La littérature, c'est le contraire de la parole. La musique, c'est le contraire du son. Tous les deux sont le contraire de la communication.
Miles Davis, quand il est devenu "Miles", a commencé à jouer dos au public, ce qui a beaucoup choqué ses admirateurs. Il ne s'agissait pas de provocation, ni d'une quelconque manifestation de mépris, comme on l'a souvent dit et écrit. Il réalisait simplement que la musique qu'il était en train de faire n'avait pas besoin d'une réponse, ni même d'un encouragement, encore moins d'une approbation. D'ailleurs, la musique qui réclame une approbation, ou seulement une réponse du public, est-ce encore de la musique ?
La littérature, du point de vue de l'écrivain, est asociale, ou antisociale. L'écrivain est un solitaire. Le musicien, au contraire (je ne parle pas ici du compositeur) est face au public, et avec les autres musiciens. La tentation est donc très grande de jouer pour, de s'adresser à ceux qui écoutent. Mais si le musicien ne s'abstrait pas de cet échange, ne s'absente pas du couple qu'il forme avec celui qui l'écoute, ce n'est pas un véritable musicien. La musique ne commence que lorsque le musicien disparaît.
On écrit pour délier les voix multiples qui nous retiennent prisonnier du labyrinthe, mais le texte devient une de ces voix, et se confond avec elles. On écrit pour diviser le réel, et l'écrit multiplie le réel, s'y ajoute, le redouble. On essaie de simplifier alors que l'écrit complexifie.
« Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages. » Pendant que le social tente de nous assembler, l'écrivain se sépare et de lui-même et des autres.
Parler, parler, ils n'ont que ce mot à la bouche. Plus ils communiquent moins ils disent.
« On ne donne pas de gifles à une femme », répond le mari à sa belle-mère qui lui demande pourquoi il n'a pas essayé de la réveiller à temps, en « lui donnant des claques », après l'avoir battue à mort.