L'abbé Pierre est une ordure, comme ça se disait déjà dans les années 1990 du côté de la rue de Birague. L'affaire est pliée, jugée, entendue. L'abbé Pierre a peloté des nichons sans défense, a embrassé des femmes-pures, a forniqué avec des saintes en leurs auréoles. Pierrot est un sacré numéro, avec sa bite dure et sa voix chevrotante, mais il a dû en faire bander plus d'une, j'en mettrais mes deux majeurs à couper. Il a fricoté avec des antisémites et s'est pris pour un Jésus au rabais. Bref, il n'en a fait qu'à sa tête, le curé de l'hiver et de la cloche. C'est un scandale en soutane qu'il fallait bien raccourcir un jour ou l'autre. C'était couru. Les furies aux dents rougies n'oublient jamais qu'elles n'ont pas assez joui. “Rage du cul fait passer mal de dents”, comme on dit. La passion de couper les têtes est immortelle, en France. On bave de loin, dès qu'un cou se profile sur l'étal. Mais à la différence des Sanson de jadis, les bourreaux d'aujourd'hui ne prennent aucun risque : ils coupent les têtes des morts, ils assassinent socialement, historiquement, symboliquement, numériquement, à distance et toujours en meute, sans se salir les mains ; ils condamnent et piétinent les faibles et les sans défense (quoi de plus démuni qu'un mort ? (« De vous, qui renversez les lois de la nature, / Qui, barbare, aux défunts niez la sépulture »)), jamais les puissants, jamais ceux qui sont en mesure de rendre coup pour coup. À l'époque de l'Idiot International, on était contre tout ce qui est pour, pour tout ce qui est contre. Aujourd'hui, ils sont pour tout ce qui est pour et contre tout ce qui est contre, pour tout ce qui incarne le Positif et qui tient le manche et la seringue, contre tout ce qui refuse et renâcle, ou regrette, ils n'affrontent que les perdants de l'histoire et de l'Histoire, encalfeutrés et botoxés de Justesse derrière leurs écrans imperméables aux miasmes de la réalité, sordide comme il se doit, impure et trouble, mêlée, impropre aux simplifications qu'aiment ces suaves et intraitables chevaliers du Bien. Comme toujours, les terroristes sont des êtres hyper-moraux dont la Justice est le seul bréviaire ; les lâches et les ordures prennent la pose du Juste car ils savent que la meute dominante les absout par avance. Le stratagème est que les majorités hurlantes se font passer pour des minorités piétinées, les bouchers pour des agneaux, la racaille pour l'élite, le fort pour le faible. C'est au nom du bien qu'on torture sans péril, c'est au nom de la faiblesse qu'on cogne sans entraves sur les victimes expiatoires désignées par l'air du sang.
Sur « l'affaire abbé Pierre », je n'ai lu qu'une seule parole délicate, digne et élégante, celle d'une femme, une inconnue d'un certain âge, sur un réseau social, qui expliquait que si l'abbé, dans sa chambre d'hôpital de vieillard cacochyme, s'était laissé aller à malaxer maladroitement ses seins, elle lui aurait volontiers accordé ce petit plaisir sans se sentir agressée ou réduite à la fonction d'objet sexuel, sans se croire obligée de prendre la pose de la Victime, de la femme souillée et détruite. Mais l'on sait bien qu'écrire ce genre de choses expose immédiatement aux pires accusations, au minimum à celle du crypto-complice. Qu'il ait caché des enfants juifs, qu'il ait été résistant, « l'Insurrection de la bonté » durant hiver 1954, rien de tout cela ne compte. La seule chose pertinente, c'est : comment s'est-il comporté vis à vis des femmes ? Le reste n'intéresse pas. Tu touches un nichon tu vas en enfer. Point barre. Tu crois être protégé par le tombeau ? Gros naïf ! On ira te chercher parmi les vers et la cendre pour te traîner au Tribunal des Vertueuses de la Vengeance Éternelle. Pas de prescription, fût-elle biologique. Rien de tout cela ne tient devant l'exigence de Réparation du Nichon Glorieux.
