un état privé, intime, quelque chose qui occupe l'esprit mais dont on ne parle pas. Est arrivé ce moment, sans que je l'ai prémédité, où j'ai compris que je devais accepter de voir les choses en face. Ça va se voir ? Ça va se voir. Ça va se savoir ? Ça va se savoir, sans doute, tant pis.

Je repense à lui, lui, ce visage que je n'ai jamais oublié. C'était à Paris, sur la place des Vosges, que je traversais pour aller boire un café à Ma Bourgogne, c'était à la fin des années 80. Il s'est approché de moi obliquement. Il parlait bas, il était à peu près bien mis, il devait avoir dix ou quinze ans de plus que moi, dans les quarante, quarante-cinq ans. Il m'a demandé de l'argent, en s'excusant. Il avait honte. Il avait terriblement honte, de demander de l'argent. Ça lui coutait, ça se voyait, on ne voyait même que ça. J'ai refusé. Je ne sais pas, oui, j'ai refusé, connement, stupidement, parce qu'on commençait dans ces années-là à être constamment sollicité, dans la rue, et de manière souvent très agressive, et que, très souvent, on avait l'impression d'être pris pour des cons. Immédiatement, j'ai su que j'avais fait une énorme connerie, j'ai eu honte de moi, j'ai trouvé une pièce de cinq francs au fond de ma poche, je me rappelle, et j'ai fait demi-tour pour aller lui donner au moins ça. Impossible de le retrouver. Il avait disparu aussi vite qu'il était apparu, d'une manière presque surnaturelle. Il avait tellement honte… Il baissait la tête et il baissait la voix. Je revois encore sa manière de s'excuser, quand j'avais refusé, et de s'éloigner de moi presque à reculons, comme s'il venait de commettre un délit. Je suis resté planté là un moment, essayant de le distinguer dans le square Louis XIII. Il faisait très beau, je me souviens. Je ne l'ai jamais revu. Toute la journée, cette pièce de cinq francs est restée dans ma main, au fond de ma poche. Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles Des noyés descendaient dormir, à reculons. 

De retour à la maison, je suis allé voir à quoi ressemblait leur site. Sans surprise, c'est d'une laideur infâme, qui fait honte à celui qui consulte ces pages. Ah zut, je ne dois pas en dire du mal, on ne sait jamais. C'est très joli. Sympa. Accueillant. Plein de couleurs. 

Je remarque qu'il existe des "campagnes". La campagne d'été (de mai à octobre), et la campagne d'hiver (de fin novembre à fin mars). J'en déduis donc qu'au mois de novembre et au mois d'avril, on a le droit de crever de faim. Tout cela est bien entendu écrit sur fond rose, avec orthographe inclusive et police de caractères débile. Mais bon, comme dirait l'autre, on ne va tout de même pas s'intéresser à des détails pareils — non, je crois qu'ils diraient : se crisper sur des babioles ou un truc du genre. J'entends mon frère aîné me dire : tout ce qui est excessif est insignifiant, ou encore : tu confonds l'essentiel et l'accessoire.

La dame à qui j'ai parlé tout à l'heure m'a bien fait comprendre qu'il fallait montrer patte blanche (sic) pour avoir droit aux raviolis et aux patates. Ça c'est sûr que si j'avais une gueule de Syrien, genre, on ne me demanderait rien, on n'aurait pas cet air de méfiance qui donne envie de s'enfuir à toutes jambes. Non, pour nous, les sous-chiens qui n'aboient même pas, c'est carte d'identité, livret de famille, attestation CMU, bordereau des allocations familiales, attestation Pôle Emploi, bulletins de salaire, retraite (régime général et complémentaire), avis d'imposition ou de non-imposition, pension alimentaire, quittance de loyer ou tableau d'amortissement de prêt ou certificat d'hébergement, certificat de scolarité pour les enfants — selon notre situation (resic). Tout juste si on nous fait pas passer des contrôles de rectitude morale. Ça rigole pas, avec Saint Coluche. Ça tombe bien, je ne l'ai jamais trouvé drôle. 

