mardi 5 décembre 2017

Froid



Couvert de deux couettes superposées, je dors avec des chaussettes, deux t-shirts enfilés l'un sur l'autre, un pantalon de pyjama, et un bonnet, et pourtant j'ai encore froid. 

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J'ai reçu une très belle lettre de "Joseph Valet". Une lettre qui m'a fait monter les larmes aux yeux. C'est le retour, quarante ans après, du Jeu des perles de verre… ce roman qui aura décidé de ma vie. 

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Au tour de James Levine, maintenant… À quand le mien ? 

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Le froid m'a toujours fait souffrir. Enfant, je détestais le ski à cause de ça. Avoir froid aux doigts, aux pieds, était une souffrance insupportable. Je détestais tous les sports qui se pratiquent en hiver, dehors. Je rêvais d'avoir des gants et des chaussures qui m'épargnent une fois pour toutes cette souffrance. Cette douleur me paraissait une punition terrible et terriblement injuste. C'est pourquoi me fascine ce que je n'ai appris que récemment : mourir de froid est sans doute l'une des manières de mourir les plus douces qui soient. Je pense à ce SDF mort il y a quelques jours, ici, dans le Gard, juste devant le local du Samu social. Déjà, il y a quarante ans, j'avais eu froid, dans le Gard. Pas de chauffage dans la maison, à Valliguières, pas d'eau chaude. Mais il y avait une grande cheminée dans la cuisine. 

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Pourtant je ne rêve que de pays froids, de neige, de glace, d'obscurité. Le grand nord me fait rêver, pas du tout les îles du Pacifique. Allemagne, Suisse, Autriche, Russie, Finlande, Canada, Hongrie, pays de l'est… Aller finir sa vie dans les Alpes suisses, à mille mètres d'altitude.

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Le froid est lié à cette répugnante odeur de jambon blanc enveloppé de matière plastique, mélangée à celle de la mandarine, au fond d'un car, et rehaussée de vomi. Les sièges de l'autocar, les tournants, le froid, et la journée en perpective, sur les pistes, un dimanche de cauchemar. Pourquoi cette torture ? 

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Une des premières fois que j'ai couché avec elle, c'était dans la maison de la grand-mère, à Planay. Comme elle était inhabitée et que nous étions en hiver, il faisait un froid de canard à l'intérieur de la bicoque, dans ce village où les températures atteignaient régulièrement les moins vingt degrés. Elle avait demandé à y dormir, comme ça je pouvais la rejoindre et passer la nuit avec elle. Sa famille, à cinquante mètres de là, ne se doutait de rien. Anne était notre Brangäne et venait nous réveiller le matin pour que je ne sois pas bêtement surpris en compagnie de la jeune fille.

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(Il est des hommes qu'on assassine pour d'autres méfaits que ceux qu'ils ont commis, et qu'on tabasse pour des idées qu'ils n'ont jamais professées.)

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Jean d'Ormesson est mort en écrivant « Je suis encore vivant ». Je suis vivant en écrivant que je suis déjà mort. Le froid conserve. Le Perreux-sur-Marne, la ravissante Suzy et son mari Jean, tout ça c'est du passé…

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Alors, bande de salopes ! Quand venez-vous me chercher pour me porter au bûcher ? J'ai froid. Si j'étais un démon, je serais heureux comme tout. J'ai des flèches dans la tête, c'est l'amour qui me dévoie. J'ai froid et je brûle. Je prends ses pieds entre mes mains, comme deux inestimables trésors, et, par la fenêtre, je vois l'horizon qui s'enflamme.

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Et le rugby alors ? Parlons-en, du rugby. Le rouge de la peau, la vapeur qui sort des groins, les coups dans les tibias, la boue. De toute manière on ne connaissait même pas les règles de ce jeu de brutes et on portait un short "prince-de-Galles". Mais le pire est encore de se tenir au bord du stade et de piétiner dans le froid durant une heure et demie.

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« Ses mots, ses jets de pensée ont une saveur inouïe. Il est éloquent et sait aimer, mais avec ses caprices, qu'il porte dans les sentiments comme dans son faire. »

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On pourrait se réchauffer en tuant. Mais tuer quoi, qui ? Pourquoi ? Avec quelle arme ? Au moins si je me branle, j'ai chaud durant cinq minutes ; mais je pourrais aussi faire du sport ? Non, quand-même, on a des principes. 

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Cette corde ne vibre plus — ou bien elle n'a jamais vibré, je ne sais pas.