« L'adepte, comme le partisan, fatigués sans
doute de rechercher par eux-mêmes la vérité,
s'en remettent à des instances qui les
déchargent de ce fardeau. N'étant plus seuls
devant l'inconnu, ils acquièrent à peu de frais
l'agréable conviction d'être sur la bonne voie. »
Le Moderne renonce assez facilement à beaucoup de choses, on s'en aperçoit en ce moment, mais il y a une chose à laquelle il ne renonce pas, c'est sa non-liberté, qu'il chérit hystériquement.
Certains noms, certains visages, certains personnages attirent les cons, c'est indéniable. Pierre Boulez fait partie de ceux-là. Il est l'un de ces remarquables papiers-tue-mouches sur lesquels on voit s'agglutiner des grappes de cons dès qu'il nous prend l'envie de le citer ou simplement de déposer une photographie qui atteste qu'il fut notre contemporain. C'est automatique. J'en ai encore fait l'expérience tout récemment sur Facebook. C'est un peu comme de laisser traîner de la viande ou du sucre sur la table de la cuisine en été, vous pouvez être certains qu'en quelques heures, et parfois moins, toutes sortes de bestioles vont rappliquer pour se régaler du festin qu'on semble leur offrir. Le côté systématique de la chose est à mon goût assez rébarbatif, mais pour les bestioles en question, il semble n'exister aucune lassitude, bien au contraire.
J'avais donc déposé une belle photographie sur laquelle on voyait le vieux Boulez en compagnie de Ricardo Muti. Même si c'est ici le chef d'orchestre, et non le compositeur, qui à l'évidence est figuré aux côtés de son confrère italien, les mouches à merde n'ont évidemment pas pu s'empêcher de venir déposer leurs petites crottes malodorantes. L'une disait : « Je plains Muti » et l'autre : « Lorsque l'on vient d'entendre un morceau de Boulez, le silence qui suit est enfin de la musique ^^ ! » On est tout de suite saisi par la finesse, la profondeur et l'auguste pertinence du propos. Mais l'important n'est pas tant ce qui est dit — l'important, c'est la réaction. Ce qui frappe surtout, c'est le côté inévitable, impérieux, automatique, de la réponse. On semble les avoir purgés, et on les voit courir aux toilettes pour soulager leur tripe impatiente et chauffée à blanc. Boulez leur est une sorte d'huile de ricin culturelle. Ces gens réagissent à des stimulus simples, en toute occasion, et ne savent faire que cela. C'est cette pathologie monomaniaque qui est exaspérante. Ils ont évidemment le droit de ne pas aimer la musique de Boulez, il serait absurde de prétendre le contraire, mais quel besoin ont-ils de systématiquement nous faire part de ce dégoût qui semble les maintenir en vie, qui leur tient lieu de colonne vertébrale morale ? À quoi répond ce besoin ? La figure de Boulez est ici doublement éclairante, et je dis doublement, mais je pourrais dire triplement, ou quadruplement. En premier lieu, il y a la figure du compositeur-contemporain. Celle-là pourrait suffire à déclencher la furieuse vidange, car il est bien entendu admis, et plus qu'admis, indiscutable, que la musique contemporaine c'est n'importe quoi. (À ce titre, voici sur quoi je tombe ce matin, au détour d'un statut Facebook : « L’atonalisme rejette la loi harmonique ou loi de la consonance qui, d’une façon ou d’une autre, régit toutes les musiques du monde, sans exception. Il s’ensuit que la “musique” atonale est non seulement désagréable à entendre à cause de sa cacophonie, mais aussi qu’elle est dépourvue de sens, d’intelligibilité. Seule en effet la tonalité, la consonance, l’harmonie confèrent une cohérence à une combinaison de sons. Incapables de créer des émotions [ah ah ah ah !], les compositions atonales ne sont donc pas de la musique. En France, solidement barricadés dans leurs forteresses étatico-culturelles [cmqs], abondamment pourvus de subventions, les atonalistes obligent les musiciens des conservatoires à jouer des partitions qui ne trouveront jamais de public pour entretenir le mythe d’un courant musical qui n’existe pas [cmqs]. Ces révolutionnaires constituent seulement une élite de petits malins qui savent capter des fonds publics tout en méprisant un peuple qui ne les reconnaît pas mais reste obligé de les financer. »* Il suffit de lire cette phrase, très entre autres : « Seule en effet la tonalité, la consonance, l’harmonie confèrent une cohérence