Si l'on me demandait, là, tout de suite, à quoi j'aspire, pour les années qui me restent à vivre, je répondrais sans hésitations : NE RIEN FOUTRE.
Non, vraiment, ne rien foutre, rester allongé à glander et à scruter les heures qui passent, oui, c'est à ça que j'aspire. Oh, je ne prétends pas avoir fait tout ce que je voulais faire dans la vie, je ne crois pas du tout que j'ai même accompli quoi que ce soit, très loin de là, mais c'est ainsi, je suis fatigué, j'en ai ras le bol. Je voudrais que mon cerveau arrête de m'envoyer des impulsions et des messages codés, qu'il arrête de me forcer à réfléchir, tout simplement, qu'il me foute un peu la paix. Qu'il m'oublie. Lui et moi, nous avons passé suffisamment de temps ensemble, je crois que nous pourrions divorcer à l'amiable, sans faire d'histoires.
Tu m'diras : y Alzheimer, pour ça. Oui, oui, d'accord, mais non. Non, vraiment, sans façon. Alzheimer, c'est pas trop mon genre, on va dire. Ce type-là ne m'est pas sympathique du tout, pour tout vous dire. Il a même franchement une gueule de con, si vous voulez tout savoir.
(Cette nuit, j'ai rêvé d'Alain Finkielkraut ! Il me téléphonait et je ne comprenais pas un fichu mot de ce qu'il me racontait. Il avait dû avoir une attaque, le pauvre, un avécé, comme on dit aujourd'hui, et il n'arrivait plus à articuler correctement, ce qui rendait sa parole complètement imbitable. Moi je faisais semblant de comprendre, évidemment, et je répondais un peu au hasard, en espérant ne pas faire trop de gaffes.)
Vous me dites que Dieu ne serait pas content ? Qu'il serait même un peu vexé ? Je ne vois pas ce qui vous permet d'affirmer une chose pareille. Vous ne le connaissez pas mieux que moi, et moi, il ne me dit rien de tel. Il me dit, au contraire : Repose-toi, mon grand, repose-toi, tu as fais bien assez de conneries comme ça. Laisse ça à d'autres. Laisse-les faire les conneries que tu as en tête, passe le relai, ne te mêle plus des affaires, elles courent bien assez vite sans toi. Les affaires… À faire par qui et pour quoi ? Quel est le but ? Ça va continuer comme ça encore longtemps ? Ce n'est pas raisonnable, je vous assure. Il n'y a qu'à voir un Macron, pour se persuader que tout cela ne rime à rien. Si ça ne vous saute pas aux yeux, je suis inquiet pour vous et pour le monde. On devrait organiser une réunion, je n'ose pas dire au sommet, entre Macron, Napoléon, Emil Cioran, Balzac, Joan Miró et Ernst Krenek. On verrait ce qu'on verrait… Didier Raoult ? Non, il n'est pas intéressé par la table ronde. Louis XIII a décliné aussi. Moi j'aurais bien eu quelques velléités, mais, non, vraiment, je préfère encore glander en pantoufles sur mon canapé. Et puis je ne suis pas bon, à l'oral. À la rigueur, dans le rôle du troll, peut-être, celui qui pose éternellement la même question, indépendamment de ce qui se dit. D'ailleurs, Dieu m'a dit… Non, je ne peux pas vous le répéter, vous ne me croiriez pas. Vous penseriez encore que j'affabule, ou que j'exagère, ou que je veux faire mon intéressant. Pourtant, je sais ce que je dis ! Je n'invente rien, moi. Même si je le voulais, je ne pourrais pas : je n'ai pas été conçu pour ça.
Non, le plus sûr, c'est encore de pas bouger, de rester là, bien peinard, à pas se faire remarquer, à fermer sa gueule, à faire celui qui n'y est pour personne.