Ah, les sopranos ! Les sopranos, les sopranos, les sopranos… Je suis capable de passer de journées entières à les regarder, à les écouter, et à les regarder encore. Les grosses, les maigres, les fines, les grasses, les énormes, les légères, les lourdes, les belles, les moches, les sexy, les monuments, les grandes, les toutes petites, les vulgaires et les classieuses, les nobles et les ignobles, les intelligentes et les idiotes, les brunes et les blondes, les blanches et les noires, les rousses, les Russes et les Néo-Zélandaises, les Texanes… Toute la gamme, des coloratures aux mezzos, les légers, les lyriques, les dramatiques, en passant par les Falcon et les wagnériens. Kiri Te Kanawa est l'une des plus belles, et qui reste merveilleusement belle encore aujourd'hui (c'est peut-être la seule à devenir de plus en plus belle au fur et à mesure qu'elle vieillit). Comme beaucoup, je ne l'oublierai jamais dans l'Elvira de Losey. Tout est venu par Callas évidemment, qu'on a entendue encore enfant, et redécouverte dans Carmen un peu plus tard, alors qu'on repeignait le portail de la maison familiale, l'après-midi, en été. Victoria de Los Angeles, Lotte Lehmann, Christa Ludwig, Rita Streich, Berganza, Caballé, Suzanne Danco, Lisa Della Casa, Flagstad, Leyla Gencer, Elisabeth Grümmer, Astrid Varnay, Tebaldi, Crespin, Gundula Janowitz, Renée Fleming, Mirella Freni, Sena Jurinac, Edita Gruberova, Pilar Lorengar, Janine Micheau, Birgit Nilsson, Lucia Popp, Leontyne Price, Mado Robin, Julia Varady, Leonie Rysanek, Jessie Norman, Barbara Hendricks, Renata Scotto, Elisabeth Söderström, Kathleen Battle, Teresa Stich-Randall, Joan Sutherland, Cecilia Bartoli, Anna Netrebko, Anne-Sofie von Otter, Irmgard Seefried, Angela Georghiu, et Schwarzkopf bien sûr… Vous imaginez, toutes ces femmes…! Toutes ces voix… Une quarantaine de noms, de noms et de visages associés à des voix, à des corps vibrants et chantants, mais aussi murmurants… J'en oublie quelques unes, je sais. Quelques unes involontairement, et quelques unes volontairement… Mais peu importe. Imaginez-les toutes, toutes celles que je viens de nommer, imaginez-les toutes, vivantes, vibrantes, là, chez vous, dans votre salon, en train de discuter entre elles, un verre à la main. Schwarzkopf étant définitivement à part, je crois que je ferais un sort à Angela Georghiu, dont le timbre me procure une sorte d'ivresse unique, que je ne saurais expliquer. Tebaldi, Callas, Sutherland, dans un coin, et Schwarzkopf qui les observe du coin de l'œil, pendant que Seefried lui raconte qu'elle a écouté Otter dans Berlioz, mais le rire de Lucia Popp vient crever les bulles du champagne. La Bartoli ne sait pas trop comment se tenir et se rue sur les petits fours tandis que Jessie Norman et Monserrat Caballé se jaugent d'un coin du salon à l'autre, incrustées dans des fauteuils profonds comme des tombeaux. Fleming pose ses yeux lourds sur l'assistance et reste étrangement silencieuse. Hendricks passe d'un groupe à l'autre, très à l'aise, dit à Netrebko qu'elle est encore plus ravissante que sur scène, puis va embrasser Leontyne avec une émotion non feinte. Je trouve que Lisa della Casa a un air de famille avec Georghiu, ça ne m'étonne pas, mais elle est encore plus belle. Elisabeth Schwarzkopf fait signe à Janine et à Gundula de venir les rejoindre, et… On sonne à la porte !
« Surtout n'allez pas ouvrir ! » me dit Kiri Te Kanawa en mettant sa main sur mon épaule… Je regarde par la fenêtre, et je ne vois que la mer, à perte de vue !