Comme c'est passionnant ! Il aura donc suffi que je dépose ici un texte en forme de plaisanterie sur une hypothétique et virtuelle rencontre entre une strip-teaseuse colombienne et moi-même pour que se déchaine la vieille hargne rance et hystérique de celles qui ne veulent pas qu'on touche au magot. J'ai souvent constaté cela, dans ma vie, mais la virulence des réactions me surprend encore. Il y a dans chaque femme une haine des femmes (et de l'homme), plus ou moins tue, plus ou moins profondément dissimulée, qui ne demande qu'à sortir au grand jour. Comme elles sont prévisibles, comme elles sont conditionnées, comme elles sont ordinaires.
"Vulgaire", "pute", "connasse", "salope", "pauvre fille", etc. On n'est pas en reste, dès que surgit, quoi, une jolie fille, jeune, ordinaire elle aussi, qui se maquille et veut qu'on lui dise qu'elle est jolie et désirable… Toutes les vieilles rancœurs aigres ressortent, si drues, si vivaces, les vieux fantasmes un peu minables, c'est la guerre, tout de suite, pas de quartiers, il ne sera pas fait de prisonniers, on n'est pas là pour faire dans la nuance, mon chou. Tu as introduit un virus dans le poulailler, on va l'éjecter et on va y mettre le paquet, il va y avoir des dégâts collatéraux et du sang sur les murs.
Qu'ai-je dit exactement ? J'ai dit : « Mais pour qui vous prenez-vous, pour juger cette jeune femme qui vend son image ? Êtes-vous tellement mieux qu'elle ? Plus honorables ? Elle ne fait de mal à personne ! Quant à sa laideur et à sa vulgarité, regardez-vous un peu dans une glace avant de parler. » Maquillage, c'est bien de ça qu'il s'agit.
J'ai souvent constaté ça, dans ma vie : ceux qui ne supportent pas les filles de joie, ceux qui sortent de leur gonds rien qu'à l'idée d'entrer dans un bordel me sont définitivement étrangers. Souvent, ce sont d'ailleurs les mêmes que les sourds. Je n'ai jamais eu le moindre mépris pour les filles, et j'ai eu le plus souvent de bons rapports avec elles.
Ce qui est amusant est que ces belles âmes qui ne supportent pas les femmes légères ont la plupart du temps des idées très généreuses sur le monde en général. Elles aiment les femmes en général. Elles aiment les faibles en général. Elles éprouvent de la compassion pour les déshérités en général. Elles aiment l'altérité en général. Elles ont le cœur sur la main en général. (Elles ont le cœur sur la main, mais elles n'ont pas de mains.) Les grandes abstractions, les belles généralités font vibrer leur cœur de saintes en carton-pâte mais elles ont un cœur de pierre lorsqu'elles se trouvent devant une femme concrète, singulière, ayant un visage et un corps, et qui veut juste gagner un peu d'argent comme on l'a fait depuis la nuit de temps. Alors là tous les coups sont permis, le plus odieux racisme de bas étage est permis, on a tous les droits. Bouche en forme d'anus, mamelles de vache, sale noiraude obèse, grosse pute inculte, vas-y que ça se lâche dans la dégueulasserie minable et sans imagination. Comme ça peut être laid, une femme qui se sent attaquée dans sa chair !
Eh bien moi je la trouve charmante, Annie. Oui. Et j'en ai connu, des Annie ! Plus jeunes, plus vieilles, plus jolies, plus moches, plus grosses, plus maigres, plus bêtes, plus malines, plus fatiguées, plus souriantes, plus pudiques, plus vicieuses, plus simples, plus retorses, plus désespérées, plus camées, plus timides… Elles sont magnifiques, ces filles de derrière l'écran. Même quand elles sont de mauvaise humeur, ingrates, impolies, pas très propres, bêtes, qu'elles ont une voix de crécelle, des strings ridicules, et des oursons en peluche sur le lit, qu'elles regardent la télé pendant que vous la matez, qu'elles ne font qu'ânonner leur fiche pour la millième fois de la journée, qu'elles parlent à leurs voisines de chambre pendant que vous essayez d'avoir une conversation avec elles, je les aime. Je trouve qu'elles ont de la classe, de sourire comme ça toute la journée, de répondre pour la trois millième fois à un parfait inconnu qui demande âge, nationalité et mensurations, et qui y va de ses vannes pénibles mille fois entendues, de se repoudrer le nez, de se remaquiller, de se remettre du rouge à lèvres pour la centième fois de la journée, de faire leur job, qu'elles soient gaies, malades, déprimées, ou complètement larguées. Elles ont bien mérité de s'entendre dire qu'elles sont belles, qu'elles sont les plus belles, les plus désirables, les plus sexy, les plus bandantes, les plus chaudes, les plus souriantes, qu'elles ont l'air intelligentes et qu'elles parlent avec une voix de rêve même quand elles ont une voix affreuse.