à une combinaison de sons » pour savoir à qui l'on a affaire. Je me demande comment il est possible de discuter avec des gens qui sont capables d'écrire tranquillement des choses aussi absurdes tout en étant persuadés d'énoncer des évidences.) Cela fait partie des idées reçues les plus solidement implantées dans le discours petit-bourgeois actuel. Et ce truisme est encore redoublé par un autre type de discours, un discours que, faute de mieux, j'appellerais le complexe du droitardé. Deux types de ressentiments se rejoignent ici. La petite-bourgeoisie considère que tout ce qui est (ou semble) d'un accès difficile, qui demande un certain degré de culture, ou plus simplement, peut-être, une éducation particulière — ou simplement du temps — attente au sacro-saint principe d'égalité qui prévaut en ses rangs. Tout, selon elle, doit être immédiatement accessible, sous peine de rétablir ici ou là l'ancien régime des privilèges et des discriminations qui lui sont intolérables. Tout doit être constamment à disposition de tous, en tout lieu, en tout temps. Le Peuple dicte la loi en matière de goût comme en matière de manières et de mœurs, et de langue. Ici aussi, c'est la démocratie qui doit régner seule. La culture est une sorte de supermarché : ils entrent, ils regardent, ils choisissent ce qui leur plaît, ils négligent le reste, et ils emportent leur bien, en le négociant au prix le plus juste (il est hors de question que cela coûte ! (à ce sujet, il faut d'ailleurs noter que les arts, désormais, doivent impérativement être gratuits (ce qui semble un peu normal, puisque les ressources des contemporains sont exclusivement dévolues à l'achat des smartphones (un SMIC, quand-même!)) : plus personne aujourd'hui ne supporterait de devoir payer (à tous les sens du terme) pour consommer de la musique, par exemple, tout le monde trouve parfaitement normal de se servir, et peu importe si les compositeurs ne survivent désormais qu'à coup de charité et/ou de prostitution, qu'elles soient privées ou étatiques)). L'industrie culturelle les a complètement façonnés selon ses principes et ses valeurs (c'est le cas de le dire). Quant au complexe du droitardé, qu'il est parfois difficile de distinguer du discours petit-bourgeois général, dans ses manifestations, il tend à imputer tout le mal, bien réel, qui nous accable aujourd'hui, à ce qui s'est passé en France à la fin des années 60. Or il est évident que ce qu'on nomme « musique contemporaine » est née dans ces années-là, ou, si ce n'est pas tout à fait exact, car il faudrait remonter plutôt au début du XXe siècle, c'est en tout cas à ce moment-là qu'elle a pris la tournure et la direction qui donnent des frissons d'horreur à nos anti-gogos. Pour le dire très vite et très mal, le post-sérialisme est bien né après la guerre, et ses grandes figures (Stockhausen, Boulez, Berio, Pousseur, Barraqué, Nono et Maderna, tous aujourd'hui disparus) sont devenues les commodes punching-balls qu'aime haïr le droitardé type, car il les associe plus ou moins aux figures de ce qu'il est convenu d'appeler désormais la french theorie (qui dans son esprit se confond plus ou moins avec ceux qu'il appelle les boomers), origine bien identifiée de tous les maux de la post-post-modernité (le boomer, comme le Pierre Boulez, est égoïste, il tire la couverture à soi, contrairement aux jeunes si évidemment désintéressés qui nous entourent, et qui, soit dit en passant, donnent le la d'une manière qu'on serait en droit de trouver légèrement dictatoriale). Il faudrait écrire la généalogie de cette passion qui consiste à trouver des boucs émissaires dans le passé — car, naturellement, nos contemporains, eux, n'ont que des qualités, au premier rang desquelles le courage, la clairvoyance et la pudeur — cela va de soi. Toutes les générations s'imaginent toujours qu'elles font mieux que celles qui les ont précédées (la mienne n'a pas fait exception, loin de là), mais ce travers est aujourd'hui grandement aggravé par la prime essentielle — et automatique — accordée à la jeunesse, ou peut-être faudrait-il dire au refus de l'héritage. Encore une fois, c'est le temps, qui est nié : ils savent parce qu'ils sont (ici et maintenant) — ça ne se discute pas ! Les siècles ne leur ont rien appris : c'est normal puisqu'ils ignorent qu'ils existent.
