dimanche 29 septembre 2019

Midi


Silence presque parfait, le silence du déjeuner, quand on est dimanche. On est dimanche, et l'air entre par la fenêtre ouverte, et même le soleil, mais doucement, sans insister. J'imagine que du dehors, on entend le bruit des touches de ce clavier, et rien de plus. Un coq, au loin, me fait encore mieux aimer le silence. Le monde ne vient pas jusqu'à moi. Même s'il ne se laisse pas oublier, il laisse en paix, et c'est tout ce qu'on lui demande. Je pourrais ouvrir la partition des concertos de Beethoven, retrouvée très opportunément hier, la grande partition Dover, "in full score", que je croyais avoir perdue, mais même elle ferait trop de bruit, si je la lisais. Laissons donc dormir la musique de Beethoven et toutes les autres. Que rien ne vienne troubler le silence de cette heure bénie. Le monde est à distance, la musique est à distance, les sentiments le sont aussi. Je peux même aller jusqu'à imaginer que personne n'est au courant de mon existence. Si j'appelais quelqu'un au téléphone, là, tout de suite, il serait incapable de mettre un visage et un nom sur la voix qu'il entendrait. Alors je raccrocherais, rassuré. Ma liberté est absolue, sans limites. Aucune pensée ne vient arrêter la mienne. Mon être ne vient buter sur personne. Le temps, même lui, ce dieu impitoyable, me fait cortège, s'écarte devant moi. Il ne me pousse pas, ne me presse pas, ne me retient pas, il se tait et regarde ailleurs. Je le traverse comme le vent traverse le monde : il n'oppose pas de résistance. Le coq a renoncé à chanter. De quoi prévenir, quand rien ne vient, quand tout est déjà là ?

Je pourrais dire oui, je pourrais dire non, ça ne changerait rien. Dire oui à quoi ? Dire non à qui ? D'ailleurs, je pourrais dire oui et non à la fois, ce qu'on ne peut jamais faire devant quiconque. Car il faut toujours se faire comprendre, dès qu'il y a de l'autre. Tandis que là, face à moi-même, je peux renoncer à comprendre. Comprendre fait du bruit. Comprendre, c'est choisir, et choisir met en branle la chaîne infinie des conséquences, qui s'accompagnent inévitablement des justifications, des explications, des commentaires, des jugements, des contradictions, des corrections, des oublis, des remords. Ni choix ni paroles. Ni chaud ni froid. Ni avant ni après. Ni oui ni non. Ils ne savent pas, et moi non plus, et ce n'est même pas je qui parle. Je ne se souvient même pas du début de ce paragraphe, qu'il ne va pas relire, car je suis plus loin…