Hier-soir je m'en souviens très bien c'était hier-soir, nous étions là, elle et moi, et lui, et eux, ensemble, chacun étant assis, bien confortablement, et tous nous devisions, dans cette pièce bien chauffée, alors que la pluie tombait au-dehors, et que le chien dormait près de la cheminée.
Je ne permettrai à quiconque de dire que les choses se sont passées autrement.
J'étais là, elle était là, ils étaient là, il devait faire près de vingt-deux degrés dans la pièce, et nous nous étions servis à boire, et la conversation roulait confortablement, sans heurts, sans à-coups, sans longues digressions, sans tunnels exagérés, et sans que la voix de l'un d'entre nous s'élève plus que nécessaire.
Tout ce que je dis là est parfaitement exact, conforme à la vérité, à mes souvenirs, et serait facilement vérifiable en ce moment-même si je n'étais pas le seul survivant.
Hier-soir n'est pas si loin que je ne puisse m'en souvenir avec précision.
Je dirai tout de même ceci, qui sera je l'espère entendu : la santé publique n'était pas notre préoccupation première.
C'est à Carmaux, dans le désert d'un hiver creux comme la main d'un mendiant. Elle m'a lu Péguy parlant de Jaurès, et aussi de ce grand silence du désir. Ensuite j'ai lu les quatuors de Haydn tout en mangeant des nouilles froides.