Comme par hasard, les restos se situent dans la zone, là où pour rien au monde on a envie d'aller se promener, le genre d'endroit où si tu tombes en panne, t'as intérêt à te tirer vite fait en abandonnant ta voiture. Je sens que je vais bien m'amuser, déjà qu'Alès est la ville la plus sinistre de France… N'empêche, je suis curieux de voir la gueule de mes condisciples, non, pardon, de mes compagnons d'infortune, enfin des branleurs qui comme moi n'ont plus une thune pour se chauffer, se vêtir et bientôt se nourrir. Ça promet. Je vous raconterai, c'est promis. 

L'autre, au téléphone, elle est bien gentille, elle me conseille d'aller au hamam, pour ma toux ! Au hamam… Et pourquoi pas en thalasso à Essaouira avec Nicole ? Les gens sont cons, c'est pas possible. Tant que tu leur mets pas le nez dans le caca, ils sentent rien. Ils te parlent de leurs dernières vacances, de tous les terribles ennuis qu'ils ont eus avec la compagnie d'aviation, avec leur mec, et avec leur patron qui est insupportable, avec le fisc, tout ça, ils te conseillent (ça j'adore) de prendre des vitamines ou des oligo-éléments, d'aller chez l'osthéo, voire de commencer une thérapie. Et des Omega3, t'en prends ? Tu devrais, moi ça me réussit super-bien. Pigent même pas, ces pecnauds, que même les médicaments de prolos, on ne va pas les chercher, parce qu'ils sont plus remboursés. 

Je lis que les Restos du Coeur sont attentifs à l'équilibre nutritionel. « Chaque personne accueillie dans [les] centres de distribution est destinataire d'une certaine quantité de nourriture qui lui permet de préparer quotidiennement un repas complet et équilibré pour tous les membres de sa famille. » Repas complet et équilibré… Équilibre nutritionnel… Il faudrait que quelqu'un leur dise qu'on ne met pas d'espace après une apostrophe, ni avant une virgule. Attentifs à l'équilibre nutritionnel… Putain je rêve… Et ma libido, et ma prostate, et mes toiles, et mes couleurs, tout le monde s'en branle ? Je rêve : des Restos (chaque fois que j'écris "restos", j'ai envie de vomir) du Cœur où on te ferait écouter l'opus 11 de Schoenberg. 

Je repense au hamam… Quand je lui dis mais tu délires ou quoi, elle me répond : « Mais tu sais, c'est pas cher, le hamam ! » Tout est là. Il y a tout, dans cette réponse. C'est pas cher, le hamam. Mais bordel de merde à queue, si j'avais le premier sou pour aller au hamam, figure-toi que je le dépenserais pour me chauffer ! On hésite toujours. Ils sont vraiment cons ou ils font semblant ? Rien n'a changé depuis Balzac, même avec leur smartphones à la con et leurs tablettes, ils sont toujours aussi ploucs. Plus, même. Oh oui, beaucoup plus. On voit que leur esprit leur échappe. Ça fuit à tous les étages. Même à trente ans, ils sont déjà alzheimerisés. C'est terrible, l'humain. Ça s'arrange pas. Je ne vois aucun progrès depuis le XIXe, seulement une immense dégénérescence qui semble ne pas avoir de fond. Ça tombe, ça tombe, sans fin. 

Je lis encore : « Les personnes accueillies repartent donc des Centres de distribution avec des denrées qu'elles ont elles-mêmes choisies dans les différentes catégories d'aliments (protéines, féculents, légumes, laitages etc etc ) » Une phrase sans faute d'orthographe ! Je suis sûr que ma voisine, l'ancienne instite, elle donne. Si ça se trouve, je vais me faire cuire des pâtes qu'elle aura achetées. Sympa. Elle pourrait me les donner direct, alors ? Mais non, ce serait pas drôle. Il faut que la nourriture équilibrée (protéines, féculents, légumes, laitages etc etc) suive son bonhomme de chemin, qui la sanctifie. Tout est dans la sanctification. Saint Coluche. Prendre une soupe chaude sous une affiche de Coluche : y a-t-il destin plus atroce que celui-ci ?

« Et sinon, tu peins, tu écris, tu as des projets ? »

Ferme ta gueule, STP !



à Yohann Rimokh

samedi 18 novembre 2017

Sinon


Les deux femmes descendent l'avenue du Docteur Mourier pendant que je la remonte. Je fais une halte car je suis essoufflé. La grande blonde dit à la petite brune : « Il doit mettre Jésus-Christ dans sa vie ! Sinon… » Mais je n'entends pas la fin de la phrase.


mercredi 15 novembre 2017

Les rentables



Il avait chassé les marchands du temple, mais Jésus ne connaissait pas Stéphane Bern.

