mardi 21 novembre 2017

Déremboursé toi-même !


Le sourire un rien méprisant de la préparatrice en pharmacie, quand je refuse un médicament au prétexte qu'il n'est pas remboursé…

« C'est cinq euros, en même temps ! »

Quand on entend ce genre de réflexion, on ne sent exclu du cercle des vivants. Oh, ça ne dure pas, évidemment. Pas de quoi en faire une maladie. Mais tout de même. On ne vit pas dans la même humanité que quelqu'un pour qui cinq euros ce n'est rien — quand on ne les a pas. C'est aussi simple que ça. On voit immédiatement qu'avec lui, il n'y a pas moyen de s'entendre. Il ne nous croit tout simplement pas. Il ne nous prend pas au sérieux. Ce n'est pas mauvaise volonté de sa part, c'est seulement une impossibilité radicale à comprendre, et même à entendre ce que nous disons. Il ne peut pas entendre qu'on n'a pas ces foutus cinq euros. Ça ne lui entre pas dans le ciboulot, c'est simple ! Manque d'imagination, manque d'empathie, manque d'intelligence, un peu tout ça, j'imagine.

Et puis, l'humiliation, chaque fois, qu'il y a à seulement poser la question : « Il est remboursé, ce médicament ? » Elle vous regarde par en-dessous. Vous êtes malade, ou pas ? Sous-entendu : quand on est malade, on se fout de savoir si la potion est remboursée ou non. On n'est pas dans la prescription plaisir, là, on va dire. Je l'entends penser, ma préparatrice en pharmacie.

Je me suis emporté contre Raphaële, qui n'y est pour rien, bien sûr. La pauvre ne peut pas savoir quels sont les médicaments remboursés et ceux qui ne le sont pas, ça change tout le temps, et surtout ça change d'une caisse à l'autre. N'empêche, sur deux médicaments, pas un n'est remboursé à cent pour cent. On paie pourtant des cotisations, non ? Font chier, ces médecins ! Non seulement ils sont incapables de nous soigner, mais il ne savent même pas ce qui est remboursé et ce qui ne l'est pas. Je sais, c'est un raisonnement de beauf, et c'est injuste. Mais il y a des jours où je pense comme ça. J'ai pas envie d'être intelligent, posé, sage, circonspect, j'ai pas envie de comprendre, j'ai pas envie d'avoir de l'imagination, moi non plus. J'ai juste envie de gueuler. Merde !

Téléphoné à EDF (qui ne s'appelle plus EDF, qui porte un nom ridicule, mais on s'en branle). On me dit : appelle, ils font des prix pour les pecnauds comme toi. Moi j'appelle. La fille au téléphone me parle de deux machins (je lui fais répéter quatre fois, pour comprendre de quoi elle parle, tellement elle prononce mal, avec un accent à couper à la machette), la CMU et l'ACS, me demande mon nom, et comme par hasard me dit que je n'y ai pas droit. C'est quand-même marrant, je m'y attendais, j'ai droit à rien. Les aides c'est pas pour moi, les remboursements non plus. Demain je rappelle en disant que j'ai perdu mes papiers, que j'arrive du Mali, ou d'un désert quelconque, et que je suis hébergé par Georges de La Fuly. Ça caille, chez Georges ! Ça va pas du tout, la France ! En plus il me fait faire la vaisselle à l'eau froide ce salaud ! Georges de La Fuly, c'est bien un nom de salaud, ça ! Ouais M'dame, La Fuly y fait rien qu'à m'niquer ma race, c'est un gros raciste, il a des livres de Camus plein l'escalier, là, l'gros pédé qui fout sa merde dans le vivr'ensemble ! J'te jure !

Ma préparatrice, au début je la trouvais jolie. Enfin, pas vraiment jolie, mais bandante, avec un-je-ne-sais-quoi que je connais bien chez les femmes. Brune, peau mate, parlant peu, les chairs-mercure, comme j'aime, une rondeur du jarret, mais du chien, quelque chose d'arrêté, de ferme, d'espagnol. Et puis d'un coup, elle a changé de coupe de cheveux, elle a mis des lunettes, je sais pas, elle s'est fanée, comme ça d'un seul coup, paf, plus rien. Panne sèche, ça monte plus aux nichons. L'hiver de la femme… Et toujours ce quart de sourire quand elle me parle, comme si elle me regardait de l'arrière du crâne. Je vois bien que dès que j'entre dans la pharmacie, elle sait que je suis là. Alors évidemment, le coup du je prends pas votre truc, là, c'est trop cher pour moi, elle pige pas. Quels radins, ces artistes ! Tout fout le camp. Je vais me refaire des fumigations, bonsoir.