ChocDesire4u est allongée sur le ventre. Elle a tout juste la place de se tenir dans son réduit, ses jambes sont pliées, elle agite légèrement ses pieds, elle porte un petit haut bleu et un string de la même couleur. 1IntenseDream se trémousse sur du rap, elle a les cheveux blanc platine, les lèvres très roses, les yeux bleus. Blondy26 est assise sur un lit, fausse blonde aux cheveux longs et aux sourcils bien noirs, elle a posé le clavier sur ses genoux, elle a des yeux trop bleus. Sur son T-shirt noir, on peut lire le mot "Nobody", surmonté de quatre étoiles. BlackBooty85 est obèse. On n'aperçoit que ses fesses et une partie de son dos, bourrelé. Elle porte seulement un string jaune clair. La peau est marbrée de taches plus foncées. Elle ne bouge pas. Peut-être dort-elle… SaraSexy2U a des ongles de toutes les couleurs, elle est brune, très jolie, elle a des yeux noirs et les cheveux bouclés, longs. Elle porte seulement une robe très ajourée, sauf au niveau des seins, mais à intervalles réguliers, la robe descend, et l'on peut apercevoir les aréoles de ses seins. Au mur, derrière elle, trois bandes noires et des petits cœurs rouges. Elle frappe deux petits coups sur ses fesses et ondule de la croupe. Mais la fenêtre s'obscurcit soudain et on nous avertit que SaraSexy2U est désormais en "privé". Au-dessus du mot "privé" est écrit : « Que me fait-il ? » Mais la voici qui réapparaît, son entrevue privée n'a pas duré longtemps. On la retrouve assise, nue semble-t-il. Ah non, c'est seulement qu'elle est cadrée de manière à ce qu'on ne voit pas le commencement de la robe. Elle lève les bras. On peut voir que ses aisselles sont parfaitement épilées. Elle a de belles dents très blanches et une langue rose impressionnante. Elle réajuste sa robe de manière à ce que l'œil soit occupé à vérifier que les aréoles n'apparaissent pas, ou plutôt à espérer que ce soit le cas. Elle tape beaucoup sur son clavier, et plutôt vite, si l'on en croit le bruit des touches. Ah, elle est de nouveau en privé. J'ai oublié de dire qu'elle a 21 ans. Mais voici la belle Amiyra, une ravissante brune de 20 ans, à la bouche somptueuse. Elle porte des lunettes et son décolleté est plongeant. Elle est assise sur un lit rouge aux coussins et draps blancs. Les murs ont l'air d'être en bois, comme si l'on se trouvait dans un chalet. Je lui demande d'où elle est. Elle me répond en parlant, qu'elle est de Sofia, en Bulgarie. Je lis dans son profil qu'elle est épilée. Elle a une voix de canard. Très souriante. Elle aime prendre ses deux seins dans ses mains, sans doute parce qu'ils ont tout juste la taille d'y tenir. Elle porte une robe noire et des perles. FatalCarmen semble dormir. On n'entend rien, à l'exception de quelques messages qu'elle reçoit, sans aucune réaction de sa part. Elle porte un T-shirt rose, un soutien-gorge sombre, et l'on aperçoit ce qui doit être un pull-over posé négligemment sur ses fesses. On ne voit pas son visage, puisqu'elle est tournée contre le mur. Ne la dérangeons pas. RoseAngel est en nuisette noire, avec un nœud rose, et string noir. Elle est comme on dit "bien en chair". Elle se frappe sur les fesses, sans entrain mais assez fort tout de même. Elle écoute de la musique sud-américaine. MichelleRoss est filmée en contre-plongée. On entend surtout le bruit des touches du clavier. Elle tape beaucoup, et très vite. Elle porte un pantalon bleu et un haut bleu également mais plus foncé. Elle déboutonne son pantalon, le baisse. Elle porte un string blanc. On entend de la techno en sourdine. Elle remonte son pantalon et revient au clavier. Elle ferait une excellente secrétaire. Elle dit qu'elle aime les hommes très poilus (comme des singes, ajoute-t-elle). Elle est ravissante, brune, je l'ai déjà dit. Elle a 21 ans. Ah, elle montre son soutien-gorge noir. Mais