Boulez, pour revenir à lui, incarne à merveille tout ce que notre époque doit absolument détester. Compositeur-contemporain et bourgeois (figure d'autorité), il avait en outre fréquenté les Deleuze, Derrida, Foucault, Barthes, de sinistre mémoire, aimé la poésie de René Char et la peinture de Paul Klee ; et en plus il n'est pas sympa : le pauvre cumule décidément toutes les tares, et tout semble s'ordonner pour en faire une cible parfaite. Pas étonnant qu'il serve d'exutoire et d'abcès de fixation. Toutes les toxines que redoute notre temps semblent lui avoir été injectées à haute dose et déforment atrocement son effigie patibulaire : c'est sans doute ce qui me le rend si sympathique. Boulez est une plaie purulente et un fantôme grimaçant, pour mes contemporains. Pour un peu je l'embrasserais à travers les siècles et la terre. C'est un vieux dossier toujours remis sur le métier. Déjà quand j'avais dix-huit ans, je le défendais contre mes amis jazzmen. À l'époque, c'était la Gauche, qui le haïssait ; aujourd'hui, la Gauche qui a perdu la mémoire l'ignore et la Droite qui ne le connaît pas le déteste, ce qui lui fournit une place de choix : c'est lorsque les hommes sont unanimement détestés qu'on a le plus envie de les aimer. Il a rejoint les Céline, les Godard, les Soulage, les Rebatet, les Picasso, les Joyce, les Morand, les Mondrian, ce qui peut faire penser à ce fameux dîner donné le 18 mai 1922 à l'hôtel Majestic à l'occasion de la création de Renard, dîner auquel participaient Stravinsky et Diaghilev, Proust, Joyce et Picasso, Proust interrogeant Stravinsky sur Beethoven, et celui-ci lui répondant qu'il n'aimait pas Beethoven. (« Je déteste Beethoven ! — Mais tout de même, Cher Maître, et les derniers quatuors ? — Aussi mauvais que tout le reste ! ») Et Proust d'interroger son voisin de table, un Joyce complètement saoul, à propos des grands du monde parisien, ceux qu'aujourd'hui on appellerait des “personnalités”, quand tout ce qui intéressait Joyce était de savoir si Proust avait lu son Ulysses, ce qui bien sûr n'était pas le cas… Les organisateurs de ce dîner étaient des collectionneurs d'art contemporain (les cons !), passionnés de musique et férus de littérature, Violet et Sydney Schiff, un couple d'Anglais. On n'avait pas peur du modernisme, en ce temps-là, et surtout, la petite-bourgeoisie n'avait pas encore pris le pouvoir, étendant son règne sur toute la société et imposant ses goûts, sa morale et son ressentiment maladif.