Je n'ai pas de sympathie particulière pour l'Abbé, Pierre ou Paul, icône ou salaud, mais j'ai une antipathie franche et brutale pour les justiciers anachroniques, pour les redresseurs de torts d'outre-tombe, et pour tous ceux qui luttent toujours à contretemps en se regardant dans le miroir, sans égards pour le pardon et l'oubli, sans considération pour l'humaine humanité, faillible et imparfaite.
Le Morveux-roi et tout-puissant, ou la Morveuse, en l'occurrence, qui aurait terrifié tout homme normal de l'époque historique, c'est-à-dire tout individu éduqué, passé par les mains caleuses d'un père et d'une mère normaux, eux aussi (c'est-à-dire éduqués) a reçu une fessée et un verre d'eau sur la tête. La France unanime se dresse dans une apoplectique réprobation. On ne touche pas à l'Enfant ! Le Sacré du Sacré, le sommet de la pyramide inversée, le Corps Glorieux du Nouveau-monde. La Brailleuse complètement cinglée qui rendrait fou n'importe qui n'a pas eu le cerveau complètement lavé par les Nouvelles-Folles associées s'est pris une claque sur les fesses : déclaration de guerre immédiate et totale, Hiroshima psalmodié de l'Indiscutable : lance-flammes pour ceux qui ne supportent pas ce monde de tarés, et qui osent réagir comme on l'a fait durant des siècles. Pourquoi cette merdeuse a-t-elle reçu une fessée ? Tout simplement parce qu'elle n'en a pas reçu à la maison, ou, si l'on préfère, tout simplement parce qu'elle a des parents qui n'en sont pas, et qui croient pouvoir se délester en toute bonne inconscience de ce fardeau sur autrui. Pardon, mais moi, ce que je vois, ce que je constate, ce qui me crève les yeux, c'est que les Merdeux et les Merdeuses, qu'ils aient trois ans ou douze ans, qui nous pourrissent l'existence partout et toujours, à l'école, dans les trains, dans les salles d'attente, dans la rue, dans les magasins, dans les cinémas et les salles de concert, ont commencé à exister à partir du moment où ce dogme de l'Enfant-sacré s'est répandu dans la France des années 70. Enfants de la télé, enfants de la pilule, enfants du Web, enfants doltoïsés, enfants de 68, enfants admirés, enfants des mères sans pères, enfants-pas-touche, enfants-des-droits, enfants sans péché, enfants de la-construction-du-savoir, enfants enfin qui nous enseignent la vie et qui portent en eux la Vérité non construite, non-dialectique, la vérité idéale et spontanée qui sort de son puits en gueulant. Je le sais bien, qu'ils ne sont pas coupables, puisque les coupables sont les parents ; mais la maitresse, elle, n'est pas face aux parents. C'est elle qui devient folle à devoir supporter ça, et c'est elle vers qui va ma compassion immédiate, même si c'est une conne et qu'elle est sans doute aussi responsable que ces parents qui n'en sont pas quand elle est chez elle face à sa propre progéniture. Car tout se tient. J'ai eu cet âge-là, figurez-vous, j'ai reçu des fessées et des gifles, de la part des parents, des maîtres et des maitresses, et je me fiche pas mal de savoir qu'on va me trouver simpliste et de parti-pris : non seulement je n'en ai pas été traumatisé, ni blessé, mais j'éprouve de la gratitude envers ceux et celles qui ont levé la main sur moi. De la part de mon père, une seule fois, une gifle. Il faut dire qu'il n'avait pas besoin de ça pour que son autorité se manifeste. Le ton de la voix et le regard suffisaient. Ma mère, en revanche, avait la main leste. Je me rappelle encore la gifle magistrale, à tous les sens du mot, d'un instituteur, en CM1, je crois, au tout début de l'année scolaire. Quelle introduction ! Ce maître, qu'on surnommait « Tape-dur », je l'ai beaucoup aimé, et ce fut réciproque. Jamais il ne serait venu à l'idée de mes parents d'aller le voir pour lui reprocher son geste. D'où vient le « on ne frappe pas un enfant » ? Quelle légitimité a-t-elle, cette injonction, au regard de l'histoire et de la civilisation ? Qu'a-t-il produit, surtout, ce dogme ? Comme toujours, le Moderne est incapable de se regarder autrement qu'à travers ses propres yeux, de se juger autrement qu'avec les idées et principes qui sont les siens, incapable en somme de se décoller de lui-même et de son époque, ne serait-ce qu'un instant, d'avoir un regard comparatif, c'est-à-dire non-absolu, historique, humble. Tout partant de lui et tout y revenant, il est parfaitement logique que l'enfant partage avec lui cette tautologie en actes.
