J'ai enfin compris ! Mon problème, mon éternel problème est que je pense toujours que TOUT EXISTE DÉJÀ. Or, en réalité, RIEN n'existe. Si j'avais su ça à vingt ans, je serais devenu un génie.
J'ai compris grâce à Arvo Pärt, ou plutôt grâce à l'analyse de sa musique. Pourtant, je n'ai rien découvert de nouveau, en essayant de comprendre comment sa musique est composée. Ce que j'ai découvert, je l'avais déjà découvert il y a bien longtemps. C'est le style que j'ai vu se développer, ou, plus exactement, c'est la manière dont certaines personnes ne s'interdisent pas d'avoir du génie. Et pour voir cela, il suffit d'ouvrir n'importe quel livre ou partition. Quand on compose, quand on écrit, il y a toujours ce moment où notre surmoi prend les commandes, et dit : « NON. Pas ça. Pas là. » Et heureusement ! Mais, parfois, il faut ne pas écouter ce surmoi, il faut aller là où l'on a envie d'aller malgré lui. Il faut travailler contre son goût. Il faut élargir celui-ci (ou le gauchir) d'une manière qui le reforme autrement. Rien n'existe au préalable, si l'on veut vraiment écrire (ou composer). Le Maître doit être à sa place. Ni au-dessus ni derrière.
La mort est le moment où l'être sort de l'être pour repartir en arrière, se réinsérer dans la boucle éternelle, repartir dans l'autre sens, non pas régresser, mais amplifier le désir jusqu'à le faire sortir de nous… qu'elle aurait pu se poser un peu sur les mamelons, en toute gentillesse et foi du vent.
« On écrit toujours l'autre livre, un autre livre (que celui qu'on écrit). » On vit toujours l'autre vie, une autre vie que celle qu'on vit. Celle qu'on vit, on la rate. On la rate parce qu'on l'espère, alors qu'elle est là. Tout ce qu'on dit sur soi, sur sa vie, parle de l'autre vie, celle qu'on ne vit pas. La forme de la main humaine a été déterminée essentiellement par deux choses : la possibilité de jouer du piano et de tenir le sein d'une femme au creux de la paume.
L'essentiel de ma vie se passe la nuit. De plus en plus. Le vent souffle très fort, la nuit. Il tombe au petit jour. J'entends du piano, très bas, du blues, et, sur le dos de Luna, je file à toute allure, tout droit, à droite, à gauche, nous sommes infatigables, il faut tout leur expliquer. Tout reprendre depuis le commencement. Il faut même expliquer aux mères pourquoi elles doivent nous aimer.
Il fait nuit
Mes grands-mères sont deux oiseaux morts
Couchés dans mes mains*
Elle ne me disait pas seulement « Relis Montaigne », mais aussi « Allons acheter du champagne ».
Les femmes d'aujourd'hui ont appris à se trouver jolies. Toutes, elles se trouvent jolies, et le disent. Quand est-ce que ça a commencé, ça ?
Jonchaies, de Xénakis.
C’est ce qui a tué l’œuvre dont rêvait Baudelaire. La paresse est fille de la mélancolie. Le mélancolique place l’objet convoité si haut qu’il est certain de ne plus pouvoir l’atteindre et nourrit ainsi à l’infini son état mélancolique.*
C., hier, a eu l'idée subite (et géniale, à mon humble avis) d'envoyer le texto suivant à Ophélie : « Tu nous as trahis, salope ! » Malheureusement, je doute qu'il passe à l'acte.
Je déteste ce mot de « potes », employé à tout va aujourd'hui. Et puis sa proximité avec "poète"…
Sans la conscience d'un écart (même infime) entre le monde et nous, il est impossible de penser. Mais parfois, l'écart s'agrandit, et s'agrandit tellement qu'on entre, à son insu, dans un autre monde.
Ah, ces états de paresse, ces journées passées à se dire qu'on ne fait rien, comme elles sont étranges et nécessaires.
Anne-Sophie pétait beaucoup. Elle pétait tellement qu'elle avait développé tout un répertoire onomatopéique très sophistiqué pour désigner ses pets, dans toutes leurs variations. Curieusement, ça ne la rendait pas moins charmante, ni moins sexy, bien au contraire. Quand je pense aux pets, je pense toujours à Sarah. Un nuit, rue Racine, j'étais en train de lui lécher gentiment l'anus, lorsqu'elle a émit un petit pet, très discret, sans le vouloir. Elle était sur le dos, les cuisses écartées. Elle s'est redressée d'un bond, comme mue par un ressort, m'a attrapé la tête de ses deux mains, et m'a attiré sur elle pour m'embrasser précipitamment. J'ai fait celui qui ne s'était aperçu de rien, mais j'ai trouvé sa gêne absolument charmante. Qu'elle était délicieuse, cette Sarah, au lit ! Quelle grâce, quels dons pour le sexe, et quelle vulve somptueuse ! On ne rencontre pas beaucoup de femmes comme ça, dans une vie. Anne-Sophie était pneumatique, quand Sarah était dans la matière (et l'intelligence). Matière, pâte, nerfs, muscles, poils, je me rends compte que tout était parfaitement à sa place, tout fonctionnait à merveille. Quelle chance ! Plus on s'approche de la mort, plus celle-là nous montre qu'elle peut tout. Une femme qui sait faire l'amour est très proche de la mort. Sans très bien comprendre pourquoi, j'ai toujours senti que cette fille avait un rapport étroit avec mon père.
(Écrire un autre livre que celui qu'on a envie d'écrire…) Je suis un sexe contrarié. Si j'avais donné libre cours à mon principal désir, je n'aurais fait que baiser, j'aurais employé toutes mes forces à cela. Au lieu de quoi, j'ai tourné autour du pot, et autour du mot. Évidemment, le résultat de cette contradiction (détour ?) n'aura peut-être fait que décupler mon goût pour l'érotisme. Rien n'existe : ça signifie que la manière dont on entre dans un rôle humain ne peut jamais être rapporté à un autre que soi. Rien n'existe a priori. On peut tout. Écrire n'est sans doute qu'une manière de retourner autour du mot baiser. (On peut tout parce qu'on ne peut rien.)
Comme j'ai appris à aimer la solitude, j'ai appris à aimer la mélancolie. Il faut ne pas avoir peur de la mélancolie, pour finalement découvrir une joie secrète et profonde, en elle.
Il fait nuit / Mes grands-mères sont deux oiseaux morts / Couchés dans mes mains
C'est magnifique.
(*) Vincent Castagno