Ah, la belle année 2012 ! François Hollande sur le trône, la Liste Ernaux, la lettre de Tord-Étron à Gérard et aujourd'hui (ou demain) la fin du monde. Les heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire, à côté de l'année 2012, c'est du pipi de chat. Il ne manquerait plus que ma chienne me quitte ! On attend avec impatience la synthèse Hardi-Trique, après les plaidoiries BB et Deneuve, pour pouvoir aller se pieuter l'âme en paix et finir l'année comme on l'a commencée : en dormant.
vendredi 21 décembre 2012
Vice de forme
Ah, la belle année 2012 ! François Hollande sur le trône, la Liste Ernaux, la lettre de Tord-Étron à Gérard et aujourd'hui (ou demain) la fin du monde. Les heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire, à côté de l'année 2012, c'est du pipi de chat. Il ne manquerait plus que ma chienne me quitte ! On attend avec impatience la synthèse Hardi-Trique, après les plaidoiries BB et Deneuve, pour pouvoir aller se pieuter l'âme en paix et finir l'année comme on l'a commencée : en dormant.
jeudi 13 décembre 2012
À la cuisine
«
Racontez-moi un peu votre travail. J'aurais bien aimé jouer du violon, mais on
m'a dit que ce n'était pas pour une fille. C'est très difficile, n'est-ce
pas ? » « Je vous envie, j'aimerais tant jouer comme vous. Vous
avez une belle sonorité, savez-vous ? Et cette chaleur ! » Hier-soir,
j'ai écouté Annie Ergot à la radio, ou plutôt un texte d'elle, en feuilleton. Les
Abbés, ça s'appelle, je crois. C'est
incroyablement mauvais. Je me souviens pourtant avoir lu deux livres d'elle que
j'avais bien aimés, autrefois, mais, curieusement, je n'en ai plus aucun
souvenir, même pas les titres. Et j'ai repensé à ce petit livre délicieux
de Goléa, "Je suis un violoniste raté". Les Roumains, je me
suis toujours demandé pour quelle raison ils avaient de si bons pianistes. Hugo
massacre son alto dans la pièce d'à côté. Je suis d'une génération où tous les
altistes jouaient faux, mêmes les bons. Honoré massacre son basson. On n'en
fera jamais rien, de ces littérateurs ! Dinu, Clara, Radu, nous les avons tous
les trois à dîner ce soir. Antoine sera là aussi, quel quatuor ! Je prépare des
endives braisées et des escalopes de veau. Au dessert, mon célèbre gâteau au
chocolat. Il paraît que Clara est très gourmande. Irène m'affirme que "Haskil"
signifierait "discernement", en hébreu. J'ai fait la leçon à tout le
monde pour qu'on ne lui parle pas de sa trépanation. Le Quatuor Ivoire viendra
à la fin du repas et j'ai mis sur le piano la partition du quintette de Brahms.
Robert m'a demandé s'il pourrait jouer la sonate de Franck avec Dinu mais je ne
prévois rien : il ne faut surtout rien imposer. J'aurais plutôt vu Clara
pour le Belge, mais Robert n'en démord pas, il prétend que seul Dinu comprend
cette musique. Marcel et René ont déjà dîné, mais ils pourront rester un peu
plus tard que d'habitude, s'ils se tiennent bien. Je prends Irène à part pour
lui redire à quel point les compliments exagérés sont à éviter, mais je sais
d'avance qu'elle n'en fera qu'à sa tête. Ah, le vin… Dans les Abbés, il est beaucoup question de
François Mitterrand ! François
Mitterrand… Tout ce que je sais de Mitterrand est qu'il aimait les ortolans.
C'est Georges qui est à la porte. Il va falloir l'éconduire gentiment. J'aimerais
beaucoup qu'il rencontre nos invités, mais s'il est là, la soirée est
fichue ! Du discernement avant tout, comme disait Papa. Ne pas mélanger
les genres. Je ne savais pas qu'Annie Ergot avait habité Annecy. J'ai sûrement
dû la croiser sans savoir qui elle était. J'ai renoncé à mon potage à cause de
la barbe de Radu. Irène prétend que c'est idiot, et elle a sans doute raison, mais
je ne supporte pas les barbes qui trempent dans la soupe. Ah, si Maman était
là !
Mains
Qu'est-ce
que ça veut dire : « Nous sommes tous les deux. » ? Il y a cet
"Autum Leaves" du trio de Keith Jarrett, enregistré le 4 juin 1994, au
Blue Note. Il y a ce sol répété (à la
manière du la bémol-sol dièse de
Chopin dans le quinzième prélude) pendant cinq minutes, après le solo de
batterie de Jack DeJohnette, qui est d'abord le pivot autour duquel s'enroule
le solo de contrebasse de Gary Peacock, puis qui devient un coup de génie
harmonique, tonique qui ne ressemble pas à une tonique, la forêt cachée par
l'arbre, parce que le contrebassiste continue à jouer une quinte (do-sol)
qui semble indiquer qu'on est en ut. Quand
je suis parti de chez moi, à seize ans, avec cette envie pressante de fuir,
d'aller le plus loin possible de ma famille, je pensais qu'il s'agissait d'un
aller simple. Il fallait un certain courage pour se défaire de tout, sans
regarder en arrière. C'est ce que je pensais du moins. C'est ce que je croyais.