En réalité, pourquoi l'adulte d'aujourd'hui ne veut-il plus lever la main sur l'enfant ? Parce que l'enfance n'existe plus. Les néo-parents voient dans leurs enfants leurs doubles. Ils refusent donc d'en venir aux mains avec eux-mêmes car ils ont été eux-mêmes élevés dans ce sentiment de la Fragilité principielle. L'enfant est déjà achevé avant d'avoir été élevé. Il est complet avant d'avoir été instruit. Les parents d'autrefois n'étaient pas nos copains. Il y avait des générations et donc des conflits de générations. Nous étions séparés de nos parents, même et surtout quand ils nous aimaient. C'est ça, qui compte, c'est la séparation, c'est la frontière, c'est la non-coïncidence. Mais ça c'était du temps qu'il y avait des classes sociales, des classes d'âge, des temps historiques, du temps discontinu, des frontières, des discriminations, des sexes, des âges, des disciplines, du remords et de la honte, de l'antagonisme, du temps que l'homme essayait encore d'être ponctuel et d'avoir une parole, une parole d'homme. Tuer le père n'est possible que s'il y a un père (et pas un papa). Comme il n'y en a plus, les enfants se tuent eux-mêmes et nous tuent par la même occasion. Les parents ne veulent plus de conflits avec leurs enfants, en conséquence de quoi le conflit s'est généralisé. Et ça hurle dans tous les sens, partout, constamment. Belle victoire pour ceux qui n'ont que le mot « respect » à la bouche ! En définitive, c'est toujours la même histoire qui se répète : on ne veut plus de conflits, plus de violence, plus d'antagonismes, plus de Négatif, on les interdit, on les éradique, et la violence, le conflit et la guerre de tous contre tous prolifèrent, s'étendent à tous les domaines, envahissent tout. Ça ne rate jamais.