comment fait-elle pour taper si vite ? Je lui dis : « Vous tapez très vite ! » Elle me répond : « Yes » Elle ne dit pas un mot (vocalement). Elle déplace la caméra et enlève son haut. Et maintenant elle enlève son pantalon. S'asseoit sur le lit. Essaie deux ou trois sourires. Elle ôte ses chaussures. La musique doit être du turbo-folk ou un truc du genre. Cette fois, elle est en culotte et soutien-gorge sur le lit. Ah, elle a prononcé un mot : « Yes », mais je n'ai pas vu à quoi elle répondait. Elle fait descendre son soutien-gorge mais elle cache ses seins avec ses mains. Elle a un grain de beauté assez gros et très beau sur le côté du sein droit. Elle se tourne et fait tomber son soutien-gorge. Puis fait descendre le string jusqu'au milieu des fesses. Elle est vraiment très bien fichue. Je dirais à vue de nez, bonnets C, taille 38. Elle a de très beaux cheveux noirs et je ne saurai pas de quel pays elle est parce qu'elle vient de partir en salon privé. SublimErica est très mince, presque maigre. Elle fume une cigarette. Elle porte une nuisette pourpre, ajourée. Brune, jolie, elle se regarde apparemment dans une glace. Je lui demande d'où elle est. Elle ne répond pas. WetAlicia est en train de se maquiller. Elle a remonté ses cheveux et on la voit se passer du blush. Maintenant elle fait les cils. On aperçoit une croix sur le dessus de sa main droite. Elle porte un soutien-gorge en cuir noir, ou en sky. Elle a l'air fatiguée, ses traits son tirés. Elle fait bouger ses seins dans le soutien-gorge, c'est une de ses grandes spécialités. WetAlicia a les seins les plus affolants que j'ai jamais vus. Elle m'envoie un message privé : « Je suis en chaleur Bb, qu'est-ce que tu attends ? » Derrière elle, sur le lit, on voit un coussin sur lequel l'effigie de Marilyn Monroe est imprimée. Elle possède un tatouage sur l'avant-bras gauche, sur la face interne. Elle a l'air pensive. Des ennuis ? "Guest56" lui demande de faire bouger ses seins. Elle s'exécute gentiment. Elle boit un peu de jus d'orange (ou de mangue ?). Elle écrit : « Vote for me, Guys. It's for free ! » Et elle en profite pour nous montrer son minuscule string transparent qui laisse voir qu'elle est épilée. Je me demande quel est son âge. Il est écrit 23 ans sur sa fiche mais je pense qu'elle a plus. Sans doute près de 30. Elle a une peau merveilleuse, lisse, fraîche, qui semble très douce. Son visage a quelque chose d'étrangement familier. Je ne sais pas non plus de quel pays elle vient mais au pif, je dirais la Colombie. La Colombie est très bien représentée sur jasmin.com. Je vote pour toi, WetAlicia, et c'est de bon cœur. JulieSoyeuse est en train de se curer le nez, les jambes écartées. NikaSoft se presse les points noirs sur la poitrine avec un air renfrogné. AllForYou est en train de mettre ses lentilles. BigBoooobs téléphone à une copine. IvonSquirt regarde une série en mangeant une salade. NujumSki fait la gueule. MarilynBoobs sort de sa douche. Elle attrape une serviette noire sur laquelle est imprimée une tour Eiffel. EbonyChocolat a l'air abîmée dans la contemplation de la caméra. Sa bouche est comme un divan profond accroché à flanc de montagne. On ne risque rien à tomber, avec les seins qu'elle a… Et il faudrait encore que je vous parle de Diana, ma divine Roumaine. On fera ça une autre fois.
Ce qui m'étonne le plus, non, ça ne m'étonne pas du tout, ce qui m'attriste le plus, non, ça ne m'attriste pas non plus, ce qui m'emmerde mais alors grave, c'est le manque d'humour des femmes. Enfin, je parle de ces femmes qui montent sur les grands chevaux de la grande morale dès qu'il s'agit des fesses et des seins d'une autre femme, concrète, singulière, précise, et si possible jeune et jolie. « C'qui sont lourds ! » disait Céline. Ce qu'elles sont lourdes, bon Dieu, c'quelles sont lourdes !
