Elle est étonnante, celle-là. Elle met une application qui semble tout de même un peu exagérée à démontrer par tous les moyens à sa disposition qu'elle est bête comme ses pieds, sans qu'il y ait la moindre hésitation possible sur le constat, mais elle revient quotidiennement pour nous reprocher de la mépriser. Or, si elle ne venait pas chaque jour nous mordre les mollets et nous provoquer, d'une manière ou d'une autre, nous l'aurions à peine remarquée, et nous n'aurions même pas besoin de la « mépriser ». Elle n'est tout simplement pas de ces gens avec qui l'on a envie d'échanger ne serait-ce que quelques phrases sur un réseau social : chacune de ses interventions découragerait un hippopotame en chaleur de lever une paupière. Et surtout, elle croit, comme tous les imbéciles de son espèce, que tout parle d'elle et que nous passons notre temps à nous intéresser à ses faits et gestes. Il lui est impossible de croire que le monde ne l'a pas remarquée et ne fait pas de gorges, chaudes ou froides, sur son cas. Sont-elles toutes comme ça, ces vieilles profs à la retraite ? Quand on voit le niveau de leurs interventions, on en vient à excuser les cancres qu'elles ont échoué à instruire — ou qu'elles ont réussi à désinstruire. Je ne vois qu'un Michou Pectorian, qui s'approche un peu de ce genre d'imbécile. Non, je suis tout de même injuste, il la dépasse de cent coudées, bien entendu, mais lui joue dans une tout autre catégorie, celle des géants ridicules-obscènes : il a un personnage à défendre, et il le défend biceps-et-ongles, au-delà de toute prudence, d'ailleurs, mais enfin, c'est son affaire.
Depuis une semaine, sur Facebook, grosse attaque de péquenauds, rustres, mufles, et imbéciles goguenards en tout genre. Mon index bloqueur s'en est donné à cœur joie, je dois dire. C'est un soulagement de voir disparaître ces faces patibulaires dans les oubliettes numériques, et l'on se demande toujours pourquoi on ne l'a pas fait plus tôt.
Celle-ci, par exemple, qui vient chez nous pour faire de la publicité pour ses livres que nous ne songerions pas à acheter. Pourquoi pas, après tout ? Je suis bien placé pour savoir que la publicité est essentielle, quand on essaie de vendre quelques exemplaires des livres qu'on a écrit, et que tous les moyens sont bons (mais non, justement, tous les moyens ne sont pas bons) pour rappeler aux autres que parler c'est bien mais acheter c'est mieux. Je n'ai donc à peu près rien dit quand elle a déposé sa petite vignette, sauf qu'elle « ne doutait de rien », puisqu'elle nous signifiait tout de même que pour qui s'intéresse à l'amour et à la sensualité, il n'y avait pas mieux que sa production. Ma foi, je ne demandais pas mieux que de vérifier, moi, et je lui ai donc proposé de m'envoyer un de ses ouvrages, que j'aurais lu avec intérêt, car j'ai de la curiosité, en ce domaine. Ici, il faut préciser que lorsqu'on est édité par un éditeur, envoyer ou plutôt faire envoyer un de ses livres ne coûte rien à l'auteur, à la différence de l'auto-édition où l'écrivain paie chaque livre de sa poche (ce qui fait que, malheureusement, je suis dans l'incapacité absolue d'en offrir autour de moi). Là-dessus, la dame me répond sèchement : « Laissez tomber. Je plaisantais. Humblement. (Travail mérite salaire, non ?) » Ça, que tout travail mérite salaire, ce n'est pas moi qui dirais le contraire. Mais justement, quand on est publié par une maison d'édition, faire envoyer un de ses livres à un lecteur ne retire rien à ce qu'on gagne, et permet, éventuellement, de s'attacher un nouvel anagnoste. Bref, je n'ai pas insisté, mais voilà qu'elle revient à la charge avec un : « Ce que vous dites est vilain » ! Vilain ??? J'aurais bien aimé qu'elle m'explique en quoi ce que j'avais dit était « vilain ». Personnellement, si j'avais de l'argent, même un tout petit peu, je me ferais un plaisir d'offrir mes livres à mes amis. Si je les vends, c'est uniquement pour vivre, ou pour survivre. J'ajoute que je connais un grand écrivain, grand parmi les grands, qui m'envoie chacun de ses livres, alors que je sais pertinemment que cela lui coûte beaucoup d'argent, et qu'il est très loin d'être riche. (Je reçois toujours ses livres avec beaucoup de gratitude — et de gêne, pour la raison que je viens de dire.)
Un autre a tenu à venir nous dire, sous une image que nous venions de publier, qu'il la trouvait moche. Là encore, pourquoi pas ? Il a bien le droit de le penser, que c'est moche. On se demande un peu quel intérêt y a-t-il à venir l'affirmer sous la publication de l'auteur, mais bon… En revanche, quand nous le remercions sobrement, et qu'il croit très spirituel de répliquer par un « Avec plaisir », là se situe pour nous la frontière entre le désagréable et la muflerie. Hop. Un de moins. De toute façon, il avait un pseudo idiot. La blague, la blague, la blague, la lourdeur, la lourdeur, la lourdeur. Entre les deux : pas grand-chose.