L'abbé Pierre est une ordure parce que TOUS LES HOMMES SONT DES ORDURES. Je viens de regarder une séquence télévisuelle absolument extraordinaire, terrifiante et exemplaire. Je dis extraordinaire, mais justement, elle ne l'est pas, extraordinaire, car si elle l'était je n'en parlerais pas. Elle reflète l'ordinaire, la norme, le canon, au contraire, et c'est précisément cela qui est terrifiant. Manon et David se rencontrent en 2015. Entre eux, c'est une évidence. David, en couple à l'époque, quitte alors sa compagne pour s'installer avec Manon. Quatre mois à peine après leur rencontre, le petit Ethan vient concrétiser leur amour. Le jeune couple se fiance et déménage à la campagne. Une vie idéale pour une vie de famille qu'ils comptent bien agrandir. Le 12 mars 2018, Manon, folle de joie, annonce à David qu'il va être papa pour la seconde fois. [Applaudissements.] Manon se rengorge devant les caméras. Brune, jeune, les cheveux longs et bouclés, assez mignonne, mais infinie tête-à-claques. « Vous êtes très beaux tous les deux. Vous ne voulez pas venir nous rejoindre, David ? J'ai envie de vous avoir avec nous. » Le David en question, la petite trentaine, brun, barbu, polo bleu, les épaules basses, marche comme un condamné qui rejoint son box. Il va comparaître devant les Femelles. Il s'asseoit à côté de sa femme qui lui attrape la main gauche et la place entre ses cuisses bien serrées, doigts enlacés. La journaliste « salue le courage de David » et dit que « l'homme est faillible, humain, malgré l'amour », et qu'il va falloir expliquer « les difficultés pour un homme, les difficultés autour de la maternité, tout ça ». Et « merci de votre courage, vraiment ». La femme souriante, Manon, après s'être essuyé les yeux, regarde son époux courageux en lui tenant fermement le bras. « Vous nous permettez qu'on raconte votre faute ? » Et David : « Oui oui, bien sûr ! » Dans l'assistance, pas un homme… Manon, accent du midi, se met à raconter l'histoire, en tenant toujours très fermement l'avant bras de l'homme qui serre les fesses et a de plus en plus l'air d'avoir chié dans son jean. C'est sans doute à ce moment-là qu'il commence à comprendre dans quoi il s'est fourré, mais il ne peut plus faire machine arrière. « J'étais enneceinnete, donc, ben, moi toute connetente, je prépare une petite boîte avec les testeuh de grossesse, le midi, donneque, avec un petit mot : “Veux-tu être mon papa ?” À mon grand j'avais fait un petit T-shirt avecque marqué « Futur grand-frère. Bravo Papa, Bravo Maman”. (« Trop choupinou », commente la journaliste.) Doncque, du coup il rennetre le midi, il ouvreuh la boîteuh, il était connetent. Bon, du coup, tout allait très bien. Petit nuage, donneque, j'étais enneceinte, tout se passait pour le mieux, pour ce que je pennesais. » Mais la journaliste redevient grave : « C'était quoi, l'ombre au tableau ? » Tout en parlant, Manon tient très fermement le bras de David. Non seulement elle tient la main gauche de l'homme endoigtée dans sa main droite, mais en plus, elle recouvre l'avant-bras gauche de son homme de son avant-bras gauche à elle. Lui regarde dans le vide, essaie de se cacher derrière sa barbe, et d'un visage mi souriant mi constipé, essaie de se composer une mine qui devrait pense-t-il lui permettre d'atteindre le bout du tunnel sans trop de dommages. Là, on commence à entendre des phrases du genre : « Là je regarde son téléphoneuh et je vois… » David est attiré par une amie d'enfance qui revient dans sa vie. « Là, je veux plus que tu la voies, j'ai pas confiance, je la sens pas. » Dans la nuit, réveillée pas « son grand » qui braille, Manon « s'ennuie » et « y a le téléphone à côté » (celui de David, bien sûr). Elle raconte que ses copines lui avaient expliqué comment on espionnait son mec en fouillant dans son téléphone ; qu'on pouvait par exemple lire les messages supprimés. « Doncque voilà, je me suis ennuyée, doncque du coup j'ai pris le téléphoneuh de David et j'ai commencé à fouiller. » Le dos de David s'arrondit de plus en plus. « Et puis là je vois un message, ta bouche, tes cheveux, bon… Mon cœur s'emballe. J'ai pris mon fils, je l'ai posé, je suis partie dans la chambre, lui il dormait à côté, je suis descendue au garage, et j'ai appelé ma mère direct. David me trompe ! » David est hagard, ses yeux