Le mépris pour ces filles me fait mal et me remplit de colère. D'un autre côté je me dis que c'est une sorte de justice immanente. Les offusquées méprisantes sont sans doute les plus malheureuses et les plus pauvres. Laissons-les croupir dans leur mare fétide, ces tordues à faire peur. La vengeance est leur passion, elles se vengent de tout, en permanence, de leur vie, de leur mariage, de leur sexualité, de leur kilos, de leur non-vie et de leur ennui profond.
Ça se passe à Bogotta, à Medelin, à Mexico, à Rio, à Montevideo, à Panama, à Belgrade, à Bucarest, à Prague, à Londres, à Lisbonne, à Düsseldorf, à Hambourg, à Budapest, à Dublin, à Paris, à Madrid, à Naples, à Bermingham, à Moscou, à Vilnius, à Kiev, à Riga, à Caracas, à Ottawa, à Bruxelles, à Amsterdam, et même à Rome, des filles passent leurs journées enfermées dans une chambre, dans le meilleur des cas, et dans un réduit de 8 mètres carrés sans fenêtre, très souvent. Je ne dis pas qu'elles sont toutes malheureuses, qu'elles ont toutes été enlevées par des mafias ignobles, qu'elles sont toutes droguées et cognées, mais ça arrive. Je ne dis pas non plus qu'elles sont toutes épanouies, heureuses, riches et contentes de leur sort. Je n'en sais rien. Je crois que tous les cas de figures existent, mais je ne supporte pas qu'on les juge et qu'on leur crache dessus. J'ai eu une amie strip-teaseuse, quand j'étais jeune, à Paris. C'était une fille très bien. Courageuse. Qui avait une certaine noblesse que je n'ai pas souvent retrouvée chez les jeunes Parisiennes branchées que je côtoyais. Elle était africaine, du Togo, et elle travaillait 16 heures par jour. Elle gagnait mieux sa vie que moi, et je trouvais ça très bien. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue aujourd'hui mais je souhaite qu'elle soit heureuse.
« Je n'aime pas les hommes qui aiment les putes. » Ouais ouais ouais… Comme le dit très bien elle-même cette parfaite épouse et mère de famille, le monde est bien fait. Les hôpitaux qui se foutent de la charité font toujours un drôle d'effet, quand on les voit passer, titubants et maladroits, ridiculement drapés dans leur toge immaculée. Il est amusant de constater que ceux qui veulent nettoyer l'humanité de ses turpitudes et la débarrasser de ses malheurs commencent toujours par le faire en tentant d'éradiquer non pas le mal réel, car cela les obligerait à se pencher sérieusement sur leur propre cas, mais un mal qu'ils ont en quelque sorte façonné à leur (contre-)image, un mal qu'ils imaginent capable de les définir (négativement). Ils ont tellement peur de se voir tels qu'ils sont qu'ils passent leur vie à façonner des miroirs dont la fonction première est d'adapter le monde à leur vision défaillante. Ces miroirs sont des fenêtres hermétiquement closes qui les préservent de la traversée du monde tel qu'il est, chose redoutable entre toutes. Alors ils s'entichent de toute la camelote qui passe à leur portée, s'adonnent à d'autres religions que celles de leurs pères, et cultivent un exotisme intérieur qui les enracine dans une réalité bornée par la parole de quelques autres, qu'ils pensent avoir élus alors qu'ils ne font que s'agripper désespérément à une image. Comme ils ne savent pas trouver une voie propre, ils ont besoin d'icônes, blanches et noires, positives et négatives, qui agissent sur eux comme autant de stimuli les remettant en permanence dans ce qu'ils prennent pour un droit chemin quand ce n'est qu'un cercle piteux dont la circonférence tient sur l'aile d'une mouche.
