— Ah non, excusez-moi, j'étais occupé ailleurs.
— Vous n'allez pas vous en tirer comme ça. On dit que c'est l'événement du siècle.
— Ah ? De quel siècle parlez-vous ?
— Mais du siècle de Laurent Ruquier, enfin !
— Ah oui, pardon, j'avais oublié.
— Dites-donc, vous êtes très distrait !
— Dis-donc, Trou-du-cul, tu sais à qui tu parles ?
— Oui, à un obscur blogueur réactionnaire et atrabilaire qui croit au Père Noël et à la Résurrection des corps.
— Vous êtes bien renseigné !
— Nous travaillons nos dossiers.
— Le pont de l'Alma, c'est bien par là ?
— On vous voit venir avec vos gros sabots…
— Non, je vous demande ça, parce que j'ai entendu un très beau Lied à la radio, tout à l'heure et…
— Oui, mais Noir Caca ?
— Ah oui, c'est vrai. En même temps, je ne suis pas sûr que Pierre Bourdieu…
— Commencez pas avec vos digressions !
— Bon bon bon. Alors, je vais vous dire… Noir Caca, c'est tout à fait merveilleux.
— Comment ça, "merveilleux" ? Vous faites dans le paradoxe ?
— Pas du tout. Noir Caca, c'est le merveilleux de l'époque, c'est le conte de fées chez les ploucs. T'as des poilus en décomposition ? T'en fais de l'art de rue. C'est même pas méchant, ni transgressif, ni blasphématoire, c'est seulement la crotte du petit sur la commode Louis XV de la belle-mère. C'est juste qu'on l'a posée là en attendant de faire autre chose et qu'on l'a oubliée dans son sac plastique. Ça pue, mais c'est naturel. La Grande Guerre, excusez-moi, mais pour nos contemporains, elle n'a tout simplement pas existé, puisque n'existe que ce qui s'est passé hier matin, à la rigueur la semaine dernière. Tu leur parlerais par exemple de 1913 aux Théâtre des Champs-Élysées, ou d'un match de tennis sur une musique de Claude Debussy, ou même de la Commune, tiens, ils te regarderaient avec une stupeur non feinte. Noir Caca est parfaitement adapté à la politique de François Hollande. Il a raison, François Hollande, il a du nez. Verdun, c'est de la salade bio ?
— Oui, enfin, n'exagérez pas, tout de même, il ne s'agissait que de sensibiliser les jeunes à la bêtise de la guerre et à la réconciliation franco-allemande !
— Mais arrêtez un peu vos sornettes ! Vous croyez donc vraiment qu'il y aurait besoin de "sensibiliser les jeunes à la bêtise de la guerre" ? Non mais vous vous entendez parler ? À quoi a-t-on réussi à les "sensibiliser", les jeunes, pour rependre votre misérable vocabulaire de propagandiste à la retraite, sinon à l'imbécilité de la guerre, à l'inutilité de la guerre, à l'ignoble stupidité de la guerre, à la monstruosité de la guerre ? Quant à la réconciliation, qu'elle soit franco-allemande ou tout ce que vous voulez, c'est encore pire. Mais vos jeunes, là, vos satanés jeunes, ils ne veulent que ça, être réconciliés, avec eux-mêmes, avec le genre humain, avec les animaux, avec les plantes, et même avec les minéraux, ils ne veulent être l'ennemi de personne, ils ne veulent être haïs par personne, ils ne comprennent même plus ce que c'est qu'un ennemi ! Et puis de toute manière, quelle différence entre un Allemand et un Français, hein ? Ils aiment tous les deux le foot, ils ont de grosses bagnoles tous les deux, ils écoutent la même musique, ils sont aussi cons l'un que l'autre, aussi trouillard l'un que l'autre, aussi aveugle et sourd l'un que l'autre, ils ont aussi mauvais goût l'un que l'autre, ils sont aussi déculturés l'un que l'autre, ils parlent le même genre de langue et ils mangent la même chose. Et vous voudriez qu'ils se fassent la guerre ? La guerre, de toute façon, plus personne ne sait de quoi il s'agit. Vous en connaissez, vous, des jeunes qui lisent de récits de guerre ? Évidemment, je parle des Kevin, pas des Mouloud — je dis ça parce que je sais ce que vous allez me rétorquer ! "Ennemi" et "guerre" sont des mots dont ils ne comprennent pas le sens, sauf dans un jeu vidéo ou dans le sport, cet ersatz pourri de batailles militaires. Vous connaissez les films de Michael Haneke ? Voilà où est passée la violence. Elle s'est retournée contre soi-même, comme toujours, quand elle ne trouve pas à s'employer utilement. Quand le monde devient un immense terrain de jeu pour enfants, la violence immémoriale des humains se retourne contre la société dont ils sont issus, contre la famille dont ils sont issus, contre les voisins, contre les proches, contre eux-mêmes. Pas d'ennemi, cela signifie que chacun est l'ennemi de chacun. Avant on allait se faire trancher la gorge à l'autre bout du monde ; maintenant, on trouve ça au coin de la rue. C'est ça le mondialisme.
— Nous nous éloignons un peu du sujet, Georges !
— Pas du tout. L'ennemi, c'est le fondement de ma philosophie.
— Oui, peut-être, mais moi je vous parlais de Noir Caca et de Verdun.
— Ça vous intéresse vraiment ?
— Je suis là pour ça.
— Vous m'emmerdez, j'ai d'autres chats à fouetter.
— Oui, on sait, vos petits machins qui n'intéressent personne.
— Qu'ils n'intéressent personne fait qu'ils me passionnent.
— Ça, on s'en serait douté…
— Écoutez, mon petit monsieur, si je ne m'intéresse pas à mes petits machins, qui s'y intéressera ? Vous venez me faire suer avec vos histoires de Grande Guerre et de merdeux qui dansent sur des tombes, que voulez-vous que je vous dise, que ça me passionne ? Adressez-vous à Philippe Muray, si vous voulez savoir qu'en penser.
— Il est mort.
— M'étonne pas de lui ! Eh bien moi je suis encore vivant et je vais encore vous emmerder pendant un petit moment.
— Oui, peut-être, mais moi je vous parlais de Noir Caca et de Verdun.
— Ça vous intéresse vraiment ?
— Je suis là pour ça.
— Vous m'emmerdez, j'ai d'autres chats à fouetter.
— Oui, on sait, vos petits machins qui n'intéressent personne.
— Qu'ils n'intéressent personne fait qu'ils me passionnent.
— Ça, on s'en serait douté…
— Écoutez, mon petit monsieur, si je ne m'intéresse pas à mes petits machins, qui s'y intéressera ? Vous venez me faire suer avec vos histoires de Grande Guerre et de merdeux qui dansent sur des tombes, que voulez-vous que je vous dise, que ça me passionne ? Adressez-vous à Philippe Muray, si vous voulez savoir qu'en penser.
— Il est mort.
— M'étonne pas de lui ! Eh bien moi je suis encore vivant et je vais encore vous emmerder pendant un petit moment.