La proposition de ce dernier est une nouvelle attaque contre l'Église catholique et une avancée décisive vers une France totalement déchristianisée, c'est-à-dire, pour parler clairement, une France qui ne serait plus la France. Les églises et les cathédrales ne sont pas des musées, et elles n'appartiennent pas au pouvoir républicain, qui est un pouvoir passager, comme tous les pouvoirs (je sais que les bâtiments appartiennent à l'État, inutile de me le faire remarquer ; je ne parle pas de la pierre, je parle de l'œuvre et de l'esprit) et même si elles se visitent, en raison de leur beauté, notamment, elles restent des lieux de culte avant d'être des "lieux de culture". Un des principes de la laïcité devrait être précisément de ne pas intervenir, à quelque titre que ce soit, dans l'enceinte d'un édifice cultuel (sauf bien entendu dans le cas où celui-ci sert de base arrière à des actions séditieuses et anti-nationales). Faire payer l'entrée dans une église ou une cathédrale est à l'évidence en contradiction avec leur raison d'être : on doit pouvoir entrer dans la plus belle des cathédrales même si l'on est pauvre comme Job, et on doit pouvoir le faire dix fois par jour si l'on en éprouve le besoin. Les maisons de Dieu ne sont déjà que trop offertes au tourisme putassier et au spectacle, aux bermudas, aux sandwichs et aux gueulards de toutes obédiences. Ramasser du pognon avec une cathédrale, pour l'État, est aussi infâme que louer son ventre, pour une femme. 

Monnayer l'entrée dans une église ou une cathédrale, c'est projeter celle-là sur le Strip de Las Vegas, c'est remplacer Jésus-Christ par Denis Brogniart, la Mère de Dieu par une hôtesse de caisse et le Saint Esprit par La Voix de Secret Story, c'est ridiculiser la Présence réelle, c'est insulter les catholiques et c'est réduire deux mille ans d'histoire à un bilan comptable. Rentables ou pas, ces gros bâtiments vides, qu'on pourrait utilement transformer en salles de spectacle, en cinémas, en musées d'art contemporain, voire en restaurants branchés, et sous lesquels on pourrait installer des parkings et des centres commerciaux ? Et quand il aura été démontré qu'elles ne le sont pas, rentables, ce que j'espère bien, quelle sera la prochaine étape ?

La patrimonite aiguë qui sévit depuis quelques décennies dans notre pays n'est que le signe de la vie qui s'éloigne au fur et à mesure qu'on l'embaume, et quand celle-là se conjugue avec une lésine de thénardiers de banlieue, la comédie devient sordide. Si l'État en est à faire les poches des fidèles — en plus de les noyer de fait dans la foule des infidèles —, après avoir détroussé les contribuables du pays, autant dire tout de suite qu'on nous invite à aller voir ailleurs si les sangsues qui s'y trouvent sont moins voraces que les nôtres. 

On a déjà la dingo alternative de l'Hôtel de ville qui fait mumuse avec sa tour Eiffel clignotante, c'est assez pour se croire chez les piqués du bocal. La bernification du réel, c'est la provocation de trop. Qu'on laisse ça aux affalés du petit écran et qu'on foute la paix à nos cathédrales !

lundi 13 novembre 2017

dimanche 12 novembre 2017

Tout ça pour ça


Qu'il se soumette n'est pas suffisant, ça c'est bon pour les vieux totalitarismes à la papa, il faut encore que le peuple pense sincèrement qu'il aime et désire son joug, qu'il se reconnaisse complètement en lui et en redemande toujours plus, qu'il exige d'être débarrassé enfin de tout libre arbitre et de tout esprit critique, de tout désir propre et de toute la singularité qu'il avait patiemment édifiée durant mille ans. 

Tout le monde parle de soumission alors que ce stade est depuis longtemps dépassé. Les Français se sont convertis en masse au Remplacisme. Ils étaient fatigués de l'être, Français. Leur aspiration, comme disent les pédagogues foireux, est de n'être plus rien, ça les repose. 

Ne faites pas de bruit, ne les réveillez pas, ils sont en route pour le néant de l'Histoire. Ils tournent la page — et c'est la dernière.