Ce que je trouve profondément émouvant, avec mes filles de derrière l'écran, c'est qu'elles arrivent à sourire. Oh, je sais bien ce que vous allez me dire, allez, mais quel naïf, et patati et patata… Vous ne comprenez pas. Il y a de ces sourires, chez ces filles, qui ont plus de prix que tout ce qu'une belle femme amoureuse pourra donner dans la vie de tous les jours. Elles ne savent pas à qui elles offrent ce sourire, et c'est comme si elles allaient chercher ça dans une région inconnue d'elles-mêmes, en pure perte. Tous ces sourires idiots à travers l'écran, tous ces sourires qui ne servent à rien, qui, littéralement, se perdent dans le vide qui nous sépare, je trouve ça magnifique. Je dis à Miryamm (de Roumanie) qu'elle a un merveilleux sourire, juste pour qu'elle sourie, et ça marche. J'aurais voulu lui faire écouter l'adagio assai du concerto de Ravel, mais elle écoutait une chanson stupide. Celibidache, vous connaissez, Miryamm ? Non, darling, c'est un footballeur ? Elle est roumaine, elle ne connaît ni Celibidache, ni Dinu Lipatti, ni Radu Lupu, ni Georges Enesco, ni Angela Gheorghiu, ni Clara Haskil, mais moi je pense à eux quand je la vois. C'est idiot ? Non, ce n'est pas idiot. Dans son rire, j'entends un peu de la grâce de Clara Haskil, et dans ces sourcils, je reconnais un peu ceux d'Angela Gheorghiu. Angela Gheorghiu aurait pu être là, derrière cet écran, en nuisette ridicule, en train de se passer un pinceau de rouge sur ses lèvres et de flatter sa poitrine. On l'imagine chantonnant Puccini, tandis qu'elle ondule des hanches. Clara Haskil n'était pas jolie, elle n'aurait pas eu de succès, derrière l'écran. Mais parmi toutes ces filles, de la plus belle à la plus laide, il y a sûrement une âme qui ressemble à celle de Clara, et je me dis que peut-être, si je lui faisais écouter Mozart par Haskil, elle se reconnaîtrait, alors… Vous pouvez ricaner, je m'en fiche. Il suffit parfois de si peu, pour ceux qui savent entendre. Et puis, excusez-moi, mais quand je lis les "statuts" des distinguées Facebookeuses que je croise chaque jour, qui sont bêtes comme leurs pieds, qui ne sont même pas jolies, qui n'ont vraiment rien pour elles mais qui tiennent très fort à nous faire savoir qu'elles existent, je me dis que mes filles de derrière l'écran, c'est tout de même autre chose, et je me mets à les aimer très fort, sans qu'elles le sachent. Alors je remets l'adagio du concerto en sol, je m'allonge sur mon lit, je ferme les yeux, et je pense à la Roumanie et la Colombie, que je ne connaitrais sans doute jamais.
Ça se passe à Bogotta, à Medelin, à Mexico, à Rio, à Montevideo, à Panama, à Belgrade, à Bucarest, à Prague, à Londres, à Lisbonne, à Düsseldorf, à Hambourg, à Budapest, à Dublin, à Paris, à Madrid, à Naples, à Bermingham, à Moscou, à Vilnius, à Kiev, à Riga, à Caracas, à Ottawa, à Bruxelles, à Amsterdam, et même à Rome, des filles passent leurs journées enfermées dans une chambre, dans le meilleur des cas, et dans un réduit de 8 mètres carrés sans fenêtre, très souvent. Je ne dis pas qu'elles sont toutes malheureuses, qu'elles ont toutes été enlevées par des mafias ignobles, qu'elles sont toutes droguées et cognées, mais ça arrive. Je ne dis pas non plus qu'elles sont toutes épanouies, heureuses, riches et contentes de leur sort. Je n'en sais rien. Je crois que tous les cas de figures existent, mais je ne supporte pas qu'on les juge et qu'on leur crache dessus. J'ai eu une amie strip-teaseuse, quand j'étais jeune, à Paris. C'était une fille très bien. Courageuse. Qui avait une certaine noblesse que je n'ai pas souvent retrouvée chez les jeunes Parisiennes branchées que je côtoyais. Elle était africaine, du Togo, et elle travaillait 16 heures par jour. Elle gagnait mieux sa vie que moi, et je trouvais ça très bien. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue aujourd'hui mais je souhaite qu'elle soit heureuse.