Pour être juste, il faut dire que, bien sûr, l'art contemporain de l'époque n'était pas celui de notre XXIe siècle. L'expression a pris de nos jours un tour débile et obscène qui la prive de toute véritable pertinence, ce qui permet aux imbéciles de la brandir à tout propos comme un crucifix trempé dans le fiel de la caricature. Bien sûr que l'art-contemporain officiel, celui qui mérite un trait d'union et qui est largement subventionné (les subventions, ça va et ça vient), affiché partout et très prisé de nos “élites” incultes et de leurs amis les investisseurs, mérite largement d'être ridiculisé et rendu à sa qualité première d'art pompier, mais c'est l'arbre qui cache la forêt, et qui sert de poupée à épingles commode à tous ceux, et ils sont légion, comme toujours, qui, tout simplement, n'aiment pas l'art. À ceux-là, ce ne sont pas des œuvres (avec tout l'impondérable et l'indécidable qu'elles charrient nécessairement) qu'il faut, ce sont des idées, des réponses et des vérités bien nettes et bien pures — et ce qu'ils reprochent à leurs adversaires, ils le pratiquent volontiers eux-mêmes sans s'en aviser. Ils ne connaissent pas l'incertitude et la singularité, la nuance et le doute, car ils ne sortent qu'en meutes et munis d'avis autorisés ; ils se tiennent chaud les uns les autres, et ce qu'ils prennent pour leur goût n'est, comme toujours, que l'état culturel dans lequel ils ont paresseusement et inconsciemment élu domicile : l'aliénation la plus pesante prend le masque du naturel, toujours. Non, ce que ces gens-là ne supportent pas, c'est qu'il faut à chaque fois, devant telle ou telle œuvre, se poser la question de sa validité, sans être assuré de rien. Il ne suffit pas de lire le nom de l'artiste, pour connaître la valeur de son œuvre, et ça, c'est insupportable. Ils veulent et ils exigent qu'existent des catalogues bien nets et bien définitifs qui dressent des listes de vrais et de faux artistes, et que surtout aucun rapport ne soit établi, aucune interaction entre les deux familles, aucune ambiguité. Ils sont des enfants de la génération Que Choisir. Ils s'en remettent aux experts, experts qui ont aligné les points positifs et les points négatifs : tout cela doit être quantifiable, et scientifiquement prouvé, une fois pour toutes. Tant pis si c'est l'industrie et le commerce qui ont décidé des critères. Duchamp ? Charlatan. Willem de Kooning ? Branleur. Mallarmé ? Ah, il s'est bien foutu de nous, celui-là ! Ça ne prend plus, mon bon monsieur. L'ennui et la complication, c'est que, parfois, la frontière passe par un seul et même artiste. Picasso, Schönberg, par exemple : au début, ça va, mais après, de la fumisterie, bien sûr ! Stravinsky ? L'Oiseau de feu, ça va, Petrouchka, à la rigueur, mais les pièces dodécaphoniques de la fin, quel naufrage ! Il était gâteux ? Montagnier et Stravinsky, même combat. Au moins, avec Boulez ou Stockhausen, pas de quartiers, tout est à jeter. Tapiès, idem. D'ailleurs, une preuve que ces gens-là se foutent de nous, c'est la non-conversation entre Proust et Joyce au Majestic. Tout ce qu'il voulait savoir, l'Irlandais, c'est si Proust avait lu son gros machin illisible. Proust ne lui pas envoyé dire : « Non. » Point-barre. Non mais oh ! Ça va cinq minutes, les conneries, oui ? Vous voyez bien, hein, même Proust, si snob, pourtant… Snob : le mot est lâché. Tout ça c'est du snobisme, comme le laisse entendre Thierry Decruzy. Les adorateurs de Jean Barraqué et de Rothko, ils croient se distinguer de la masse. Et se distinguer, c'est mal. On est tous pareils, non ? Demandez à un jeune, ce qu'il écoute spontanément. Ce ne sera pas Wozzeck, je vous garantis, mais Grand Corps Malade ou Daft Punk, le genre qu'on entend désormais sur les Champs Élysées le 14 juillet. J'écoutais Karol Beffa, l'autre jour, à la radio, eh bien il expliquait que la musique contemporaine s'était coupée de la pulsation et de la vitesse, erreur fondamentale que lui, bien sûr, ne commettait pas (trop intelligent !). Se couper de est un grave péché, qu'on se le dise ! Il ne faut jamais se couper de l'autre. On commence par se couper de la pulsation, et on finit par les heures les plus sombres. Le dérapage est automatique. D'ailleurs, il écoute attentivement les musiques actuelles ! Pour se tenir au plus près de la vie et de l'inclusion, en somme. Karol Beffa, voilà un compositeur qui a tout compris ! C'est l'exception qui confirme la triste règle. Quand les autres, les Nono, les Pousseur, les Dusapin, les Gérard Grisey, les Philippe Hersant, les Péter Eötvös, les Thomas Adès, les Magnus Lindberg, n'en finissent plus de se couper avec arrogance de leurs-publics, ces fameux publics qu'il s'agit de draguer, bon, séduire, d'accord, parce qu'il est impératif que la masse aime la création contemporaine vivante. VIVANTE ! On n'attrape pas les mouches avec du Marc-André Dalbavie ou du Jean-Louis Agobet, c'est moi qui vous le dis.