partent dans tous les sens, mais il ne peut pas retirer son bras, il est fait comme un rat de laboratoire. On sent ses vertèbres qui se tassent les unes sur les autres, qui s'enfoncent les unes dans les autres, il perd cinq centimètres, il cherche sa respiration, il inspire juste ce qu'il faut d'oxygène pour ne pas tomber dans les pommes. Disparaître devant des caméras de télévision, quand ta meuf est en train de pérorer en chaire, te coince la bras dans un étau et qu'elle vit son heure de gloire au Tribunal, c'est très compliqué, mon pauvre David. Il tente de ne plus écouter, mais c'est dur. La voix de Manon est de plus en plus assurée, elle a tout le public et le jury avec elle, toute la Matrice est suspendue à ses lèvres et la pousse à aller jusqu'au bout : Vas-y, Manon, donne-nous les clefs pour les coincer une bonne fois, ces salauds. Raconte comment on pirate un téléphone, comment on lit tout, comment on entend tout, comment on voit tout, comment on sait précisément où se trouve l'ordure, avec qui, à quelle fréquence bat son cœur, si sa bite est tendue ou au repos. On veut savoir, on veut avoir accès au livre ouvert de ces salauds, on veut faire une analyse en temps réel de leur salive, on veut savoir si leurs poils sont dressés ou couchés, secs ou mouillés, à quoi ils pensent, s'ils ont bandé le mois dernier en voiture, et pour qui. « Sur Youtube, ils marquent tout, comment faire et tout. » Les sœurs ouvrent grand leurs oreilles. Transparence totale. Plus de secrets. Toute puissance. On retient son souffle. Le blanc des yeux de David commence à se teinter de rouge. Il voudrait les fermer, ses yeux, mais c'est impossible. Il doit durer et endurer ; survivre. « Et là il est parti et il est revenu en pleurs. » Ce n'est plus David, son mari, qui est assis à côté de Manon l'experte en espionnage, c'est « il ». C'est l'Homme. C'est le Coupable. C'est la Proie. Alors, David, quelles sont vos excuses, quelles sont vos explications ? Est-ce que vous vous repentez ? Est-ce que vous avez des circonstances atténuantes ? Il avoue tout, David. Il est coupable, il ne le nie pas. « Y a toujours la bonne excuse du “ça allait pas dans le couple”. Sûrement la peur d'être père une deuxième fois… Un peu tout qui s'est cumulé. » Il récite sagement le catéchisme qu'on lui a appris, la voix blanche. Allons jusqu'au bout. De toute manière le verdict est déjà connu. La journaliste se croit même en devoir de l'aider à débiter son laïus : « Vous vous sentiez délaissé, un petit peu ? » d'un air qui ne laisse aucun doute sur sa compassion formelle de juge qui connaît l'issue des choses. Elle le plaint sincèrement d'être un homme, de n'être qu'un homme. Allons, soyons magnanime, ça ne doit pas être facile tous les jours… Soyons clairs, David n'a pas trompé sa femme. Il a seulement échangé des textos et des messages un peu chauds, il a seulement flirté avec sa copine d'enfance. « J'ai vu qu'il y avait plusieurs applications [de surveillance], mais j'ai pas cédé, encore… » explique Manon. « On peut… allumer son micro à distance, on peut tout faire, en fait. » Manon n'a pas encore cédé. « Je veux que tu assumes et que tu t'excuses encore toute ta vie. » Et vous, David, vous vous en voulez à mort, en fait ? Il frotte la main de sa femme. « Je veux avancer. Au final, je sais pas si tout ce que je fais sert à quelque chose ou pas. » Ses yeux s'enfoncent dans leurs orbites. « Moi, quand je travaille sur l'émission et qu'on me dit que vous êtes là, je trouve ça très courageux et très fort. C'est un très beau message d'amour. » Et Manon, pour conclure : « J'attends le jour où tu vas refauter. Et je sais qu'un jour on se séparera parce que je sais que tu vas refauter. » David frotte l'avant-bras de sa femme, il se tord dans tous les sens, il se dandine sur son siège, il a peut-être une diarrhée foudroyante. Et là, miracle, il saute le pas, il se décide, tout à coup, il montre les coulisses du menton, et bredouille comme un pauvret : « Je reviens. » Elle n'en revient pas, Manon, mais David se met debout, enfin, et s'en va ! La journaliste émet un « Y pas de souci », prise de court. David a trouvé le courage de fuir, enfin ! On espère qu'il a fui non seulement le procès de Moscou auquel il vient de participer, mais surtout sa femme, sa vie, son couple. Ouffa ! Hourra !
