Un sillon commencé, il n'est pas question de l'interrompre. Il s'agit d'aimer ce qu'on s'est obligé à faire. La mort elle-même est peu de choses. Un mauvais moment à passer. Mais en soi, rien du tout : une vaguelette, qui s'éteint parmi les vagues… L'important est que cette vaguelette, si modeste soit-elle, ait vraiment existé. D'abord, la correspondance. « J'appartiens à une génération où l'on avait pour principe de répondre aux lettres par courrier — parfois même de faire porter la réponse pour qu'elle arrive plus vite. » Barbares et musiciens… Le talent sans le génie est peu de choses. Le génie sans le talent n'est rien. « Vous avez dirigé Horowitz dans le 3e de Rachmaninoff et le 5e de Beethoven, qu'avez-vous éprouvé ? — Un grand ennui. Un jeu petit, étriqué. On m'avait parlé d'un albatros, je cherchais ses ailes. » Non, non, croyez-moi, on n'aime pas vraiment les artistes dans notre beau pays. On les applaudit, on ne les aime pas. Ils pensent à leur album de souvenirs. Son jeu est immatériel, fait d'une vibration "qui agit sur les esprits sans passer par les sens".
« Vous dites, Maître ?
— Je ne dis rien, Mademoiselle : je gémis ! »
Le moyen de donner leur vrai caractère aux variations de l'opus 111 ? Il est de chercher des sonorités sans aucune relation avec les bruits de la terre, d'inventer une sorte de ramage céleste, une couleur de création du monde avant le péché originel. Quelque chose de pure, qui humilie jusqu'à la pureté… Est-ce difficile ? Je crois que c'est, à la lettre, impossible. Raison de plus pour appeler sur nous l'état de grâce… Entrez dans la musique sans qu'on s'en aperçoive…
Un accord peut être mauvais avant d'avoir été joué.
« Pas de musique sans arrière-pensée. »
Il y a le "lutteur", large, fort, trapu, aux doigts courts et rembourrés ; à l'opposé, il y a l'"asthénique", avec sa longue main de pianistené, aux doigts fins, parfois pointus. (…) Anton Rubinstein : constitution puissante, tête à la Beethoven, mains splendides, doigts comparables à d'épaisses ventouses. Sonorité magnifique, légendaire, grandiose. Reger : énorme mollusque, lourd, et avec cela, sensible, organiste, grand interprète de Bach, spécialiste du legato et du pianissimo. D'Albert : corps bref, trapu, petites mains élastiques, explosif, jaillissant, bien fait, lui aussi, pour les interprétations de type "lutteur". Liszt, au contraire : grand, mains longues, osseuses, munies de membranes inter-digitales puissantes, type du virtuose par excellence, inventeur de nouveaux gestes très fluides (…) Busoni : type analogue, préoccupé par les formes sveltes, cherchant à se libérer de la lourdeur romantique de l'époque post-brahmsienne. Il exige de lui staccato et transparence. Planté était, avec plus d'élégance s'il se peut, du type "Busoni". Pugno : main grasse et molle, toucher napolitain. On change avec l'âge, me dit Fischer. Si je me mettais à jouer aujourd'hui comme je jouais à vingt ans — tempestuoso — vous ririez de bon cœur. Busoni avait, dans sa jeunesse, une manière éclatante, bruyante, fougueuse. Dans son âge mûr, je ne l'ai jamais entendu faire un forte.
Au dîner, avec Valéry et Cortot se faisant face. Un grand homme — je pense à Musset et à Chopin — est celui qui laisse après soi les autres dans l'embarras. « Valéry, dit Mondor, je dirais que vous avez le sentiment de la musique. — Et encore ! »
« Le patron, il est rustique. » Le beau-père d'Alfred Cortot était Michel Bréal philologue qui professa au Collège de France une science nouvelle à laquelle il donna le nom de sémantique. Clotilde avait été mariée à Romain Rolland. Elle avait rencontré Cortot à un concert où il donnait les Variations sérieuses, de Mendelssohn.
Les cinq difficultés du piano :
— Égalité. Indépendance et mobilité des doigts.
— Passage du pouce.
— Double notes et jeu polyphonique.
— Extensions.
— Technique du poignet, exécution des accords.
« Si vous souhaitez que la reconnaissance soit à la hauteur du bienfait, ne faites rien. » N'interrompons pas le sillon, c'est tout ce que nous nous demandons.