Il y a eu aussi le mufle absolu, le péquenaud absolu, le personnage de Caméra Café caricatural qui se trouve si beau et intéressant qu'il se portraiture chaque semaine au volant de sa voiture, avec ses lunettes de soleil et le sourire qui va avec. Celui-là nous a reproché de vendre Luna trop cher. « 25 Euro tout de même, vous ne vous mouchez pas avec le dos de la cuillère. Bref. » Et de nous faire remarquer, avec quelle élégance !, qu'il était sur le point de le commander. Et il faudrait commercer (au sens littéraire et littéral) avec des gens pareils ? Plutôt crever ! Bref, comme il dit…
Et il y eut, surtout, tous ces commentaires invraisemblables sous les vœux d'anniversaire que j'ai eu la mauvaise idée d'adresser publiquement à Renaud Camus, le 10 août. Je ne souhaite jamais publiquement l'anniversaire de personne sur un réseau social (à quoi bon faire la publicité d'un geste éminemment privé ?), j'ai horreur de ça (et surtout de ceux qui se le laissent souhaiter), mais il m'a semblé, ici, que je pouvais faire une exception pour Renaud Camus, ce qui était une manière de l'honorer, et surtout une façon discrète de rappeler à ceux qui l'ignorent que cet immense écrivain venait d'avoir 77 ans. Las ! Quelle erreur j'ai faite ! Pas un, ou presque, de ceux qui ont commenté ce statut Facebook ne comprend ce qu'est une entrée Facebook, n'en comprend le statut, précisément. Tous, ou presque, ils s'adressaient directement à celui à qui j'avais présenté mes vœux. Mais, s'ils veulent lui souhaiter un bon anniversaire, ce qui est très bien, qu'ont-ils besoin de moi ? Il est tellement simple d'écrire deux mots en son nom propre, pour ce faire ! Qu'on dépose discrètement un like sous ma publication, pour en amplifier l'audience et s'y associer ne me dérange pas du tout, mais qu'on vienne « chez moi » pour dialoguer avec Renaud Camus me paraît tout à fait inconvenant, et même, disons-le, imbécile. Il faut donc tout leur expliquer ? Les prendre par la main comme de petits enfants qui découvrent le monde ? On dirait bien. Et puis, bien sûr, il y a tous ceux qui en profitent pour venir étaler lourdement leur humour ou leur esprit si fin, pour venir se montrer… Que tout cela est laid et bête !
Ah oui, et j'allais oublier cette jeune femme qui croit très malin de venir m'expliquer, sous une publication consacrée à Sharon Tate, publication dans laquelle je m'interroge sur la fascination que le visage de la femme de Roman Polanski exerce sur moi —ayant bien pris soin de préciser immédiatement que cette fascination n'avait rien à voir avec sa mort tragique — que, bien sûr, ma fascination ne peut s'expliquer que par sa mort tragique ! Cette jeune femme sait mieux que moi ce que je pense (et comment je pense) et tient fort à ce que personne ne l'ignore. Si j'affirme que cela n'a rien à voir, c'est précisément parce que cela à tout à voir, c'est l'évidence, pour cet être extra-lucide. Les imbéciles ont toujours des explications simples qui répondent merveilleusement mal aux questions complexes. Ils aiment répondre à côté.
Bref, les péquenauds, au mois d'août, se sentent tout puissants. On peut leur faire confiance pour qu'ils viennent nous expliquer la vie et la psychologie, forts de leur immense sagesse et expérience. Un péquenaud est un péquenaud : un jour ou l'autre, quoi que vous fassiez, vous aurez affaire à sa muflerie épaisse de gros péquenaud, c'est comme ça. Il faut s'y résoudre.
Je l'écrivais il y a deux ans : « Pour que l'énervement nous prenne, il faut que deux éléments entrent en contact. Une mécompréhension et un mensonge, par exemple, une erreur et autre chose (désinvolture, cuistrerie, grossièreté, etc.), un contresens et un humour pesant, que sais-je. C'est toujours quand la deuxième dose rencontre la première que naît l'exaspération. Il se crée alors une réaction chimique qui fouette les nerfs. Une seule raison, même si elle est grave, ne suffit pas à déclencher notre colère. Ceux qui ont de la sensibilité et de l'esprit sentent immédiatement qu'il est temps de se taire, ou de prendre un autre chemin. Grâce leur soit rendue ! Les autres poursuivent, et s'étonnent de notre réaction. » Je n'ai rien à changer à cette formulation. Les agacements sociaux (et privés, d'ailleurs, mais dans une moindre mesure) sont toujours consécutifs à ces deux phases successives, ce qui explique que la plupart du temps, les gens ne comprennent pas notre exaspération. En effet, ils n'ont en tête, dans le meilleur des cas, que la seconde, quand ils ont complètement oublié la première. Pas nous.
Comme l'écrivait Renaud Camus dans un tweet de 2016 : « Qu’il s’agisse de littérature, d’art, de tourisme, d’éducation ou d’institutions, c’est le destinataire qui finit par déterminer le contenu. » C'est très sensible sur un réseau social. La qualité de ce que l'on publie n'est rien. Le plus bel aphorisme du monde sera immanquablement reçu et donc traduit en une vérité de péquenauds, neuf fois sur dix. Lâcher des phrases dans la nature, c'est se condamner à désespérer.