« Je n'aime pas les hommes qui aiment les putes. » Ouais ouais ouais… Comme le dit très bien elle-même cette parfaite épouse et mère de famille, le monde est bien fait. Les hôpitaux qui se foutent de la charité font toujours un drôle d'effet, quand on les voit passer, titubants et maladroits, ridiculement drapés dans leur toge immaculée. Il est amusant de constater que ceux qui veulent nettoyer l'humanité de ses turpitudes et la débarrasser de ses malheurs commencent toujours par le faire en tentant d'éradiquer non pas le mal réel, car cela les obligerait à se pencher sérieusement sur leur propre cas, mais un mal qu'ils ont en quelque sorte façonné à leur (contre-)image, un mal qu'ils imaginent capable de les définir (négativement). Ils ont tellement peur de se voir tels qu'ils sont qu'ils passent leur vie à façonner des miroirs dont la fonction première est d'adapter le monde à leur vision défaillante. Ces miroirs sont des fenêtres hermétiquement closes qui les préservent de la traversée du monde tel qu'il est, chose redoutable entre toutes. Alors ils s'entichent de toute la camelote qui passe à leur portée, s'adonnent à d'autres religions que celles de leurs pères, et cultivent un exotisme intérieur qui les enracine dans une réalité bornée par la parole de quelques autres, qu'ils pensent avoir élus alors qu'ils ne font que s'agripper désespérément à une image. Comme ils ne savent pas trouver une voie propre, ils ont besoin d'icônes, blanches et noires, positives et négatives, qui agissent sur eux comme autant de stimuli les remettant en permanence dans ce qu'ils prennent pour un droit chemin quand ce n'est qu'un cercle piteux dont la circonférence tient sur l'aile d'une mouche.
Ce que je trouve profondément émouvant, avec mes filles de derrière l'écran, c'est qu'elles arrivent à sourire. Oh, je sais bien ce que vous allez me dire, allez, mais quel naïf, et patati et patata… Vous ne comprenez pas. Il y a de ces sourires, chez ces filles, qui ont plus de prix que tout ce qu'une belle femme amoureuse pourra donner dans la vie de tous les jours. Elles ne savent pas à qui elles offrent ce sourire, et c'est comme si elles allaient chercher ça dans une région inconnue d'elles-mêmes, en pure perte. Tous ces sourires idiots à travers l'écran, tous ces sourires qui ne servent à rien, qui, littéralement, se perdent dans le vide qui nous sépare, je trouve ça magnifique. Je dis à Miryamm (de Roumanie) qu'elle a un merveilleux sourire, juste pour qu'elle sourie, et ça marche. J'aurais voulu lui faire écouter l'adagio assai du concerto de Ravel, mais elle écoutait une chanson stupide. Celibidache, vous connaissez, Miryamm ? Non, darling, c'est un footballeur ? Elle est roumaine, elle ne connaît ni Celibidache, ni Dinu Lipatti, ni Radu Lupu, ni Georges Enesco, ni Angela Gheorghiu, ni Clara Haskil, mais moi je pense à eux quand je la vois. C'est idiot ? Non, ce n'est pas idiot. Dans son rire, j'entends un peu de la grâce de Clara Haskil, et dans ces sourcils, je reconnais un peu ceux d'Angela Gheorghiu. Angela Gheorghiu aurait pu être là, derrière cet écran, en nuisette ridicule, en train de se passer un pinceau de rouge sur ses lèvres et de flatter sa poitrine. On l'imagine chantonnant Puccini, tandis qu'elle ondule des hanches. Clara Haskil n'était pas jolie, elle n'aurait pas eu de succès, derrière l'écran. Mais parmi toutes ces filles, de la plus belle à la plus laide, il y a sûrement une âme qui ressemble à celle de Clara, et je me dis que peut-être, si je lui faisais écouter Mozart par Haskil, elle se reconnaîtrait, alors… Vous pouvez ricaner, je m'en fiche. Il suffit parfois de si peu, pour ceux qui savent entendre. Et puis, excusez-moi, mais quand je lis les "statuts" des distinguées Facebookeuses que je croise chaque jour, qui sont bêtes comme leurs pieds, qui ne sont même pas jolies, qui n'ont vraiment rien pour elles mais qui tiennent très fort à nous faire savoir qu'elles existent, je me dis que mes filles de derrière l'écran, c'est tout de même autre chose, et je me mets à les aimer très fort, sans qu'elles le sachent. Alors je remets l'adagio du concerto en sol, je m'allonge sur mon lit, je ferme les yeux, et je pense à la Roumanie et la Colombie, que je ne connaitrais sans doute jamais.