mercredi 9 juillet 2014

La Double p(e)ine


J'avais accompagné mon amie, ravissante Hindoue, qui avait attrapé je ne sais plus quelle MST et devait se faire opérer. Je ne savais pas en l'accompagnant que mon corps aussi intéresserait la Faculté. Ce con de médecin (le cousin de Maurizio Pollini, vous n'allez pas me croire, et pourtant c'est vrai) m'annonce tout à trac : « A vous, maintenant. » Moi : « De quoi de quoi, je suis là en visiteur, j'immigre dans vot' cabinet, mon brave, pour la beauté du geste, je suis en quelque sorte le tuteur de la pécheresse. » Mon petit discours ne l'a pas beaucoup ému : « Allez, hop, devant le microscope électronique. » Personne ne m'avait jamais dit jusque là que mon sexe était microscopique ! Je m'exécute cependant, pour ne pas faire de scandale, et pour conserver l'air chevaleresque qui me va si bien. En fait de microscope électronique, la chose ressemble plus à un appareil photo ordinaire qui serait relié à tout un appareillage louche. Comme par hasard, l'examen se révéla positif… Quelque chose me disait aussi qu'il était hors de question pour la Science de ne pas justifier cette pauvre machinerie, et que la justification la plus simple était en l'occurrence de me découvrir des traces patibulaires sur le gland. De toute façon, inutile d'essayer de leur dire que vous ne voyez rien, que vous n'avez aucun problème, ils ont dans ces cas-là réponse à tout, le "microscopique" étant une de leurs scies préférées : vous ne voyez rien, mais-c'est-normal (on évite de justesse le "mon pauvre"). Bref, autant faire comme si l'on était d'accord, on ne va pas se ridiculiser devant la belle qui, faut-il le dire, assiste à tout ça avec un petit air de revanche qu'elle ne parvient pas tout à fait à dissimuler.

Imaginez-vous la scène : vous tenez la main de votre pauvre petite chérie qui s'inquiète d'une opération ; vous la rassurez en la morigénant doucement : « Allons, allons, ne fais donc pas l'enfant ! Mais ce n'est rien du tout, voyons. Un p'tit coup de laser au fond de la grotte, on te nettoie tout ça, on repeint à neuf, et c'est reparti comme en quarante ! Vraiment pas de quoi en faire une histoire, mon Chou ! Tu sais, nous, les hommes, on en bave autrement, crois-moi, et on ne se plaint pas ! Et puis, dis-donc, petite folle, tu ne voudrais quand-même pas me refiler ton vilain machin, et pourquoi pas défigurer le sceptre qui te donne tant de bonheur ? » Et un médecin complètement inconscient de tout ce qui peut se jouer dans votre petit théâtre privé, qui s'offre à vous faire partager le sort de la sacrifiée, sans façons et surtout sans préambule… Je ne sais pas vous, mais moi je n'aime pas qu'on me prenne par surprise. Je ne suis pas une tête brûlée, un animal primaire et se jetant sans réfléchir dans le torrent parce qu'il y a aperçu une belle truite dorée, je pèse le pour et le contre, je sors mon thermomètre, je consulte les astres, bref, je déteste que l'événement me prenne de court.

Une fois l'examen terminé, je m'attends à ce que l'Auguste essaie de prendre un rendez-vous avec ma secrétaire pour que nous procédions à l'opération dans des conditions dignes et propices. Que non ! Le bougre me désigne un second cabinet, lourdement équipé et sentant fort ces produits qui ne sont jamais un signe favorable dans la vie d'un homme. Je lui dis que rien ne presse, que demain est un autre jour, et que je me fais fort d'être d'une citoyenne et exemplaire disponibilité dans les semaines qui viennent. Soit qu'il ne parle pas un français parfait, soit qu'il y mette un peu de cette mauvaise volonté madrée que les médecins opposent souvent à nos scrupules trop humains à leur goût, il me fait comprendre que c'est tout de suite et pas autrement. « Sinon, l'opération à laquelle je vais me livrer sur votre amie ne servira à rien ! » Lâchement, je n'essaie même pas de lui vanter mes hautes capacités d'abstinence, qui, pourtant, l'auraient grandement impressionné ! Le poids du fatum s'abat sur mes épaules et me cloue au sol de cette pimpante clinique Geoffroy Saint-Hilaire. J'imagine bien avoir tout à coup la très opportune souvenance d'un rendez-vous urgent auquel il est impossible que je me dérobe, mais un-je-ne-sais-quoi dans son regard m'ôte même l'envie de cette dernière échappatoire. Allons, le pantalon sur les chaussures, pour la deuxième fois, mais cette fois-ci le fauteuil est plus confortable. Eh non, les hommes n'ont pas droit, eux, à la vénérable table d'opération et tout le cérémonial corollaire, ils doivent endurer la chose assis, comme s'ils devaient pendant ce temps rester capables de diriger un conseil d'administration, en buvant leur expresso. « Vous verrez, c'est trois fois rien ! » Une fois aurait suffi, me dis-je in petto, en affichant mon sourire le plus décontracté.

Le microscope électronique ressemblait à un vulgaire Nikon à fils, "le laser" manque de pompe. Rien à voir avec ces machineries formidables qu'on nous faisait désirer dans les années 70. Mais je ne m'étendrai pas sur la description du chalumeau à lumière, car j'ai tourné les yeux, je l'avoue, au moment où l'Italien élégant a pressé la gâchette. Au lieu de la douleur escomptée, c'est une âcre odeur de chairs brûlées qui s'est manifestée, et aussi, assez drôlement ma foi, une petite fumée presque gaie, humble signal que mon sexe envoyait au monde pour lui signifier sa rentrée dans celui des Justes. J'allais pouvoir à nouveau combler les pantelantes femelles, planter mon dard restauré comme un tableau du Quattrocento au cœur de leurs chairs hurlantes de désir, il y avait de quoi se réjouir en effet et proclamer la nouvelle urbi et orbi !

Ce que le vicieux restaurateur philogyne oublia de me dire était que durant deux semaines, j'allais être bifide : pas facile de pisser droit quand au lieu d'un méat vous en disposez subitement de deux. Essayez donc de parler avec deux bouches, vous verrez si l'on vous comprend mieux ! Tout le monde n'est pas un familier de l'uro-bicinium, surtout quand votre petite amie n'est pas une adepte de la sonate en trio.