On ne fait en réalité que tirer sur un élastique, et plus l'on tire fort pour
fuir plus il va nous tirer fort en arrière, un peu plus tard, mais bien plus tôt
qu'on le croit, et de bien des façons qu'on n'aurait jamais imaginées. Être mortel
signifie que, quoi qu'on fasse, on va revenir à ce néant d'où nous ont sorti un
jour un homme et une femme qui se sont aimés, sans bien se rendre compte de ce
qu'ils faisaient. On ne peut pas s'arracher les membres. Chaque geste humain
est fait pour lui revenir, sous une forme ou sous une autre, un jour ou
l'autre, et souvent quand il ne s'y attend plus. Jeter hors de soi ce qui
appartient à l'humain ne lui appartient pas. Il peut le mettre un instant hors
de sa vue, hors de sa pensée, ou de son souvenir, mais il ne peut pas le jeter
hors de portée de sa vie, de la vie qui revient, encore et toujours, sur ses
pas. L'amour d'une mère, l'amour d'une mère, on peut répéter ce genre de
formules jusqu'à se saouler, mais ce n'est pas de ça qu'il est question, ou pas
seulement. Quand elle me disait : « On est tous les deux. » eh bien
quoi ? Je ne sais pas. Vous connaissez l'Arabesque opus 18 de Schumann ? L'enharmonie, c'est la musique qui
naît au creux des mains, c'est la même note enfermée dans deux corps
différents, les mains se touchent, les mains se touchent à peine, et puis…
Jouer Schumann, c'est comme jouer le Couperin des Barricades, ou le Brahms des
Ballades, c'est retrouver la plénitude de son corps après une séparation. J'aime
les livres mais souvent je me dis que je pourrais tous les jeter, si cela me
permettait de garder une partition, une seule. Les écrivains tournent autour du
pot, plus ou moins bien, mais un musicien, un vrai, touche immédiatement au
cœur, il ne peut pas raconter d'histoires. Schumann renonce à scinder le monde,
il n'est pas tantôt de la nuit tantôt du jour, il reste dans l'ombre lumineuse
de la mère, il est dans la mort et dans la vie au même instant, quand j'écoute
Schumann, je retrouve instantanément toute la nuit de laquelle je viens, cette
nuit heureuse et douloureuse qui fait battre le cœur dans la solitude affreuse du
jour.
vendredi 7 décembre 2012
QUAND UN BRUIT VOUS ENNUIE, ÉCOUTEZ-LE
J'ai voulu me
connecter à un site sur lequel je cherchais un renseignement. Pour éviter les
robots, on m'a demandé, en guise de preuve d'humanité, de recopier les première,
sixième, onzième, dix-neuvième, vingt-septième et dernière lettres de la
phrase : QUAND UN BRUIT VOUS ENNUIE, ÉCOUTEZ-LE. Ça donne le mot
: "Quinte". Donc, pour éviter
les robots, le mot de passe est le premier intervalle consonnant après
l'octave. Les humains se reconnaissent entre eux en utilisant des intervalles
musicaux (on avait cru le remarquer). Mais pas n'importe lesquels ! La quinte de tous et celle de Charles… La même qui
sépare les quatre cordes du violon, de l'alto et du violoncelle. L'intervalle
le plus consonnant de tous, si l'on excepte l'octave qui est plus qu'une
consonance, au moins dans notre système musical occidental. J'imagine donc
qu'un site qui demanderait à ses adhérents de cocher la seizième, la
dix-septième, la vingt-quatrième, la vingt-cinquième, la cinquième et la
dernière leruitttre de la même phrase serait un site tenu par des machines, ou des machins. À bon
entendeur, salut ! Les robots entrent chez nous comme dans un moulin,
apparemment, mais, pour l'instant du moins, ils provoquent encore quelques dissonances.
Ça ne durera pas, à mon avis, puisque depuis peu on lui élève des tours, à la
dissonance, depuis lesquelles elle peut appeler les cons sonnant à la dérive, les
convertis de frais et les égarés munis de cloches et de croix, de bérets et de
baguettes. Quand un bruit vous ennuie, écoutez-le, ne vous bouchez surtout pas les
oreilles, pauvres petits Français ! En l'écoutant attentivement, ce bruit, vous saurez précisément à quelle sauce vous serez mangés dans les mois ou les années qui viennent.
Évidemment, une autre solution consiste à le faire sien, ce bruit, cet accent, à la faire vôtre, cette langue, et à ravaler celle avec laquelle vous êtes nés, à vous l'enfoncer dans la gorge comme d'autres ont avalé couleuvres, sabres et goupillons, en récitant des prières venues d'ailleurs, et c'est semble-t-il ce que vous avez choisi de faire, mais ne soyez pas surpris après ça que vos enfants ne le soient plus et que les miroirs vous renvoient une image qui vous écorche les oreilles.