Je m'étais installé dans un chamant village promis à un bel avenir, dans le Gard, un département plein de vie et de diversité, qui aspire à se développer, qui aspire à la croissance, aux animations, à l'événementiel, à la festivité revisitée par le ludique et le créatif. J'avais choisi avec soin mon implantation, en vue de démarrer une nouvelle vie, tonique, jeune, active, créatrice, conviviale. Je désirais investir mon présent et épouser mon futur dans la joie de l'instant.
Le maire du village m'avait assuré qu'ici ça bougeait, qu'on ne s'ennuyait pas une seconde, que la calendrier des fêtes était l'un des plus conséquents, tous départements confondus, des campagnes françaises, et qu'on pouvait compter sur lui pour booster la vie, pour donner du sens aux heures et du tonus au temps libre des seniors, pour ne laisser de répit à personne et pour chasser définitivement l'ennui, cette formidable plaie des temps modernes. Je m'étais laissé convaincre : on devait édifier un supermarché avec ses pompes à essence et un distributeur de billets dans la petite rue que j'habitais, les discothèques environnantes avaient reçu toutes les autorisations pour augmenter de manière importante la puissance de leurs sonorisations, et les horaires d'ouverture étaient désormais complètement libres, ce qui promettait des nuits qui durent jusqu'au petit matin. Les sens interdits qui réduisaient légèrement la circulation dans le quartier allaient être supprimés, les gendarmes couchés qui limitaient légèrement la vitesse des autos, on les supprimerait bientôt, et le maire avait également promis de ne plus faire mine d'ennuyer les conducteurs de pétrolettes qui avaient eu l'excellente idée d'ôter leurs pots d'échappement pour égayer un peu les rares nuits durant lesquelles un calme affreux s'abattait sur notre village momentanément assoupi. En outre, on avait demandé aux habitants de proposer eux-mêmes des fêtes, hors de celles qui existaient déjà, pour essayer de lutter contre l'envahissement préoccupant du silence, l'objectif déclaré étant d'arriver à un taux de 80% de journées festives ; le plus imaginatif recevrait un bon pour entrer à l'œil dans la discothèque de son choix durant une année. Bien sûr tout cela s'accompagnait de prévisions de repeuplement et de construction, un peu partout aux alentours de la commune — et l'on entendait déjà le bruit vivifiant des marteaux piqueurs, qui nous signalait dès huit heures du matin que la vie était de retour parmi nous. À cet effet, les terrains à construire avaient vu leur prix baisser considérablement et des subventions efficaces rendaient le prix des loyers extrêmement attrayant. En outre, dans mon quartier, l'éclairage nocturne était très efficace : de la tombée de la nuit jusqu'à l'aube, on y voyait comme en plein jour, et peut-être même mieux qu'en plein jour, ce qui permettait d'ailleurs à ceux qui avaient des insomnies de passer leur tondeuse la nuit et ainsi d'éviter les grosses chaleurs de l'été. Nous avions un feu d'artifice magnifique quatre fois par an qui attirait les habitants des alentours et aussi pas mal de touristes. Autant dire que notre commune était une commune pilote dont on ne pouvait qu'être très fier. Nous étions d'ailleurs passés plusieurs fois déjà à la télé lors de reportages très élogieux. La preuve de la réussite de notre bourgade ? Les fêtes de voisins se multipliaient de manière exponentielle, et il n'était pas rare d'y être invité jusqu'à trois fois dans une même semaine.
Je n'avais donc qu'à me féliciter de mon choix judicieux, et la vie s'écoulait joyeusement, dans la commune de V., jusqu'à ce qu'un événement inexplicable remette notre paisible bonheur en question.
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