lundi 21 août 2023

Boomers

Je ne connais rien de plus stupide que les guerres de génération. Voilà un genre qui relève vraiment du radicalisme à eau-tiède. Chaque génération peut avoir l'impression que le monde dans lequel elle grandit a été saboté par la ou les générations précédentes, comme tout enfant peut avoir le sentiment que ses limites propres lui ont été données par ses parents et son entourage familial. Ce n'est d'ailleurs pas faux, mais en faire état, passé l'âge de raison (ou celui de la puberté), pour les en blâmer, me semble le comble de l'infantilisme et du nombrilisme. Quoi qu'on fasse on est coupable, devant les enfants et les nouveaux venus : il est beaucoup plus difficile d'être des parents que d'être un enfant. Mais imaginons-les cinq minutes vivant de 1945 à 1970, nos jeunes gens, vous voulez bien, ou, encore mieux, de 1940 à 1965 ? Croyez-vous sérieusement qu'ils se seraient comportés autrement ? Mieux ? Auraient-ils eu, eux, la force extraordinaire et le génie sans précédent de s'extraire de leur époque ? Qui peut raisonnablement croire une chose pareille, alors que nous les voyons s'engouffrer tête la première et avec délectation dans toutes les sottises contemporaines, avec un affolant manque de recul, et, surtout, avec cette morgue qui me paraît difficile à égaler.

Les générations précédentes ont fait ce qu'elles ont pu, dans le monde qui leur était donné, exactement de la même manière que celles qui sont en train de se déchaîner contre leurs aînés comme de sales enfants gâtés à qui tout est dû, l'avenir et même le passé — passé qu'elles ne connaissent absolument pas, car la curiosité et l'humilité ne sont pas leurs plus grandes qualités. C'est la simplification et l'aplatissement du réel, qui octroient aux nouveaux venus cette arrogance et cette prétention démesurées, qui les rend si antipathiques et si barbants. Méconnaissance de l'histoire, méconnaissance de la langue, principalement, ces deux ignorances avancent du même pas et se confortent l'une l'autre jusqu'au vertige, la langue étant l'inscription de l'être et de l'identité dans la durée de la parole ; quand on constate ce qu'elle est devenue, on est pris d'épouvante. 

Il y a des formes de bêtise qu'on n'admet pas, et d'autres qu'on supporte très bien, qui peuvent même être charmantes. C'est injuste mais la vie est injuste, heureusement. Cette forme de bêtise-là, la boomerrerie, je ne la supporte pas. Elle m'est tellement antipathique que j'en deviendrais mauvais. Il y a des limites à la connerie et à l'indécence, tout de même. L'arrogance de ceux dont l'absence d'expérience et de nuance vaut brevet n'est bien sûr pas l'apanage de ceux qui sont nés il y a vingt ou trente ans, toutes les adolescences ont en commun cette forme déplaisante d'ineptie, mais ce qui est neuf, tout de même, c'est que l'adolescence est aujourd'hui sans fin, de même que la petite-bourgeoisie est sans autre. On peut d'ailleurs se demander si l'adolescence n'est pas la forme essentielle de la petite-bourgeoisie régnante. En tout cas, la langue, la musique et les manières semblent caricaturalement cohérentes, au sein de la nouvelle classe unique. C'est comme si toute l'expérience humaine était vue et interprétée depuis une étroite fenêtre temporelle, celle à laquelle s'accoudent les ados pour scroller dans leurs affects en kit.