L'abbé Pierre est une ordure, David est une ordure, Je suis une ordure, Nous sommes des ordures. Tous nous avons fauté ou nous fauterons. Nous ne connaissons ni le jour ni l'heure, c'est la seule incertitude. Ce n'est pas un peuple, les femmes, mais un public, qui le dit. Un public qui applaudit ou qui maudit, et souvent les deux à la fois. Formose, un pape du neuvième siècle, a été exhumé par l'un de ses successeurs, Étienne VI. On a installé le corps sur un trône et on l'a jugé. Un diacre répondait aux questions à sa place. On lui a coupé les deux doigts de la main droite. Il faut exhumer le Castor méditatif, Henri Grouès le Lyonnais et lui couper la bite qu'il n'aurait jamais dû avoir — il doit bien en rester un morceau, de cette légende à laquelle Roland Barthes a consacré une de ses Mythologies. L'orage approche. L'orage est là. Les grues de leurs becs déterrent les cadavres et piquent leurs os. Le curé dit Pierre est mort, il faut le ressusciter pour qu'il s'acquitte enfin de sa dette éternelle. L'Histoire qui le protégeait n'est plus. Avec lui seront déterrées toutes les ordures qui ont souillé le corps des femmes ou leur esprit ou leurs entrailles de soie et d'or. Ils trembleront enfin, même défunts, même cadavres, même poussière. Les Humiliées applaudiront, elles maudiront en chœur. Caroline, Manon, Judith, Annie, Thérèse, Maud, Faustine, Clara, Babeth, Claudine, Marie, Catherine, Chloé, Farida, Lucie, Bérénice, Sylvie, Emma, Véronique, Clotilde, Jane, Sonia, Sabrina, Michèle, Bénédicte, Raïssa, en cercle, en conclave, en robes, en toges, ces très-bonnes du curé, elles déchaineront le feu qui les brûle sur les vieilles couilles des spectres reconstitués pour l'occasion. La science sera sollicitée. On ne négligera aucun moyen.
On vous dit que vous vivez dans une société laïque. Vous le croyez. On vous dit que les femmes ne veulent que la justice dont vous les avez trop longtemps privées. Vous le croyez. On vous dit que Dieu est mort et que vous êtes vivants et libres, que l'État vous protège, on vous dit beaucoup de choses que vous devez croire sous peine de vous mettre tout le monde à dos, et vous ne demandez pas mieux que de croire à la Science, au progrès, à l'Homme, à la justice de votre pays, à la Raison, à la République, à la médecine, aux représentants du peuple, à la Démocratie, aux images qui inondent vos écrans nuit et jour, aux voix qui vous parlent dans votre solitude, aux enfants, à votre smartphone, à l'intelligence artificielle, aux algorithmes, à la Communauté, à Cyril Hanouna et aux influenceurs. Vous croyez beaucoup et tellement que vous en oubliez que vous croyez. La seule chose à laquelle vous ne croyez plus, c'est à la division sexuelle, c'est-à-dire au monde réel, à ce qui a produit le monde durant des millénaires et ce qui a permis votre arrivée sur cette terre. Vous êtes les premiers hommes auto-engendrés, qui se sont tirés eux-mêmes du néant originel et indifférencié, les premiers exemplaires de ce monde merveilleux dans lequel les femmes n'auront plus besoin des hommes. Bravo ! Croyez et croissez ! Vous serez immortels parmi les fantômes sur lesquels vos déesses jetteront de la soupe ou de la peinture noire. Le peuple des ordures vous salue bien. Vous avez eu la peau de ces ombres. Bravo !