Il n'y a peut-être pas de rapport entre les deux choses, mais en ce jour anniversaire de la naissance de Glenn Gould, le 25 septembre 1932, à Toronto, je crois qu'il est grand temps d'annoncer le divorce définitif entre deux des races humaines qui peuplent la Terre. Il me semble patent, depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, que les hommes et les femmes ont cessé de s'entendre, et de le désirer. Les seuls rapports qu'ils continuent d'entretenir se tiennent principalement dans les prétoires ou les caves humides des territoires occupés. Il ne se passe pas un seul jour sans qu'une femme fasse un procès à un homme, sans qu'elle ne cherche à le détruire, au moins symboliquement, à le déchirer à belles dents, à le réduire en bouillie, à le piétiner ou à l'humilier. Je ne pense pas que les femelles humaines soient les seules responsables de cet état de fait, mais force est de constater qu'elles sont pour l'instant à l'avant-garde du combat qui prétend abolir la barrière des sexes. Il ne se passe pas un seul jour où je n'entende dire et raconter l'abolition de la sexualité (donc de la partition humaine), qui est tout de même, je me permets de le rappeler au passage, à l'origine de la vie sur Terre, au moins pour ce qui concerne l'espèce humaine. Mais qu'elles commencent par l'homme ne doit pas nous aveugler ; le terme de ce processus est l'abolition de toutes les différences, et de toute singularité : race, nationalité, culture, sexe, toutes les catégories vont y passer, les unes après les autres. Le but ultime est la création d'une nouvelle humanité indifférenciée et homogène, globale, sans altérité, la fameuse MHI de Renaud Camus. Ne nous étonnons donc pas qu'en conséquence l'amour soit devenu aussi impraticable et dangereux que le serait le saut à l'élastique sans élastique.
En ce qui concerne la partition que jouent les hommes et les femmes dans notre monde depuis les temps immémoriaux, nous sommes passés du contrepoint (ou de l'harmonie, dans le meilleur des cas) à la cacophonie et à la guerre sans merci. La musique qui se joue entre les sexes n'est plus de Mozart ou de Debussy mais de Charles Ives ou de Lachenmann. La déchirure semble impossible à réparer, la faille impossible à combler, c'est la dérive des incontinents, l'adieu au langage des corps et des humeurs. D'ailleurs les jeunes générations ne s'y trompent pas, qui n'ont avec la sexualité qu'un rapport très lâche, presque inexistant. Ne vous étonnez pas que la pornographie ait acquis cette puissance et cette emprise sans précédent : elle ne fait que prendre la place laissée vacante. Tout se passe désormais derrière l'écran, ou au laboratoire, et le jour n'est plus très loin où les grossesses seront exclusivement provoquées par des inséminations artificielles, externalisées grâce à l'utérus postiche qui pointe déjà son gros nez de cauchemar.
Je note un paradoxe très parlant, à propos du viol. D'un côté, tout est considéré comme viol, aujourd'hui, le moindre attouchement, le moindre geste déplacé (bientôt la moindre parole inélégante) peuvent être considérés comme tels, et d'un autre côté, les vrais viols, les viols brutaux, les viols qui font mal, qui blessent, qui détruisent, et parfois tuent, sont, eux, considérés comme des délits mineurs, et leurs auteurs sortent le plus souvent du tribunal en ricanant, après avoir reçu une tape sur les doigts. Le viol, encore un mot qui s'est mis à puer le mensonge.
Les hommes qui ne sont pas poursuivis par une femme qui les accuse de viol, ou d'une quelconque brutalité, ou bassesse, ou violence (comme disent toutes celles qui se succèdent au tribunal ou sur les plateaux de télévision), ou qui les empêche d'écrire ou de créer, se comptent sur les doigts d'une main, et chaque jour qui passe sans une lettre d'huissier nous étonne autant que si nous étions arrivés à quatre-vingts ans sans un seul chagrin. Il sera bientôt aussi étrange et saugrenu, pour un homme, de ne pas être poursuivi par une de ces gorgones échevelées, qui déshonorent l'hystérie, que de ne pas l'être par une association antiraciste ou de ne pas être accusé de complotisme. Ceux qui passent à travers les mailles du filet sont presque automatiquement suspects. Ils n'appartiennent pas tout à fait à ce monde. Il faut les surveiller de près. Ce sont les fichés S (comme sexe) de demain.
Les femmes sont en train de se transformer en gorgones. La voix, l'allure, la figure, le démarche, les goûts, tout semble concourir à les transformer en une nouvelle espèce qui (me) fait peur. De l'autre côté, les hommes se féminisent à vue d'œil et de nez, sauf ceux dont il ne faut pas parler, bien entendu. L'autre jour, c'est une gifle qui a défrayé la chronique. Une gifle ! Une gifle donnée par un homme à sa femme. Il est devenu impossible de dire que ce n'est pas si grave que ça. Bien sûr, je n'affirme pas que gifler sa femme est quelque chose de “bien”, mais enfin je trouve parfaitement ridicule qu'un homme qui s'est ainsi conduit se sente obligé (par exemple) de venir présenter des excuses publiques, ou de démissionner de ses mandats civiques, comme c'est le cas ici. Là encore, comme pour ce qui est du viol, on mélange tout, et tout est cul par-dessus tête. Ceux qui brutalisent les femmes, ceux qui leur font vraiment du mal sont, dans la plupart des cas, renvoyés gentiment à leur condition de victimes éternelles, mais ceux qui, dans un moment de fureur incontrôlable, leur donnent une gifle, sont conduits en place de grève afin d'expier leur condition de bourreaux éternels. J'ai reçu une gifle (violente) d'une femme, il y a une dizaine d'années. Je ne lui en ai jamais voulu. (Faut-il préciser que je ne légitime absolument pas la violence dans le couple (ni ailleurs) ? Oui, il le faut sans doute, puisque personne ne comprend plus rien, et puisque toutes les paroles sont aujourd'hui utilisables contre ceux qui ne font qu'exprimer ce qui était évident il y encore trente ans, et qui s'appelait encore le sens commun.) La décence n'est pas du côté de ceux qui s'en réclament à grands cris aujourd'hui (il n'est pour s'en persuader que de voir ce qu'un réseau social tel que Facebook appelle “décence”). La décence bien comprise, c'est d'abord de ne pas tout mélanger et de savoir garder un œil sur l'échelle des torts et sa gradation : tout ne se vaut pas. Les méfaits ne sont pas tous des crimes, mais les crimes, eux, doivent pouvoir être punis à raison de leur gravité.
Si les hommes sont coupables par nature, comme autrefois les femmes l'étaient d'être privées d'âme, il faut le dire tout de suite, et supprimer la moitié de l'humanité, ce qui devrait conduire à la naissance d'un monde enfin parfait. Mais peut-être est-ce déjà le Projet de ceux qui aiment à extirper le Négatif de toutes les ornières où il se terre sournoisement ? Il y a des jours où cela nous semble plausible. L'homme serait en quelque sorte la version charnelle et macroscopique du Virus dont on nous somme de nous protéger, et la femme l'organisme sain et stérile en lutte contre le Mal et les microbes.
Vite ! Un vaccin !