Comme je l'écrivais dans un texte plus ancien, on aime aussi Boulez pour le plaisir de déplaire, de résister au courant, au sympa, à l'inclusif, mais il reste qu'on est tout de même surpris, à chaque fois, par la facilité avec laquelle ça fonctionne. Et ça marche dans les deux sens : si je déplais en prenant son parti, ceux qui viennent le dénigrer bêtement me déplaisent souverainement. Depuis quelques semaines, nous sommes servis. Il y a eu la mort de Godard, puis celle de Soulage (et puis, ô merveille !, la toile de Mondrian qui était accrochée à l'envers depuis toutes ces années (ils en ont fait dans leur culotte de plaisir…)), qui ont, chaque événement à sa manière, déchaîné les passions et le ressentiment de ceux qui tiennent fort à démontrer qu'ils ne sont pas, eux, des gogos. Ils ne se laissent pas avoir, eux, ils savent qu'on se moque d'eux, et ils ont pitié de nous qui prenons au sérieux les élucubrations d'un Char, les traits colorés d'un Mondrian ou les gribouillis d'un Twombly. Et ils savent aussi que leur petit neveu de cinq ans ferait aussi bien, sinon mieux, que ces compositeurs, peintres, poètes, ou écrivains que des crétins sans discernement comme moi portent aux nues. C'est une affaire entendue, l'effondrement de la civilisation a commencé avec les Variations opus 27 de Webern et les éjaculations autistes de Pollock. La haine du snobisme est une des choses les plus bêtes que je connaisse, même s'il existe bien sûr un snobisme idiot et caricatural.
Le crétin de droite n'a que faire de la musique de Pierre Boulez (je dirais volontiers de la musique tout court, si j'avais l'inconscience d'être tout à fait sincère), il n'en a qu'après les subventions que ce dernier a évidemment extorquées à l'État (donc à nous-mêmes, nous-mêmes qui sommes si désireux de diversité et d'égalité culturelle, et qui refusons bien entendu toute subvention) en bon despote avide et égoïste qu'il était. Le crétin de droite n'en a qu'après la méchanceté idéologique et les mauvaises manières démocratiques d'un Pierre Boulez. C'est ça qui excite sa hargne. Qu'il n'aime pas sa musique est un détail qu'il passerait facilement sous silence, si Pierre Boulez n'avait pas la tronche sociale de Pierre Boulez, j'en suis convaincu. Ah, la tronche-sociale, ça ne pardonne pas, de nos jours. On a souvent parlé de son mépris, par exemple… Alors que si l'on parle avec tous ceux qui l'ont côtoyé, le discours est radicalement autre : il n'y avait pas plus généreux, attentif, et finalement doux, que lui. Il a beaucoup donné de sa personne, tout au long de sa carrière, tout en restant très exigeant — ce qui est loin d'être facile, quand on a les responsabilités qu'il a exercées. Mais peu importe. Tout ce qui pourra être porté à son crédit est nul et non avenu, l'affaire est entendue. Les goûts qu'on s'imagine, ici comme ailleurs, ont pris toute la place.
Pierre-Boulez, c'est un signe (un anti-signe), c'est un chiffon-rouge, c'est un totem (un anti-totem), c'est une cible. Il y en a d'autres, me direz-vous. C'est vrai, il y en a d'autres. Je parle de lui parce que j'éprouve de la tendresse et de la gratitude envers lui, et aussi parce que je suis un peu masochiste. Quitte à être moi aussi un partisan, je préfère l'être de ceux qui n'en ont pas beaucoup.